22 novembre 2024
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Mahieddine Bachtarzi, « l’Arabe » de Jean Cocteau

Mahieddine Bachtarzi
Mahieddine Bachtarzi

Lorsque Jean Cocteau (1889-1962) rencontre Mahieddine Bachtarzi (1897-1986), il « l’enferme » dans un roman en 1923. Le Grand écart, est son premier roman et le titre renvoi à l’un des établissements de music-hall parisien qu’avait créé l’Hispano-Américain Louis Moyés durant les années 1920.

La rencontre Cocteau-Bachtarzi a-t-elle eu réellement ? Bien que les deux personnages aient un même penchant pour le spectacle et le rire artistique, rien n’indique qu’ils se sont connus en France où ailleurs. Ayant une différence d’âge de huit ans, Cocteau, le poète-peintre et Bachtarzi le ténor-comédien partagèrent les folles joies de la nuit parisienne à travers le jazz et le music-hall des années Folles.

Le roi du Maroc, Moulay Youssef avait en 1921, surnommé Bachtarzi le « Caruso du désert » et cela après avoir assisté au concert de la Société musicale El-Moutribia qu’elle donna dans les jardins du Quai d’Orsay lors d’une officielle du roi en France. Entre « Caruso de l’Afrique du Nord », selon la presse française et le « Caruso de l’Afrique » selon L’International Herald Tribune (15/2/1930), l’artiste algérien évolua aussi entre mondialité et mondanité que vivait aussi Cocteau avec son « Groupe des Six » des musiciens fraîchement sortis d’un conservatoire parisien et dont Picasso fut un de leurs complices en art.

Le nom de Mahieddine Bachtarzi s’introduit dans ce premier roman de Cocteau comme une graphie fictionnelle dans l’univers du poète. Il est « le fils d’un riche marchand de Saint-Eugène, qui est l’Auteuil d’Alger », c’est aussi un Turc d’origine qui arborait le tarbouche, un rouge, un de fourrure grise et un astrakan. Le Mahieddine de Cocteau est grand, gras et puéril ayant comme carte de visite au titre étrange de « Mahieddine Bachtarzi. Inspecteur ». Inspecteur de quoi ? On ne le saura pas dans le roman.

Le narrateur du Grand écart, nous le présente comme que celui qui écrivait des poèmes et respirait de l’éther. Un être à la lèvre baveuse « se fermant la narine gauche d’une main et, de l’autre, appuyant contre la droite un flacon de pharmacie ».

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Il n’y a lieu de ne faire aucune extrapolation avec un quelconque réel, nous sommes bien dans une narration fictionnelle étalée sur 141 pages de texte, partagée en 10 chapitre et un Epilogue. L’histoire est bien banale et mille fois contée en littérature. Un collégien, Jacques Forestier prépare ses examens à la pension Bertin, rue de l’Estrapade (Paris) en compagnie de Peter Stopwell, un Anglais champion du saut en longueur, de l’Arabe Mahieddine Bachtarzi et de Pierre de Maricelles, dit « Petitcopain ».

Par l’intermédiaire de l’Arabe que Jacques Forestier fait la connaissance de Germaine, une cabotine amie de Louise Champagne la danseuse amie de l’arabe et qui est « mieux placée dans le demi-monde que sur l’affiche ».

Mahieddine entraine Jacques dans la loge de sa maitresse où il découvre un être « dont la beauté penchait sur la laideur, mais comme l’acrobate sur la mort », lui-même se déplaçant avec des gestes d’un équilibriste. Mais le cœur de Germaine ne « débutait pas » pour  jacques, même, après leur voyage en Normandie où ils ont ressentis le seul moment d’un « bonheur aéré qu’ils eurent ». Elle se détourne de l’adolescent et s’enclora vers l’Anglais, ce champion « d’une immortalité multiforme sous l’uniforme sportif », avec qui, elle apprendra à lire le Times et à manger le porridge.

Jacques bien qu’incorporé à cette femme « qui se détache de lui sans transition », il se voit diminuer « à mesure qu’elle s’éloigne ». Il décide alors de mourir. La mort lui répond à l’appel, l’avance prudemment vers lui, trébuche et se retire. La chose de cocaïne qu’il avait prise est inoffensive et c’est le retour à Paris, après un mois de convalescence en Touraine.

Sur les plus de 25000 de lexèmes qui occupent l’espace textuel du roman de Cocteau, 48 phrases sont consacrées à Bachtarzi où son nom revient avec 53 occurrences et huit fois pour la désignation « d’Arabe ».  ce n’est pas un récit évocateur d’une Algérie d’antan, ni un hommage à l’artiste de la colonie-Algérie. Cocteau qui s’intéressait à cette époque aux seuls ballets ruse et suédois en tournées à Paris, n’avait un quelconque intérêt pour les spectacles commandités par les directeurs des Expos coloniales organisées par les proconsuls des colonies où Bachtarzi et sa Moutribia s’exhibaient comme une curiosité parisienne. Cocteau écrivait pour le spectacle, pour l’image des conteurs du corps et de l’exaltation. Il est l’artiste de la mondanité du boulevard du 8e arrondissement parisien. Bachtarzi est la voix chantante des salles de fêtes des 5e et 10e arrondissements.

Il est peut-être probable qu’entourer de quelques oreilles musicales savantes, Cocteau a eu à écouter l’un des 66 vinyles qu’avait Bachtarzi à son répertoire en 1922. En 1923, il attirait déjà l’admiration du grand Paris, tout comme Yasmina et les cheikhs Sassi, Seror et Menouar qui attendrissaient les soirées de quelques richissimes familles algériennes de Paris. Quant aux « notabilités» du bled, de passage en France, elles s’arrachaient leurs disques et les faisaient écouter dans la colonie, afin d’amuser la galerie coloniale.

Les chanteurs « arabes » et chansonniers nègres d’Afrique ne s’apprêtaient-ils pas à envahir le Paris de 1927, selon Le Journal du 31/12/1926, qui nous annonçait qu’un chanteur d’opéra à la voix basse profonde et magnifique, à fait ses débuts parisiens lors d’une soirée organisée le 30/12/1926 sous les hospices de Félix Falck, président de l’Afrique Artistique et sous-secrétaire au Gouvernement général d’Algérie. L’artiste est un certain Ben Saïd Bouziou (Bouzhou !) et c’est ainsi que le music-hall a cessé d’être le seul champ d’activité des vedettes exotiques.

Sous la haute bienveillance proconsulaire coloniale, Bachtarzi et sa troupe arabo – israélite d’Alger prenaient place dans les foires coloniales les 24 et 25/2/1926, à la Cité de l’information du pavillon des Forces d’outre-mer en ce  mois de septembre 1931, chantant et dansant pour cette Afrique du Nord touristique dans les féeries colonialistes de Paris et de Marseille. Pour ce maestro du proconsul d’Algérie, la curiosité barbare d’Afrique du Nord est à montrer aussi à Berlin, sur la Piazza San-Marco de Venise ou à la Villa Borghèse durant le mois d’août 1932. Le divertissement indigène contribuât aussi à soulager les « retombées » de la crise du capitalisme coloniale entre 1929 et 1934.

En inscrivant le personnage de Bachtarzi dans le monde de la débauche, Cocteau n’inventa rien de nouveau. Avant lui, Elissa Raïs faisait paraître dans la Revue des Deux-Mondes en 1919 Le Café chantant et quelle publiera en volume en 1923. Le roman de Cocteau continu un exercice de cette gymnastique intellectuelle destinée à l’éducation sentimentale de l’adolescent, dans une écriture impersonnelle bien éclipsée à toute autobiographie. Mais l’auteur sera trahi par les caractéristiques narratives.

Il se projette tantôt dans le personnage et tantôt dans la narration et révèle les contradictions de sa nature. Les obsessions de l’auteur sont projetées dans la fiction. Sous le nom de Germaine, l’étymologie arbore ses penchants incestueux par l’évocation du pays – l’Allemagne – de sa gouvernante Josephine Ebel. Son homosexualité se présente à travers le personnage Anglais Stopwell ou la manière de « Bien s’arrêter » ou encore avec son penchant pédérastique dans la combinaison du personnage Petitcopain.

Dans ce roman, Cocteau se découvre par sa pensée mortifère qui lui a permis d’imaginer des personnages enveloppés d’une auréole funèbre. Par la déroute narrative, le poète-peintre offre à ses lecteurs son portrait intime à travers l’exploration et la connaissance de la condition humaine – une partie de l’humain – et d’une vérité qu’il souhaite transcendante.

Par le biais de son narrateur, Cocteau souhaite nous révélés sa quête du surnaturel et de la métaphysique de l’homme face à son univers. L’adjectif « Seul » qui traverse le texte se transforme à la lecture, en double de l’auteur-narrateur dont une partie de lui-même, qu’il préfère ignorer.

Jacques et Petitcopain de Cocteau sont les seuls êtres sensibles, les autres, l’écrivain les voulaient comme le reste du monde, un épaisseur de solides brutes qui savent se heurter d’une façon rude sans se tuer et Bachtarzi fait partie du reste de l’humanité dans le regard de Cocteau.

Mohamed-Karim Assouane, universitaire.

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