Deux jeunes adolescents assis sur le bord d’un trottoir, l’un descendant de parents pieds noirs l’autre descendant de parents d’émigrés discutent à bâton rompus sur les relations entre les deux pays, le premier pose la question au second, après tout, qu’est-ce que l’Algérie :si ce n’est « un drapeau planté sur un puits de pétrole », le second piqué sur le vif réplique et la France à ton avis c’est quoi ? « Un coq sur un fumier ».
La discussion s’enflamme, ils allument chacun une cigarette, « sans pétrole et sans gaz, tu n’as pas de drapeau » ; je peux dire autant pour la France « sans fumier, le coq meurt ». C’est l’heure, il est temps de retourner en classe. C’est l’heure de l’épreuve d’histoire. Une histoire tronquée par nos grands-parents. Les jeunes algériens qui n’ont connu ni la guerre de libération, ni le socialisme de la mamelle, ni la guerre civile des années 1990, ni la corruption massive des années fric de Bouteflika, ne sont plus dupes. Ils savent que la terre est comme une femme, plus on la laboure plus elle donne du blé et ils sont décidés de faire de l’Algérie un grenier de l’Europe et un potager de l’Afrique.
Pour peu que l’argent du sud retourne au sud, le nord en a fait un très mauvais usage avec la complicité du grand Nord. Le ciel est loin de la mer … et je suis loin de la terre, une terre de Dieu qui m’a été confisquée par les hommes, des hommes pourtant mortels, mais le savent-ils vraiment ? « La plus grande et la plus épouvante histoire serait l’histoire des hommes sans histoires, des hommes sans papiers mais elle est impossible à écrire ».
Le mouvement migratoire des peuples est un phénomène marquant de ce XXIème siècle. C’est une revanche de l’histoire des africains dépouillés injustement de leurs richesses naturelles par l’occident triomphant en perte de vitesse vivant de son passé « glorieux », d’un présent tumultueux et pour un avenir incertain.
Des populations à la recherche d’une liberté illusoire et d’un bonheur hypothétique fuyant les interdits de la religion, de la politique et de la pauvreté. Mais, une fois en contact avec la dure réalité de la société d’accueil et des valeurs qui la sous-tendent, ils deviennent nostalgiques en se chuchotant à l’oreille (pour que les compatriotes restés au bled ne les entendent pas) : « loin de toi je languis, près de toi je meurs ».
La France est incrustée dans notre cerveau sclérosé, l’Algérie est vivante dans leur mémoire agitée. De l’indigénat à l’indigence, le pas est vite franchi. Une indépendance à deux visages : celle des héritiers de l’Algérie de la France et celle des laissés pour compte de l’Algérie sans la France. L’Algérie des deux rivages, la France des deux visages.
Dr A. Boumezrag