Abdelouahab Mouheb ce poète de génie discret qui a écrit pour Slimane Azem et Idir s’est éteint le 24 octobre 2023 à l’âge de 75 ans, chez lui à Villejuif (région parisienne), vers 20h d’un arrêt cardiaque dans son sommeil.
Abdelouahab Mouheb est originaire du village Tifrit Naït Oumalek dans la commune d’Idjeur en Kabylie, au pied de l’Akfadou, dans la mémoire collective des villageois Abdelouahab Mouheb est presque un mythe, une légende, il est l’héritier des poètes antiques, le poète, le fabuliste, il est celui qui a écrit pour l’immense Slimane Azem. C’est dire l’immensité également de ce poète.
À Paris, Abdelouahab était aussi Aby pour les uns ou Albert pour d’autres. Il était un poète hors du commun qui avait une maîtrise parfaite de la langue kabyle, son amour pour la poésie et les contes anciens était immense. Il maniait aussi la langue française à la perfection, féru de littérature, de poésie, il pouvait aisément passer du kabyle au français, ses traductions poétiques et ses poèmes en kabyle sont d’une dimension esthétique élevée.
Il avait accepté il y a quelque temps de répondre à mes questions mais nous n’avons jamais réussi à nous revoir. A chaque fois il y avait un fâcheux contretemps. Cet entretien ne se fera jamais, il avait pourtant tant de choses à raconter sur sa rencontre avec Slimane Azem, sur sa collaboration avec Idir et sur son parcours artistique personnel.
En 1974, grâce à un ami bijoutier Salah Cheref, issu du même village, qui avait une bijouterie avec sa femme française à Belleville, il rencontre Slimane Azem à Paris, dans son café situé boulevard de la Chapelle, une collaboration s’ensuit avec Slimane Azem qui était émerveillé par ce jeune poète.
Abdelouahab Mouheb remet à Slimane Azem cinq poèmes qu’il chantera. Slimane Azem lui donne cinq cents francs, ce qui était une belle somme pour l’époque avec la promesse de le déclarer à la SACEM, ce qui ne se fera malheureusement jamais malgré l’insistance d’Abdelouahab. Une semaine après cet échange Abdelouahab revient au café voir Slimane Azem, celui-ci lui dit que la chanson, Muḥ yetabaɛ Muḥ, est sous presse, Abdelouahab s’enquiert de la promesse de le déclarer à la SACEM, Slimane Azem lui promet une nouvelle fois qu’ils iraient ensemble, ce qui n’arrivera jamais, même après l’entremise du frère d’Abdelouahab qui écrit à Slimane Azem à Moissac, l’intervention est restée lettre morte.
Abdelouhab n’a plus jamais, à notre connaissance cherché après Slimane Azem. Nous aurions aimé que cette collaboration perdure vue la beauté de ces poèmes avec la composition et l’interprétation de génie de Slimane Azem.
– Awin i k-id yeran a Simoh Oumhend
– Yusa-yid lefker
– Muḥ yetabaɛ Muḥ
– Le poème l’hirondelle, l’adaptation en français de la chanson, Ay afrux ifilelles
– Tamɣeṛt d umcic
En 1981 Abdelouahab Mouheb est à radio berbère. Il participe à des émissions poétiques, où il a côtoyé Abdallah Mohia, c’est la rencontre de deux poètes, avec qui il a gardé une grande amitié, ils avaient une admiration réciproque.
Abdelouahab Mouheb a côtoyé Idir pendant de longues années, ils ont été très proches, il était le parolier de sept chansons de l’album, Le petit village, Taɣribt-iw, avec la chorale Tiddukla de l’ACB de Paris (l’association de culture berbère), en 1985.
– Taddart-iw (Le Petit Village)
– Aman yeddren (L’Eau vive)
– Aԑeqqa n yired (Le Grain de blé)
– Amɣar (Le Vieux)
– Taɣribt-iw (Sources)
– Itran, tiziri (Au clair de la lune)
– Tiziri yulin (Les Trois Petites Fées)
Des années plus tard, il écrit les paroles de la chanson, Ageggig, de l’album, les chasseurs de lumières, « Iseggaden n tafat », le titre de l’album est tiré du poème, Ageggig.
La collaboration avec Idir s’est hélas terminée après cet album. Abdelouahab Mouheb considérait qu’Idir ne reconnaissait pas sa vraie valeur, il ne l’a jamais cité ni en public ni dans les médias.
Tel est le destin du poète de génie resté dans l’ombre malgré sa collaboration avec les plus grands, Abdelouahab Mouheb s’en est allé comme il a vécu en toute discrétion, sans prévenir. Il m’avait confié son désir de publier un livre, hélas il est parti avant sa réalisation, que sa belle âme repose en paix.
Je vous laisse apprécier la beauté de cette chanson chantée par Idir, écrite par Abdelouahab Mouheb.
Brahim Saci
Merci pour cet hommage qu’il mérite amplement. J’ai eu la chance de partager près de trois ans de sa vie. Tous les deux, nous avions travaillé dur. Chacun dans notre domaine, le sien : les poèmes, le mien : la musique. Pas moins de quatorze morceaux sont nés de ce labeur mais qui n’ont jamais vu le jour du fait, sans doute, d’une réputation qui le précédait et qui, selon moi, n’ai jamais trouvé de légitimité si ce n’est d’avoir osé se défendre (ce que vous relatez dans votre article) contre les méfaits de monsieur Azem. Aby a eu le génie de vouloir chanter lui-même les chansons. Je dois avouer qu’il fut un piètre chanteur. Il le savait. Nous nous étions souvent disputés à ce propos. Je lui suggérais alors d’envisager un chanteur. Mais je compris assez rapidement que, loin d’attendre la gloire, il préférait le défi, sans attendre de retour. Tout chez lui était une forme d’apprentissage, sans fin. Ses textes me restent encore en mémoire : vindicatifs, tordant au passage dieu et diable, l’humain et son irrésistible besoin matérialiste. Il eu le courage dans sa poésie, de faire un constat simple mais lucide : « l’Homme et le diable ont un point en commun crucial, l’égoïsme ». Il m’a enseigné en maître, ma culture, le combat d’un peuple, la fierté sans doute d’en être issu. Il m’a surtout appris, l’amour des mots, qu’ils soient français, kabyles, peu importe mais pourvu qu’on les comprennent, qu’on les prennent et puis qu’on les transmettent. Je pense que nous aurions pu faire un très bel album. Ce n’est pas ce qui l’intéressait. C’était sans aucun doute un être complexe, comme nous tous, mais chez lui, cela se voyait bien plus que chez les autres. L’hypocrisie n’était pas sa meilleure compagne.
Bonjour
j’ai garder cet article publier sur mon défunt oncle aby, paix a son âme et je viens de lire également votre commentaire ainsi que votre temoiniage.
Merci d’avoir pris le temps de rendre cet hommage pour mon oncle aby.
J’aimerais beaucoup écouter ces 14 chansons