« La lutte de l’homme contre le pouvoir est la lutte de la mémoire contre l’oubli, » Milan Kundera.
« Le roman n’examine pas la réalité mais l’existence. Et l’existence n’est pas ce qui s’est passé, l’existence est le champ des possibilités humaines, tout ce que l’homme peut devenir, tout ce dont il est capable. »
« L’autodérision est la forme la plus élevée de l’orgueil, car elle sous-entend que vous vous êtes déjà tellement élevé que vous pouvez vous permettre de rabaisser ce que vous êtes. » Milan Kundera
Il est des écrivains qui nous happe lorsqu’on les lit. Il nous susurre une réalité qui nous bouleverse. Parfois, on se trouve dans cette expérience de lecture à se dire que c’est presque nous qui écrivons tellement nous nous identifions aux réalités peintes et décrites.
L’expérience de lecture de Kundera en tant que lecteur/récepteur algérien avec son référentiel nous ne laisse pas indifférent. Nous vous proposons dans cette humble contribution un survol de ses œuvres à partir de notre vécu culturel et social et tentons d’y isoler des résonnances et échos.
Milan Kundera est connu pour ses romans philosophiques qui explorent la condition humaine sous les régimes totalitaires. Ses œuvres les plus célèbres comme La Plaisanterie, La Vie est ailleurs et L’Insoutenable Légèreté de l’être se déroulent dans le contexte de la Tchécoslovaquie communiste des années 1950 à 1980. Bien que son œuvre soit ancrée dans un contexte historique et géographique précis, les questions existentielles qu’elle soulève ont une portée universelle. Nous nous proposons ici de montrer en quoi certaines situations décrites par Kundera dans ses romans présentent des similitudes frappantes avec des aspects de la réalité algérienne contemporaine.
L’un des thèmes centraux de l’œuvre de Kundera est la perte des repères moraux et spirituels sous un régime totalitaire qui impose son idéologie de façon coercitive. Cette perte de repères entraîne un sentiment de vide, d’absurdité de l’existence que l’on retrouve de manière poignante dans La Lenteur ou L’Identité.
Or, ce sentiment n’est pas sans rappeler une certaine désillusion ressentie par la jeunesse algérienne actuelle, après les espoirs suscités par le mouvement Hirak. La société de consommation et l’ouverture au monde via Internet bouleversent les valeurs traditionnelles sans proposer de nouveaux horizons mobilisateurs. Ce vide idéologique plonge une partie de la jeunesse dans une quête existentielle parfois destructrice, faite d’émigration clandestine, de suicide ou de réislamisation radicale.
Un autre aspect central de l’œuvre de Kundera est la dénonciation du « totalitarisme » de la vie privée. Dans L’Insoutenable Légèreté de l’être, il montre comment les jeux de séduction et les liaisons amoureuses répétitives peuvent devenir une forme d’enfermement, une répétition qui étouffe la liberté.
Là encore, le constat fait écho à l’évolution de la société algérienne où les relations homme-femme restent encore très codifiées, notamment à cause du poids de la tradition. Le machisme ambiant et le conservatisme social empêchent souvent les individus, surtout les femmes, de vivre pleinement leur vie privée, sentimentale et sexuelle.
En dépit des différences de contexte historique et culturel, l’œuvre de Milan Kundera présente donc des situations et des questionnements qui résonnent fortement avec certains aspects de la réalité algérienne actuelle. La perte des repères philosophiques, politiques et moraux, l’absurdité de l’existence, l’enfermement des codes sociaux sont autant de thématiques universelles que Kundera explore avec finesse et profondeur dans ses romans. Son œuvre peut ainsi nous aider à mieux comprendre et dépasser certains défis contemporains de la société algérienne.
Quelques éléments supplémentaires que nous pourrions ajouter pour approfondir et étayer notre propos
– Détailler davantage la désillusion de la jeunesse algérienne après le Hirak. Donner des exemples concrets de manifestations, de slogans ou de revendications portées par les jeunes à cette époque et qui sont restées lettre morte par la suite.
– Citer des extraits de romans de Kundera illustrant le sentiment du vide existentiel et les comparer à des témoignages de jeunes Algériens aujourd’hui. Montrer concrètement les similitudes d’état d’esprit, de questionnements.
– Donner plus d’exemples de la rigidité des codes sociaux algériens dans la vie privée : la place de la virginité avant le mariage, les limites des rencontres entre jeunes, le poids du regard de la communauté sur les comportements amoureux, etc. Croiser avec des analyses sociologiques sur l’évolution de la société algérienne.
– Comparer le poids de la bureaucratie kafkaïenne décrite par Kundera à celui de l’administration algérienne actuelle : paperasse, lenteurs, arbitraire des décisions, petits pouvoirs des fonctionnaires, etc.
– Élargir en montrant en quoi d’autres aspects de l’œuvre de Kundera, comme la critique du stalinisme ou du capitalisme de consommation, peuvent faire écho à des problématiques de la réalité algérienne.
L’idée serait d’aller plus loin dans l’analyse et les exemples concrets pour bien mettre en lumière les similitudes existentielles entre l’univers kundérien et la réalité algérienne contemporaine.
Voici quelques axes supplémentaires que je pourrais creuser pour prolonger l’analyse :
– Développer une sous-partie sur la place des femmes dans l’œuvre de Kundera et en Algérie. Montrer les luttes des héroïnes kundériennes pour leur émancipation et les rapprocher du combat des femmes algériennes pour leurs droits et leur liberté.
– Faire un parallèle entre la critique de l’hypocrisie sociale chez Kundera et l’importance des apparences et du « paraître » dans la société algérienne. L’obsession de la réputation, les faux-semblants, l’écart entre vie privée et vie publique.
– Étudier la manière dont Kundera déconstruit le mythe du grand amour éternel et la comparer à l’évolution des mentalités algériennes sur le couple, le divorce, les relations hors mariage.
– Analyser l’humour et l’ironie chez Kundera et rapprocher ce ton de certains auteurs algériens contemporains qui usent de dérision pour décrire leur société (ex : Boualem Sansal).
– Creuser la comparaison dans les procédés littéraires : importance de la mémoire, narration à plusieurs voix, fluidité entre réel et fiction… Montrer que Kundera a pu influencer des écrivains algériens contemporains.
L’objectif serait à chaque fois d’enrichir et d’approfondir l’analyse en multipliant les angles de comparaison pertinents entre l’œuvre de Kundera et la réalité sociale et culturelle algérienne.
Interroger l’œuvre de cet écrivain majeur du XXe siècle aux prismes de notre réalité algérienne, nos travers et nos attentes, c’est inscrire notre pratique de lecteur dans une perspective pédagogique de compréhension du monde. Perspective de se positionner dans le monde. Nous énoncer en tant qu’actants actifs, en tant qu’actants autonomes et libres.
Lisons et relisons Milan Kundera. Tant de portes fermées peuvent être forcées à la seule idée de notre désir de vivre et nous affranchir des jougs et des oppressions.
Saïd Oukaci, Doctorant en sémiotique