Vendredi 8 octobre 2021
Prix Bayeux 2021 des correspondants de guerre: «Cet hommage, c’est le cœur de la semaine»
Comme à chaque édition, le Prix Bayeux Calvados-Normandie des correspondants de guerre qui se tient du 4 au 10 octobre a rendu hommage aux journalistes tués dans l’exercice de leur fonction. Cette année, ils sont 53 et aucune région du monde n’est épargnée.
« C’est sûrement le moment le plus difficile de la semaine du Prix Bayeux », a d’emblée prévenu le maire de la ville Patrick Gomont lorsqu’il a pris la parole pour ouvrir cette cérémonie d’hommage. Comme chaque année, la profession honore la mémoire de ceux qui sont tombés dans l’exercice de leur métier. La cérémonie se tient au Mémorial des reporters, un petit jardin de Bayeux parsemé de stèles qui rappellent, pour chaque année écoulée, les noms de ceux morts pour l’information.
Cette 27e édition ne déroge pas à la règle et cette année, ce sont 53 noms qui viennent s’ajouter à une liste déjà trop longue. Ils portent le total à 957 reporters tués sur les 10 dernières années. Un chiffre stable par rapport à l’année dernière, mais qui révèle aussi une tendance inquiétante : aucun continent n’est épargné et deux tiers des journalistes tués cette année l’ont été dans des pays qui n’étaient pas en guerre. Ils étaient donc directement visés.
Les journalistes sont devenus des cibles
Autrefois le plus souvent victimes collatérales de conflits armés, les journalistes sont aujourd’hui devenus des cibles clairement identifiées. C’est le cas du Néerlandais Peter de Vries, abattu de sang-froid en plein centre d’Amsterdam le 6 juillet dernier vraisemblablement par des membres de la Mocro Mafia parce que ses enquêtes dérangeaient l’organisation criminelle.
Au pupitre, le président de Reporter sans Frontières, Pierre Haski, a ainsi rendu hommage à la mémoire de ces reporters morts parce qu’ils faisaient leur métier. Il a rappelé que l’Afghanistan était un « pays martyr » pour la profession avec six journalistes qui y ont perdu la vie cette année, dont le photographe indien Danish Siddiqui. Il a également souligné le lourd tribut payé par les journalistes mexicains qui sont les plus représentés sur la stèle de cette année avec neuf morts, pour la plupart victimes de cartels de drogues ou de réseaux mafieux.
Les journalistes espagnols David Beriain et Roberto Fraile, tués au Burkina Faso en avril 2021, ont également été évoqués. Très expérimentés, ils avaient couverts de très nombreux théâtres de conflits allant de la rébellion des Farcs en Colombie à la guerre en Syrie en passant par les réseaux de trafic de drogue. Des membres de leurs familles étaient présents pour l’occasion afin de rappeler que leur mort était « une perte irréparable pour le journalisme honnête, celui qui se rend sur le terrain et qui se salit avec de la boue sur les chaussures ».
Soutien à Olivier Dubois
L’hommage à ces confrères disparus a aussi été l’occasion pour Pierre Haski de redire le soutien de RSF à Olivier Dubois qui entame ce vendredi 8 octobre son sixième mois de captivité au Mali. « On ne l’oublie pas, a martelé le président de RSF. Nous n’avons aucune raison de penser que son sort puisse être différent de celui des autres otages que nous avons pu aider, a-t-il tenu à rassurer. La difficulté est de réussir à enclencher des négociations. Nous ne sommes pas particulièrement inquiets, mais chaque jour qui passe est un jour de trop ».
C’est finalement l’intervention du président du jury de ce 27e Prix Bayeux, le photojournaliste franco-iranien Manoocher Deghati et ses 40 ans de carrière, qui aura été la plus émouvante. « J’ai perdu beaucoup de collègues, a-t-il commencé. Dans notre métier, il y a deux dangers : les zones de conflits, de guerre, mais surtout les autorités, les dictatures qui ne veulent pas de nous ». Dans le public, un homme d’un certain âge acquiesce et chuchote, fataliste, à une lycéenne présente pour l’événement : « Aujourd’hui, l’ennemi, c’est la vérité, alors il faut tuer le soldat de la vérité… »
« Une société sans journalistes n’est plus une démocratie »
Pour Manoocher Deghati, c’est aussi l’occasion de rappeler que son pays d’origine, l’Iran, dont il a dû s’exiler en 1985 pour sauver sa vie, était « plus grande prison du monde pour les journalistes et les activistes ». Lucide sur les risques du métier, le photojournaliste refuse cependant de baisser les bras : « On accepte, on avance, avec le courage on continue, conclut-il. Une société sans journalistes n’est plus une démocratie ».
Mais au moment de dévoiler la stèle et ses 53 noms, le président du jury peine à masquer son émotion. Un sentiment partagé par Ed Vulliamy, lui-même photojournaliste et président du jury l’année passée. « Cet hommage pour moi, c’est le cœur de la semaine. On a la remise des prix, le rassemblement de la « tribu » (des photoreporters, ndlr) mais ça, c’est vraiment le cœur de cette semaine. On est là avant tout pour partager notre métier et se retrouver, pas pour remettre des prix ».