24 novembre 2024
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Bachir Hadj Ali et les amères vérités sur les communistes algériens

Bachir Hadj Ali

Réponse à une tribune de Mustapha Hadni du 23 mai 2023 à la gloire de Bachir Hadj Ali. Le Matin d’Algérie du 22 mai 2023 a publié une tribune titrée  « Bachir Hadj Ali : un communiste aux multiples facettes ». Hocine Kémal Souidi, docteur en sciences politiques, auteur de Les communistes, fondateurs du nationalisme algérien, à paraître bientôt, répond à l’auteur de l’article dans cette contribution.

Né le 9 décembre 1920,  mort en 1991, Bachir Hadj Ali a rejoint le Parti communiste algérien (PCA) en août 1945.  Membre du Bureau politique en 1949, il fut le premier responsable du PCA en Algérie pendant la guerre de libération. A l’indépendance, il devint premier  secrétaire du PCA. Après le coup d’Etat de Boumediene du 19 juin 1965, le PCA fonde  l’Organisation de la Résistance Populaire (ORP) avec  Hocine Zehouane et Mohammed Harbi, représentant la « gauche » du FLN. L’ORP fut décapitée au bout de deux mois : Hadjerès, Harbi, Zehouane, les dirigeants arrêtés.  Hadjerès fut  torturé puis emprisonné,  En novembre 1968, il fut assigné à résidence dans le Sud oranais. En 1970, la mesure d’assignation fut levée. Il n’était plus alors le premier responsable du  PAGS, Parti d’Avant garde socialiste,  créé en 1966 pour succéder au  Parti communiste. Sadek Hadjerès l’avait remplacé à ce poste. Il n’en demeura pas moins l’un de ses dirigeants.

La tribune de Mustapha Hadni est une ode à ce militant et, par là, au Parti communiste algérien. C’est en ces termes que se termine cet article : « Cette histoire qui ne lui a pas imparti d’autres destinées se doit encore de lui rendre l’hommage mérité et au parti qui l’a formé : le Parti communiste algérien (PCA) ». Il faut le dire clairement Mustapha Hadni déforme sciemment l’histoire. Ce qu’il écrit est contraire à la réalité.

Revoyons l’histoire réelle des communistes français et algériens face à la question nationale algérienne.

Dans les années 1920, le Parti communiste français (PCF) était le seul parti qui réclamait l’indépendance des colonies et de l’Algérie et ce dans le sillage de l’Internationale communiste. Pour exemple, il a été le seul, en France et en Algérie, à soutenir la révolte militaire de Abdelkrim dans le Rif marocain. Les militants en France et en Algérie (ils s’agissait presque exclusivement d’Européens) l’ont payé par très nombreux emprisonnements.

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En Algérie, la Région algérienne du PCF était la seule à réclamer publiquement l’indépendance de l’Algérie. Les communistes d’Algérie (presque tous Français) ont tenté de construire un parti nationaliste en Algérie. Pas une seule personnalité, pas une association algérienne, n’a soutenu l’opération qui a, de ce fait, avorté.

En 1926, l’Internationale et le PCF ont créé de toutes pièces l’Etoile Nord-Africaine dont la revendication centrale était l’indépendance. Ses leaders, de Abdelkader Hadj Ali à Messali, étaient tous communistes. Les militants, dans leur quasi-totalité, des ouvriers émigrés.

A partir de 1928, après l’écrasement de la révolution chinoise par Tchang Kaï-chek et le tournant classe contre classe pris par l’internationale communiste, les nationalistes devinrent des ennemis. Le PCF a tenté de liquider l’Etoile Nord-Africaine dirigée par des communistes algériens mais des militants, avec à leur tête Messali, communiste depuis 1925, ont repris le flambeau et sauvé l’Etoile.

En 1936, la Région algérienne du PCF devint Parti communiste algérien (PCA) avec à la direction des Algériens, Ben Ali Boukort étant secrétaire général. La même année, le PCF entra dans le Front populaire. Ce dernier proposa le projet « Blum-Violette » qui attribuait la citoyenneté française à environ 25 000 musulmans tout en maintenant en place le système colonial. Le PC avait approuvé et créé en Algérie le Congrès musulman avec les Oulémas et les élus (dont Ferhat Abbas). Ce Congrès réclamait le « rattachement pur et simple à la France ». L’Etoile Nord-Africaine s’y est opposée. Elle a conquis le soutien du peuple algérien. Messali est devenu le leader incontesté du nationalisme algérien. L’Etoile Nord-Africaine a été dissoute par le gouvernement de Front populaire avec l’assentiment des communistes. Elle devint le Parti du peuple algérien (PPA).

En 1945, au moment de l’insurrection dans l’est de l’Algérie, écrasée, sans pitié, dans le sang, au prix de milliers de morts, une délégation composée de responsables communistes français et algériens avait demandé au gouverneur général à Alger de réprimer sans pitié. Ils qualifiaient alors les insurgés et les dirigeants nationalistes de « fascistes » et de « nazis ».

Alain Ruscio, qui trouve pourtant que « le  rôle du PCF a été  globalement positif », écrit, en 2021, dans « Les communistes et l’Algérie des origines à la guerre d’indépendance, 1920-1962 » : « Il faut également rappeler que, dès le 10 mai, c’est une délégation commune des deux partis (Amar Ouzeggane en faisait partie, mais aussi Victor Joannès, Henriette Neveu et Paul Caballero) qui fut reçue au Gouvernement général à Alger par Paul Alduy (1914-2006), chef de cabinet et qui exigea une répression contre les « meneurs ». En fait, c’est tout l’appareil communiste – PCF et PCA – de ces jours maudits qui a gravement dérapé ».  Les deux PC n’avaient pas simplement dérapé. Ils avaient traihi le peuple.

Le 12 juin 1945, Amar Ouzeggane, secrétaire général du Parti communiste algérien, appelait dans Liberté, à une répression impitoyable et s’en prenait directement à Messali : “Les instruments criminels, ce sont les chefs du PPA, tels Messali et les mouchards camouflés dans les organisations pseudo-nationalistes. Il faut châtier rapidement et impitoyablement les organisateurs de ces troubles, passer par les armes les instigateurs de la révolte et les hommes de main qui ont dirigé l’émeute”. 

Concernant la guerre d’Algérie, en lisant Mustapha Hadni, on a l’impression que les maquis communistes étaient très importants. C’est loin d’être la réalité. Le principal maquis, les « combattants de la liberté », dans l’Ouarsenis, comptait une douzaine de militants. Il fut   rapidement localisé et démantelé par les troupes françaises et les harkis de Bachagha Boualem. Quatre d’entre eux, Maurice Laban, Henri Maillot, Belkacem Hanoun et Djillali Moussaoui furent tués.

Un autre groupe, dirigé par Djilali Guerroudj, a été « versé » au FLN à Alger sous les ordres de Yacef Saadi. Ils ont participé à des attentats mais ont vite été arrêtés après la tentative de dépôt de bombe à l’usine de gaz par Fernand Yveton. Ils étaient à peine une dizaine. Yveton et Taleb ont été guillotinés, les autres emprisonnés jusqu’à l’indépendance. Il faut noter ici la lettre publique écrite par Djilali Guerroudj pour dénoncer la direction du PCA et sa démission du PC. Quelques militants, citons Henri Alleg et Maurice Audin, ont agi dans des structures plus ou moins communistes. D’autres ont tenté de rejoindre les maquis ou les réseaux du FLN. Certains ont été intégrés, d’autres exécutés par le FLN comme Georges Raffini ou Laïd Lamrani.

Après l’indépendance, le PCA a passé un accord avec Ben Bella en lui assurant un soutien inconditionnel en échange de l’autorisation de publier Alger Républicain.

En 1965, le putsch de Boumediene a été qualifié par les communistes de fasciste et de pro-américain. Le PC a alors créé avec l’aile « gauche » du FLN, Mohammed Harbi et Hocine Zahouane, l’Organisation de la Résistance Populaire (ORP) qui demandait au peuple de se soulever contre Boumediene. Le peuple n’était pas prêt à se sacrifier pour ramener Ben Bella au pouvoir. L’ORP, isolée, fut décapitée : des dizaines de cadres, Zahouane, Harbi, Hadj Ali, furent arrêtés. Beaucoup, dont Hadj Ali, furent torturés puis emprisonnés.

Au printemps 1966, l’ORP, désertée par Hocine Zahouane et Mohammed Harbi, devint le Parti d’avant-garde socialiste (PAGS) qui, après avoir prôné un soutien critique, a rapidement oublié la critique. Le soutien « critique » du PAGS à Boumediene se transforma rapidement en soutien sans faille.

Pourtant, il s’agissait du même pouvoir dictatorial de l’armée avec parti unique. La Sécurité militaire avait toute liberté d’action. Elle arrêtait, torturait, emprisonnait sans contrôle. C’est ainsi, entre autres, que ses agents ont assassiné à l’étranger les grands dirigeants de la guerre de libération Krim Belkacem et Mohamed Khider, que des centaines et des centaines de personnes ont été arbitrairement arrêtées, torturées. Ben Bella croupissait en prison. L’arrivée au pouvoir de Chadli Bendjedid en 1979 créa quelques troubles dans le PAGS mais le soutien au régime en place, quant au fond, ne se démentit pas.

Pendant toute cette période, le PAGS s’était opposé aux revendications populaires les plus élémentaires. Il a refusé de lutter pour les libertés démocratiques, le droit de s’organiser librement, de créer des partis indépendants et d’en finir avec le parti unique. De même, il a refusé de lutter pour les revendications des populations berbères et de participer à la création de la Ligue des droits de l’homme.

Le PAGS qualifiait ces revendications démocratiques de « bourgeoises » et même de contre-révolutionnaires. Il justifiait ainsi son soutien tacite à la féroce répression exercée contre ces mouvements.  En 1984, Chadli imposa un « statut personnel » pour les femmes basé sur les lois religieuses. Le PAGS, au lieu de combattre pour son rejet, demanda qu’on adopte de simples « amendements »  dans le cadre de la loi islamique.

Dans l’Union générale des travailleurs algériens (UGTA), le PAGS refusa de lutter pour que les travailleurs élisent librement leurs représentants. Petit à petit, ses militants entrèrent dans les « commissions de candidature » qui avaient pour mission de trier les candidats sous la direction du FLN. Ils en présidèrent même certaines. La direction du PAGS alla jusqu’à demander à ses militants occupant des postes dans les unions ou les fédérations de l’UGTA de prendre leur carte du FLN.

Il faut noter ici que ces questions politiques n’intéressent en rien Mustapha  Hadni. Pas une ligne de sa tribune ne leur est consacrée. Au contraire, il met en relief « le socialisme incarné par le régime de H. Boumediene ».

L’explosion populaire d’octobre 1988 fut suivie d’une féroce répression entraînant des centaines de morts, des milliers de blessés, des milliers de torturés et d’emprisonnés. Deux mois plus tard, le 22 décembre 1988, Chadli Bendjedid, candidat unique, fut « réélu » président. Le PAGS avait appelé publiquement à voter pour lui.

C’est là le véritable bilan politique du Parti communiste algérien et de ses dirigeants de l’époque. Ils ont conduit les militants, dévoués et prêts à tous les sacrifices, dans des voies, des impasses politiques, contraires aux intérêts du prolétariat. Aujourd’hui, on peut considérer que le Parti communiste n’a aucune réalité en Algérie.

Il est impossible, comme l’a écrit Mustapha Hadni, de rendre hommage au Parti communiste algérien (PCA). Ses dirigeants Ben Ali Boukort, Amar Ouzeggane, Sadek Hadjerès,  Bachir Hadj Ali ont  été, en réalité, les fossoyeurs du communisme en Algérie.

Hocine Kémal Souidi, docteur en sciences politiques, auteur de : Les communistes, fondateurs du nationalisme algérien, à paraître bientôt

– Journaliste à Alger Républicain 1964-1965.

–  Militant de l’Organisation de la Résistance Populaire en 1965.

– Arrêté septembre 1965. Torturé, deux ans de prison

– Membre fondateur du Parti d’Avant Garde Socialiste (PAGS) en 1966.

– Mis en « liberté provisoire » en 1967.

– Militant syndicaliste dans l’UGTA.

– Créateur de la première section syndicale libre dans l’UGTA après 1962 à la Banque Extérieure d’Algérie (BEA).

– Membre du bureau de l’Union Territoriale d’Alger Centre (UTAC) de l’UGTA en 1973-1974.

– Quitte le PAGS en 1974 pour désaccord sur la ligne de conduite dans l’UGTA et sur le « soutien critique » à Boumediene.

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