Le Conseil français du culte musulman pourrait bien disparaître. Cette institution, censée représenter les musulmans de France, est depuis 2003 le principal interlocuteur du gouvernement. Mais ses dissensions internes semblent cette fois indépassables, au point que les autorités françaises cherchent déjà son successeur.
Le CFCM souffre depuis sa création de son manque de légitimité. Les huit fédérations qui le composent gèrent, pour la plupart, des lieux de culte sur le sol français. Selon le dernier président élu du CFCM, Mohamed Moussaoui, elles ne représentent plus actuellement qu’un tiers des quelque 3 000 mosquées de France. Mohamed Moussaoui le reconnaît lui-même : « Il est temps de passer à autre chose. Dans son format, le CFCM n’est pas viable ».
Le changement pourrait intervenir à l’occasion de la fin de son mandat, ce mercredi 19 janvier. Selon un accord passé au sein du CFCM en 2020, c’est le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems Eddine Hafiz qui devrait lui succéder. Mais la fédération qu’il dirige a claqué la porte du bureau de l’institution, en mars dernier, comme trois autres fédérations. Ces derniers jours, les tensions ont atteint leur paroxysme au fil d’un échange de communiqués où la rupture était clairement consommée.
Pour tenter de trouver une issue, une assemblée générale devrait être organisée le 19 février prochain, avec pour seul ordre du jour le vote de la dissolution ou non du CFCM.
Organiser l’islam en France : un défi
Les récents communiqués, publiés notamment par la Grande Mosquée de Paris, mettent au jour les rivalités entre fédérations qui rongent depuis des années le CFCM. Elles opposent plus particulièrement celle de Mohamed Moussaoui, le Franco-Marocain, et celle de Chems Eddine Hafiz, le Franco-Algérien.
Leurs origines ne sont pas anodines ; les liens entre les fédérations et les pays d’origine sont très forts et expliquent en grande partie les luttes de pouvoir. On retrouve aussi au sein du CFCM des liens avec la Turquie, l’Égypte, Mayotte et les Comores. Mohamed Moussaoui se dit frustré de ne pas avoir réussi à dépasser cette tendance à l’islam consulaire. C’est aussi pour cela qu’il estime que le CFCM n’a plus lieu d’être en l’état.
Pour le président d’une des fédérations, qui préfère réserver une parole officielle à plus tard, l’explication de l’échec du CFCM est ailleurs. Il estime que les membres du CFCM se déchirent avant tout sur la doctrine. Il dénonce la présence de fédérations relayant un islam radical, « qui n’a pas sa place en France ». Selon lui, Mohamed Moussaoui aurait dû les écarter. Pour ce cadre du CFCM, il n’était donc pas étonnant que la signature d’une charte pour l’islam de France, souhaité par le gouvernement, provoque un tel séisme et révèle les positions au sein de l’institution.
En janvier 2021, au moment où le Parlement se penche sur ce qui deviendra la loi contre le séparatisme, le gouvernement demande aux fédérations du CFCM d’adhérer à une charte qui réaffirme la compatibilité de l’islam avec la République. Les signataires s’engagent à respecter la laïcité, à condamner l’antisémitisme, l’homophobie et la misogynie, mais aussi à rejeter l’islam politique et toute ingérence étrangère dans les lieux de culte.
Trois fédérations refusent de parapher le texte, deux proches de la Turquie et une autre défendant un islam rigoriste. En réaction, quatre autres fédérations, dont la Grande Mosquée de Paris, décident de démissionner du CFCM. L’institution ne s’en relèvera sûrement jamais.
Le gouvernement se cherche un nouvel interlocuteur
L’échec du CFCM était écrit depuis des mois. Le gouvernement a pris les devants en lançant début 2021 le Forum de l’islam de France (Forif). Tout au long de l’année, grâce aux assises locales de l’islam, les préfets ont repéré des acteurs locaux à qui ils ont proposé de participer à des ateliers de réflexion sur les sujets prioritaires, aux yeux des autorités françaises ; la formation des imams, la lutte contre les actes antimusulmans ou encore l’obscurantisme.
Le lancement officiel du Forif devrait avoir lieu début février, mais le gouvernement français ne pourra pas aller plus loin dans son initiative. En vertu de la loi de séparation des cultes et de l’État, il ne peut s’immiscer davantage dans l’organisation d’un culte religieux. RFI