23 novembre 2024
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En route vers Abdelhafidh Yaha : « Feu, beau feu ! »

Il y a des hommes d’honneur qui ont allumé les feux libérateurs, de 1954, de 1963, de 1988 et de 2001 que nul ne pourra éteindre. Parmi eux, Abdelhafidh Yaha. Il y a des hommes de circonstances, qui, pyromanes, militaires de l’ANP ou simples citoyens, brûlent les maquis, cet été 2012 sans effets escomptés…

La route de Larbâa Nath Iraten (*) qui serpente vers Aïn El Hammam nous semblait plus large en ce matin caniculaire du vendredi 25 août 2012 : en contrebas, les versants sud fument encore des derniers incendies à proximité du bitume et les nombreuses décharges amoncelées. Les villages en contrebas, vers le sud, la commune d’Aît Aggouacha, Aït Yenni, Aït Mahmoud,  Akbil, Iboudrarène et Yatafène vers le sud est,  se ramassant à flanc de ravins ou s’égrenant sur les contreforts semblent comme surgir, nus, rescapés de la géhenne. Alentour, une terre rasée de sa végétation, dénudée qui laisse surgir les arêtes de pierres noircies, comme autant de vigiles témoins des ravages du feu.

Par endroits, à proximité de cette nationale 15 laissée à l’abandon et grignotée en amont par des locaux commerciaux à usage multiple, des décharges publiques fument à proximité d’un barrage militaire. Un paysage lunaire là où, l’hiver dernier, une autre catastrophe s’est abattue : la neige avait bloqué la région et nul secours n’y parvenait.

En cette matinée de vendredi 24 août, ce sont des minibus feux clignotants, klaxons mugissant et les dépassements dangereux qui constituent l’essentiel de la circulation dans les deux sens. Ce sont des cortèges de mariages sans les traditionnelles troupes de « tbabla« , ni même de youyous. Est-ce en raison de cet air irrespirable qui pèse sur la route et les voyageurs ?

Les incendies, à peine éteints, laissent s’échapper, aussi, autour des villages, des colonnes de fumée esseulées et les arbustes raides, morts, craquent, bois mort au détour d’un méandre de cette route qui retrouve, comme au temps de la guerre de libération, sa solitude des guet-apens et des guérites militaires.

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Les propos des personnes rencontrées avant Aïn El Hammam prennent aussi les reliefs des intonations oubliées lors des ratissages, ici, des chasseurs alpins. On chuchote : « Ce sont les hélicoptères de l’armée, l’ANP, qui, volant en rase motte, déverse une poudre inflammatoire qui, au contact de la végétation sèche, déclenche, des flammes sans raison apparente à l’œil nu« . D’autres parlent de produits chimiques à l’origine du même phénomène. Pour quelles raisons ? Actes criminels ?

Les citoyens rencontrés restent circonspects. Mais plusieurs voient dans ces ravages des incendies une politique de la terre brûlée comme moyen de lutte antiterroriste très efficace. Plus de fourrés, d’arbrisseaux qui permettent aux terroristes d’échapper à la surveillance des forces de sécurité.

Aux Aït Aggouacha, des villages entiers ont été fuis par leurs habitants menacés par les groupes terroristes et se sont réfugiés, pour ceux qui n’ont pas quitté la région vers les villes, Tizi Ouzou ou Bouira, dans les villages agrippés au roc du Djurdjura.

On ajoute qu’aucun pyromane, qu’il soit militaire ou simple citoyen, n’a été vu ou surpris dans les environs brûler un pneu et le lancer, éparpillant ses flammèches, dans sa course vers les ravins. Mais tous sont unanimes à faire la relation entre des survols d’hélico et le départ du feu comme provoqué par la seule canicule.

Pourtant, à mi-chemin, une aire improvisée de « casse » d’automobiles qui pend tôles, moteurs, essuies, et toute une ferraille hétéroclite, menaçant de se fracasser sur les bordures des flancs nord de la route, des pneus usés jusqu’à n’en plus pouvoir tenir, sont là, amoncelés. Puis, plus rien. Mais, lorsqu’on le voyageur scrute les champs accidentés décoiffés par le feu qui se précipitent de manière encore plus prononcée vers les ravins, il s’aperçoit que ces départs de feu ne sont pas sauvages. Qu’ils sont calculés, bien répartis, ciblés.

Des parcelles de champ des côtés nord et sud des villages sont grillés, tandis que celles d’est en ouest, ils ne le sont que partiellement, surtout à proximité des habitations. Des incendies stratégiques ? Il y a tout lieu de le penser.

Au barrage militaire, les militaires ne se font pas trop visibles avec leur tenue caméléon. Un jeune soldat semble même assoupi, debout sur un talus. Un cortège festif ralentit à hauteur du point fixe du barrage, éteint  ses feux de détresse qui, paradoxalement, signalent un événement heureux, et se faufilent entre les blocs de ciment peint en rouge.

La route peut reprendre son rythme saccadé vers Aïn El Hammam qui s’annonce dans un tohu-bohu à son entrée. Ce n’est pourtant pas jour de marché, ce vendredi.

Des immeubles récemment construits, à gauche et à droite penchent leur façade, menacent effondrement sur une multitude de marchands dont les étals obstruent la route, bloquent ce qui fut l’espace des trottoirs et cachent les enseignes des magasins. Des bars sont ouverts à cette heure d’une mi journée de poisse, à proximité d’aires commerciales ceintes de murs fortifiés en béton armé.

Des voitures, des voitures, rien que des voitures, là ou jadis, à proximité de « Asqif n Tmana », là où repose le poète irrédent Si Mohand U Mhand, des ânes faisaient la sieste en faisant claquer leurs oreilles assaillies d’une armée de mouches et de moucherons intrépides, attirés par les morceaux de pastèques coupés en tranches nettes et servant de « témoin » de leur bonne qualité juteuse et surtout par les cageots de figues trop mûres.

Rien ne sert de s’énerver au volant dans ce couloir surchauffé à blanc avant d’accéder enfin, au bout d’une heure, vers l’air relativement libre, pour encore rouler en escargot sur une route défoncée, sale,  de gauche à droite, des arcades de magasins, encore des magasins, jusqu’en dépassant le collège qui porte le nom d’une figure légendaire de la révolution armée de cette région de « anerrez wala aneknu » (Plutôt rompre que plier) : Amar Ath Cheikh. Là même où la réalité du présent désespère, des noms de héros, sans stèle aucune, viennent y donner un goût de légende.

Car, ce voyage, est pour les « incendies » d’une autre nature, autrement plus prégnant que ceux qui se veulent de conjoncture, en cet été sans gloires de 2012.

Nous roulons vers Iferhanounène, là même où les paysans, maîtres des transhumances, se sont rebellés contre la Révolution agraire de 1972 qui menaçait les populations d’expropriations des aires de pâturages d’Azrou N’Thour. Ils ont assiégé la sous-préfecture de l’époque, avec des serpes, des faucilles, des haches en cette année de 1972. Le sous-préfet de l’époque, surnommé, dans les maquis de 1954 et ceux de 1963, du FFS, Smaïl Ouguemoune, ne s’est pas opposé à la protesta.

Et ce n’est certainement pas, celui qui symbolise l’Honneur du Djurdjura, Si L’hafidh Yaha dont Smaïl Ouguemoune était l’adjoint dans les maquis de la rébellion de 1963, qui s’y serait opposé, s’il n’avait pas été contraint à l’exil. Car la route, nous la faisons vers Takhlidjt Nath Itsou vers Abdelhafidh Yaha.

Peu importe ces feux de broussailles, dans lesquels, semble-t-il, des terroristes ont été cuits comme des rats, le feu vers lequel nous avons pris la route est, pour reprendre, l’un des titres d’un conte immémorial d’un recueil de Mohammed Dib Feu, beau feu n’est pas un incendie de « routine » contre lequel viendraient à bout, de simples détachements de pompiers.

L’eau, entre Larbaâ Nath Iraten et Aïn El hammam n’est pas faite pour ce genre de catastrophes. Fraîche et « trop précieuse », elle coule, fontaine des aïeux, pour désaltérer les bandits d’honneur, les maquisards de la première heure « novembriste« , comme Amar Ath Cheikh et son émule des maquis libérateurs, Si L’Hafidh Yaha vers la demeure duquel il est toujours difficile d’accéder.

Non pas en raison des incidents de parcours, encore mois des incendies qui livrent bataille aux terroristes d’Al Qaïda qui se sont frayés une voie d’accès dans ce haut pays, sous la bénédiction d’Abdelaziz Bouteflika que personne ici ne connaît ni ne cite comme président de la République.

Aucun portrait de lui. Place à Matoub Lounès qui, après Larbaâ Nath Iraten a été criblé de balles par la gendarmerie « nationale » en Octobre 1988 sur cette même route où a sévi, selon son expression « a djadarmi laâr » (le gendarme de la honte) et, plus avant, le portrait d’Amar Ath Cheikh, sans doute empreint de condescendance, par les jeunes de la région qui l’ont peint, mitraillette au poing.

Après Iferhounène, la route que l’on pensait abrupte, descend, dévale, serpente, prend à contre-pied notre voyage, se fait rétive, s’insinue dans une végétation maquisarde annonçant, sur les rares plaques de signalisation, non plus des « Beni » ou des « Abi« , mais des « Aït » ou « Ath« . Il a fallu pas moins de quatre haltes, de questions, de renseignements, de précisions, de détails toponymiques pour enfin accéder à Ath Arbi après Khensous et pouvoir enfin descendre de la voiture près d’une maison majestueuse, comme ses propriétaires, Monsieur Abdelhafidh Yaha et Madame Yaha Nouara, une fille du pays, comme il n’en naît plus.

Si Lhafidh n’est pas chez lui, nous apprend un automobiliste de passage qui s’arrête, gare sa voiture, salue les invités de Si L’hafidh que nous sommes, avec déférence, prend son portable, se démène pour appeler le maître des lieux. Il nous apprend qu’il est parti honorer le 40ème jour du décès d’un de ses compagnons de maquis de 1954, et qu’Il n’a pas oublié notre rendez-vous : « Il y a plus urgent« , lui a-t-il dit. Son épouse Nouara nous reçoit. Si L’hafidh ne tarde pas à venir. Majestueux.

Affable. Le jeune homme de 22 ans dont le père qui l’aimait tant et avec lequel il a pris le maquis dès 1954 a été brûlé vif par les chasseurs alpins, et dont la mère n’a rien dit de la maison de refuge des maquisards sous la torture, entre, avec son sourire majestueux, qui n’a pris aucune ride, par la sincérité du sacrifice pour le combat sacré de 1954 et du combat de la rébellion contre « le clan d’Oujda » mais auss  pour « la démocratie » en 1963 et de 2001.

Feu, beau feu ! Dans ce coin de terre qui inspire retraite, calme et la contemplation, bouillonnent les rebellions à venir. Le jeune homme d’une vingtaine d’années qui a défié le Colonel Amirouche lors de l’épisode sanglant et fratricide de « l’affaire de la bleuïte » dont il a arrêté le bain de sang au péril de sa vie, entre, nous salue, sans autre cérémonial que la modestie faite homme.

De cette rencontre motivée par la publication de son premier volet, cadre générique de ses combats aux longs courts Ma guerre d’Algérie. Au cœur des maquis de Kabylie. 1954-1962propos recueillis par Hamid Arab » que des incendies puissent être provoqués ou motivés dans le cadre de la lutte antiterroriste ou même pour semer la pagaille dans une Kabylie fermée à Abdelaziz Bouteflika, cela ne pourra être d’aucun effet sur cette trempe d’homme. Alors, « Feux, beaux feux ! »

Rachid Mokhtari

(*) Article paru dans lematindz.net le 15 août 2012.

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