Dorothée-Myriam Kellou vient de nous émerveiller par la publication d’un livre poignant, « Nancy-Kabylie », paru chez les Éditions Grasset. Ce livre époustouflant de beauté, de vérité, arrive comme un éclair dans le paysage littéraire parisien.
Nancy-Kabylie, un livre bouleversant. Il bouscule, il écorche, il interpelle le cœur et l’esprit, accapare le lecteur dès les premières pages pour ne plus le lâcher et celui-ci se laisse emporter par chaque ligne, par chaque page, par les souvenirs attachants mais souvent rudes d’une époque, d’une injustice passée sous silence, qui l’enveloppent et l’interrogent.
Dorothée-Myriam Kellou est animée par une quête perpétuelle quasi-spirituelle, de vérité, tentant d’apporter à chaque fois dans chaque création un éclairage nouveau. Rencontre.
Le Matin d’Algérie : Vous venez de publier un fabuleux livre Nancy-Kabylie, chez les Éditions Grasset, mais avant de parler de votre livre, qui est Dorothée-Myriam Kellou ?
Dorothée-Myriam Kellou : C’est une très bonne question. Qui suis-je ? Qui sommes-nous ? Car la quête est aussi collective. J’essaie d’y répondre dans mon livre en prenant ces détours par la France, l’Égypte, la Palestine, les États-Unis et l’Algérie. Mon père, Malek, qui a longtemps été silencieux sur son histoire m’a raconté dernièrement un mythe berbère sur l’identité. Nous sommes un miroir brisé. Toute notre vie durant, nous allons chercher les morceaux de ce miroir dispersés pour retrouver notre image. Grâce à ce livre, j’ai retrouvé de nombreux morceaux, mais il m’en reste beaucoup d’autres à trouver.
Le Matin d’Algérie : Vos créations sont toujours une quête de vérité, briser les silences à tout prix, d’où vous vient cette soif de liberté ?
Dorothée-Myriam Kellou : Peut-être me vient-elle de mes parents, qui tous deux ont eu soif de liberté très jeunes ? Mon père Malek a quitté son village, son pays pour embrasser le rêve du cinéma et se marier avec ma mère, Catherine, née dans une famille de la grande bourgeoisie, milieu qu’elle a souhaité quitter à son tour pour faire l’expérience du monde, du voyage et de la liberté.
Le Matin d’Algérie : Parlons de votre livre, il semble être le plus personnel, Nancy Kabylie, pourquoi le choix de ce titre ?
Dorothée-Myriam Kellou : J’ai aimé l’idée du tiret dans Nancy-Kabylie. J’ai longtemps cherché mon histoire algérienne. J’ai grandi à Nancy, voyagé et vécu en Égypte et en Palestine, étudié l’histoire et la langue arabe en France et aux États-Unis. Quand je suis arrivée à Mansourah, dans le village de mon père, dans le Sud de la Kabylie, ma famille me parlait en kabyle. J’ai alors pris conscience que le premier voyage que je cherchais à faire était Nancy-Kabylie, pour retrouver la langue, la mémoire, l’histoire du village kabyle où a grandi mon père.
Le Matin d’Algérie : Parlez-nous de la genèse de ce livre ?
Dorothée-Myriam Kellou : J’ai réalisé un podcast pour France culture, qui s’appelle l’Algérie des camps. Il s’agit d’une enquête de deux heures en huit épisodes qui interroge les conséquences du déracinement en masse qu’a subi la population algérienne pendant la guerre d’indépendance. À l’issue de la diffusion de ce podcast, j’ai reçu un mail de Pauline Perrignon, éditrice chez Grasset. Elle m’a demandé si j’avais le désir d’écrire. Elle avait senti en moi « une voix d’auteure », m’a-t-elle dit. J’avais déjà écrit une cinquantaine de pages sur la base de notes que j’avais prises lors de la réalisation de mon film À Mansourah tu nous as séparés (2019), où mon père était le fil rouge de l’histoire. J’ai alors osé poursuivre ce voyage intérieur et écrire ce livre de manière très intime.
Le Matin d’Algérie : Vous connaissez le poids du silence, en quoi votre livre est-il un travail de mémoire ?
Dorothée-Myriam Kellou : Je dis que c’est un travail de mémoire librement réimaginé. Je me suis laissée une liberté pour réécrire ma quête à partir de mes souvenirs de ce « grand voyage initiatique », comme l’appelle mon père. Grâce à ce travail de mémoire, commencé avec le film, À Mansourah tu nous as séparés, poursuivi avec le podcast, l’Algérie des camps, et le livre Nancy-Kabylie, j’ai été capable de chercher du côté de l’oubli l’histoire de mon père, de son peuple et de faire exister des paroles silenciées. Ce silence m’était insupportable. J’avais besoin que mon père me raconte, que les siens me disent ce qu’ils avaient vécu, dans l’intime, au plus profond d’eux-mêmes, pour comprendre leurs blessures, celles dont nous avons héritées en silence.
Le Matin d’Algérie : Un mot sur votre père Malek
Dorothée-Myriam Kellou : Mon père s’appelle Abdelmalek Kellou. Cela m’étonnait toujours enfant de voir son prénom écrit différemment par l’administration française, tantôt Abdelmalek, tantôt Malek. Pour moi, il était papa Malek. J’étais très admirative de lui et le reste. Il a franchi terres et mer pour réaliser son rêve de faire du cinéma, pour s’exprimer librement, de manière créative. Enfant, j’aimais qu’il me fasse découvrir de beaux films d’auteurs au cinéma et qu’il me parle de ses projets de films. Plusieurs n’ont jamais abouti. L’un d’eux (Lettres à mes filles) a donné naissance à mon film, À Mansourah tu nous as séparés. Aujourd’hui, il termine un nouveau projet de film qui retrace l’histoire de son fantôme : le sergent Blandan, une statue coloniale qui se trouvait sur la route de son village à Alger, à Boufarik, et a été rapatriée et érigée sur la place publique à Nancy, où lui, l’exilé s’est installé et où nous avons grandi, ma sœur Malya et moi.
Le Matin d’Algérie : Votre double culture française algérienne vous a-t-elle aidée ou freinée dans votre carrière artistique ?
Dorothée-Myriam Kellou : Je pense que ce double ancrage est à la fois frein et élan. Cette part algérienne est toujours difficile à vivre en France. Les injonctions à la discrétion voire à l’effacement sont encore nombreuses. Mais c’est aussi une source d’inspiration et de création intarissable. Notre histoire, à nous descendants de colonisés, nous place en marge. Le défi est de ne plus faire de notre histoire une note de bas de page. Il faut œuvrer pour la remettre au centre, avec dignité et créativité. Nous sommes de plus en plus nombreux à le relever.
Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en perspective ?
Je travaille sur un projet artistique avec le musée des beaux-arts de Nancy pour imaginer un contre-regard sur cette statue du Sergent Blandan, héros de la conquête coloniale, qui faisait si peur à mon père, enfant.
Le Matin d’Algérie : Maintenant il vous reste à apprendre le kabyle, qu’en pensez-vous ?
Dorothée-Myriam Kellou : Oh, j’aimerais tant ! Mais où ? Nous manquons d’espaces et de lieux pour l’apprendre en France. Quand je vais dans un café kabyle à Paris, je leur demande toujours de m’apprendre un mot. Je collectionne les mots. Peut-être que dans un an, j’en aurai déjà 365 ?
Entretien réalisé par Brahim Saci
« Nancy-Kabylie », Dorothée-Myriam Kellou, Grasset, octobre 2023
Blandan qui était un tout petit village constitué de la toute nationale 44 (Annaba El Kala) avec de chaque côté des constructions de maisons coloniales, c’est actuellement El Tarf dans l’est de l’Algérie une wilaya soit l’équivalent d’un département.
« le sergent Blandan, une statue coloniale qui se trouvait sur la route de son village à Alger, à Boufarik, et a été rapatriée et érigée sur la place publique à Nancy, où lui, l’exilé s’est installé »…un destin partagé, une histoire de colonisation. Bravo pour votre travail. Bonne chance.
Incroyable ! Merci pour cette info et pour vos félicitations !
Juste pour vous dire que moi l’Algérois fils d’une Algéroise Fahs, j’ai parlé Algérois et Français toute mon enfance et ma jeunesse, j’ai pu apprendre le Kabyle, la langue de mes ancêtres et je le parle parfaitement comme je l’écris et le lis.
Lorsque on veut apprendre le Kabyle, comme l’ont appris des Européens ou autres, il n’y a pas plus facile. Il suffit de le vouloir.
Heureuse d’apprendre que c’est possible ! Félicitations à vous !
Félicitations pour votre travail sur un parcours sinueux mais très riche comme celui de milliers de Kabyles qui ont subi les affres de la guerre et sont aujourd’hui établis en France. Je souhaite beaucoup de succès à votre ouvrage.
Une association Anericaine “Tiwizi” est entrain de travailler sur une application qui sera publié très prochainement et qui facilitera l’apprentissage du Kabyle aux deux langues, English Kabyle et Français Kabyle. Be patient it is around the corner.
Thanks for your good work.
Tanemirt.