Vendredi 10 mai 2019
Concilier Ramadan et Révolution
Un mistral violent a soufflé sur Marseille dans la nuit du 4 au 5 mai 2019.
La ville s’est dépeuplée d’un coup laissant quelques touristes s’aventurer dans les rues pavées. Un silence grave et lourd de sens mettant les tenanciers de café en congé forcé.
La Porte d’Aix abrite généreusement le noyau dur des militants algériens divisant le nombre d’habitués par 10.
Personne ne peut se douter que tout autour, à l’abri des rafales de vent, des milliers de cuisines s’activent autour d’un travail de fourmis. Un festival de saveurs, d’odeurs et de couleurs qui me rend nostalgique de mon enfance.
La révolution ne peut pas avoir raison de tous nos organes. Elle a notre cœur et notre âme mais l’estomac reste intouchable dans un pays où le plaisir gustatif est le seul péché non censuré.
Ici à Marseille le Ramadan est venu sonner le glas d’une volonté qui commençait à faner après dix dimanches.
Quand j’étais enfant, l’Islam faisait partie du pack à porter avec les cheveux noirs et la langue extra-terrestre qui nous faisait office de dialecte. Les enfants des années 1990 n’ont pas appris à aimer leurs cultures.
En réalité, ils n’ont même pas appris à la connaître. Nous avions honte. Une amie me disait que si sa mère avait le malheur de lui parler arabe à la sortie de l’école, elle faisait croire à ses camarades de classe que c’était de l’anglais (on est crédule à 6 ans !). Quelle tristesse en y repensant.
Aujourd’hui c’est tout l’inverse : le Ramadan est annoncé dans les émissions de Prime time, à la Une des journaux tv, radios et presse confondus. L’extrême pudeur, que j’ai traînée comme un boulet toute mon enfance, a disparu au profit d’une insolence qui n’est pas de meilleur augure pour notre culture. J’entends les adolescents se vanter bruyamment à la sortie des lycées, les gens se plaindre de faim et de soif dans l’espace public. Imposant leurs irritabilités au quidam. Comme si la pratique n’était pas le fruit d’un choix.
Ma génération a vécu son identité dans un coin à l’ombre sans aucun permis d’exister dans l’espace public. A contrario, la génération suivante hurle sa soif identitaire non étanchée au détriment du vivre ensemble. Entendre les plaintes de personnes dont on sait qu’elles vont se régaler le soir-même ne nous fait guère réfléchir aux valeurs de partage et d’équité que veut insuffler le Ramadan. Pas plus que de voir que les hyper-boucheries Halal ressemblent à des centres commerciaux parisiens le matin du 24 décembre.
Grâce à la mondialisation, on peut retrouver nos valeurs religieuses dans les supermarchés juste à côté des tomates en hiver. Génétiquement modifiées.
Je l’écrivais dans mon premier papier du Matin : la Méditerranée est un miroir dans laquelle les athées d’Algérie reflètent les musulmans de France en portant la même camisole.
Écrire une nouvelle page de notre Histoire serait également l’occasion de laisser tout le monde exister en paix. Si une dictature militaire venait à s’instaurer en Algérie, j’ai comme le sentiment que les qalb ellouz du Ramadan n’auront plus jamais la même saveur.
Z. M.
FB : Œil de Zina