22 novembre 2024
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AccueilCulture"Dans le ciel, des oiseaux et des étoiles" d’Ali Mouzaoui 

« Dans le ciel, des oiseaux et des étoiles » d’Ali Mouzaoui 

Ali Mouzaoui

L’écriture du roman d’Ali Mouzaoui, Dans le ciel, des oiseaux et des étoiles, est belle, simple, sobre, fragile presque ; telle une peinture, elle magnifie le réel pour nous le livrer dans sa nudité, rapporter la nuance et la poésie des jours que voile la condition rude des hommes et des femmes.

Il y a des auteurs qui parlent pour leur texte et d’autres dont le texte parle pour eux ; et Dans le ciel, des oiseaux et des étoiles, paru en 2021, aux Éditions Frantz Fanon, est de ces derniers.

Je ne connaissais par le romancier et je n’étais pas surpris de découvrir qu’il est aussi un cinéaste ; parce qu’il y a du cinématographique dans ce roman, dans la manière de nous faire parvenir des images comme des plans, mais aussi de traiter par les mots le mouvement ou encore de faire se succéder les séquences et les dialogues ; on en sort avec la trace dans l’âme comme au sortir d’un film qui a su rapporter l’espace scénique avec le nuancier de la couleur et de la senteur, la fidélité du bruit et de la fureur.

L’histoire est celle d’un enfant, un moufflet investi pour ainsi dire par l’idéal d’un père, un homme d’honneur qui a combattu l’ennemi et qui, au lendemain de l’indépendance, assiste, impuissant, au détournement de la révolution. Du reste, ça nous change de ces récits épiques d’hommes et de femmes, sortant de l’ordinaire, dont nous sommes habituellement gavés par les idéologues de tous les acabits.

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Dire que les traîtres se sont approprié le pays pour trôner en maîtres incontestés est pour le moins caricatural, un euphémisme à bien des égards, mais, l’auteur, ici, doucement mais sûrement, réussit son pari. Il nous le fait comprendre ; encore que la vérité ne soit pas l’objectif du roman, de n’importe quel roman, il nous en convainc même ou presque, puisqu’on a d’emblée la sensation rassurante d’avoir atteint l’instant du basculement, le lieu premier de la traitrise à l’origine du maître-mot de la justification des (ré)inventeurs de la mémoire : « C’est nous qui avons libéré l’Algérie et elle nous appartient.»

L’auteur met l’argument dans la bouche du mioche, métaphore de l’innocence s’il en est, l’enfant de la révolution déroulant le tapis de la féérie qui mène pourtant, inexorablement, tout droit au cauchemar du rêve avorté et du fleuve détourné ; c’est « une histoire incroyable de racines, d’attachement viscéral. En Kabylie, il n’y a pas de caillou qui ne vaille du sang. »

Quand un journaliste avait un jour posé une question au grand Mustapha Lachraf, lui demandant de désigner les écrivains qu’il pensait être alors les plus représentatifs de la littérature algérienne, il répondit : « Mouloud Feraoun, Mouloud Mammeri et Kateb Yacine, parce que leur connaissance de l’Algérie est plus affective qu’intellectuelle.» Et il y a, en effet, de cette connaissance dont parle le célèbre historien et sociologue algérien dans ce roman. Car à travers les histoires qui s’additionnent autour d’Arezki, c’est tout le pays qui se dénude, dit ses blessures, avoue ses envies intimes et refoulées, ses atavismes, sa reproduction souvent inconsciente des violences, l’emprise de plus en plus grandissante des identités meurtrières.

Et l’on démystifie par ailleurs un grand non-dit de notre histoire nationale ; cet évènement qui tient dans la mémoire collective davantage du mythe que de l’histoire;  le fameux soulèvement kabyle et le légendaire FFS, quand des hommes avaient (re)pris le maquis après la libération. On comprend de l’intérieur, affectivement encore, ce qui s’est – réellement – passé. Loin des discours grandiloquents qui font toujours dans la mythification, on se « concrétise » des êtres de chair et de sang, hommes audacieux, la peur au ventre de la perte irrémédiable pourtant, qui avaient pris fait et cause contre « le rapt », et avaient décidé d’en finir avec cet ogre venu du dehors pour s’approprier la vérité, toute la vérité.

L’histoire commence par le drame paroxysmique ; la mort de l’être cher au milieu de la joie des retrouvailles du héros que tout le monde a cru mort. Symbolique ou métaphorique tragédie s’il en est pour dire l’irréparable perte de la mère-patrie. Fin peut-être de la mémoire vernaculaire, du modèle et de la référence. Arezki se découvre soudainement une sœur ou presque, avant que le père lui explique qu’elle n’en est pas une et que, bien mieux, sans le dire par les mots, comme pour ouvrir un peu plus la porte du mystère, elle lui est permise. La fille et le garçon, tous les deux enfants de la révolution, grandissent donc ensemble, transgressant souvent, innocemment, les suavités de l’interdit, dévoilant à chaque pas ou faux pas cette part impensée nous ; ils se retrouvent bientôt à l’école, loin de chez eux, là où l’Algérie, la blessure encore fumante, conflue, arrive de toutes parts avec ses identités. Et l’on découvre, s’entiche, s’aime et se déteste, découvre surtout l’«intrigante et embarrassante situation. Dans l’Algérie indépendante, un bachelier de Maghnia ignorait jusqu’à l’existence des Berbères, premiers habitants de ce pays»

Arezki s’enquit du dehors, de cette Algérie vaste, multiple et complexe. Il fait la connaissance de l’Autre ou des autres ; il nous rappelle aussi ces Français, amoureux de l’Algérie, qui étaient restés pour bâtir la patrie choisie, ces instituteurs qui ont semé le rêve dans la tête des gamins pour les ouvrir sur l’humanité…

« Monsieur Perrin faisait partie de cette race d’instituteurs qui ne doit plus exister. Homme fin et élégant avec un teint toujours pâle, maladif. Ce maître avait conquis le cœur de tous les mioches, sans rudoiement et sans éclats de voix. C’était un honneur que d’être l’élève de monsieur Jean Claude Perrin»

Les livres donc, la littérature et les oiseaux qui zèbrent le firmament, passion de verdure qui remonte aux majestueux sommets du Djurdjura, la montagne-être qui a la tête dans le firmament ; la poésie de l’amour, oscillant entre le possible et l’impossible, de l’insouciance première à la découverte et subversion du corps, traverse cette histoire de ses émotions puissantes, pour planer au-dessus de la pesanteur des hommes, tels les volatiles de l’enfance, les oiseaux devenus désormais une vocation ; elle nous décrit une terre comme une infinité de misères en même temps qu’un royaume d’altitude.

« Les oiseaux de mes enfances étaient tous là, pépiant à tue-tête. Les mésanges agiles, les fauvettes malicieuse, les tourterelles pleureuses, les coucous au chant plaintif… Ils étaient là, les merveilleux oiseaux qui m’incitaient, dans ma naïveté d’enfant, à m’élever dans les airs, à quitter la terre des douleurs et m’envoler. Libre»

Le roman d’Ali Mouzaoui, Dans le ciel, des oiseaux et des étoiles, est une métaphore, une allégorie presque du rêve et de la liberté.

Louenas Hassani (romancier)

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