Qui n’aimerait pas lire ou relire Nedjma de Kateb Yacine et pénétrer cette œuvre connue pour être ardue et difficile d’accès ?
A plusieurs reprises, après des lectures assidues, je voulais m’exercer à faire des repérages et détricoter cette œuvre monumentale qui a suscité débats et recherches universitaires diverses en France et au Québec notamment. J’ai mené un travail de suivi des lignes narratives des différents protagonistes qui évoluent dans cet univers de Kateb Yacine.
Chaque personnage avait son tableau des actions et de sa progression dans le récit. Ce travail ardu m’avait demandé un temps conséquent. Après, il fallait résumer et en faire ressortir les grandes lignes.
Je vous présente ce travail qui j’espère n’est pas une répétition d’un effort d’un chercheur. Il se peut que mon présent travail souffrirait de quelques lacunes. Humblement, les critiques constructives et suggestions pour enrichir cette réflexion autour de cette œuvre si singulière et riche me seront d’un grand apport.
Nous avons fait la connaissance de Rachid, Mourad, Mustapha et Lakhdar, quatre amis insoumis vivant dans l’Algérie coloniale. Leur quête existentielle sera bouleversée par l’énigmatique Nedjma, fille issue d’un viol colonial.
Au fil des chapitres, alternant les points de vue, Kateb Yacine nous plonge dans les tourments intérieurs de ces hommes en révolte contre leur destin. Leur quête de vérité sur les origines de Nedjma les a menés à braver les interdits sociaux.
De Bône à Constantine en passant par Tlemcen et le refuge sauvage du Nadhor, nous avons suivi leurs péripéties mouvementées, entre amours contrariées, révolte et survie dans la nature hostile. Si Mokhtar a levé le voile sur les non-dits, mais Nedjma est demeurée une figure insaisissable, entre symbole et être de chair et de sang. Au terme de leur quête, nos héros auront-ils trouvé réponse à leurs interrogations sur l’identité et la justice bafouée ? Auront-ils pu échapper aux carcans d’une société complexe ?
Au cœur du récit, il y a la quête de vérité autour de la mystérieuse Nedjma et de ses origines. Sa naissance illustre les non-dits de l’histoire coloniale.
Les personnages sont mus par le désir de comprendre leur lien à Nedjma, mais aussi leurs propres identités dans une Algérie en pleine mutation. Chacun cherche sa place, entre révolte, amour impossible et survie dans un monde hostile. Leur destin semble lié par le secret qui entoure Nedjma.
En multipliant les points de vue et les temporalités, Kateb Yacine offre un regard riche sur la société algérienne de l’époque, tiraillée entre traditions et modernité.
Le récit use habilement de procédés littéraires comme les rêves et les délires pour sonder l’intime et mettre en lumière les non-dits. La quête initiatique culmine dans la violence libératrice avant de laisser place aux interrogations finales sur le sens de l’existence.
Kateb Yacine fait habilement varier les points de vue entre ses différents personnages masculins : Rachid, intellectuel tourmenté ; Lakhdar, farouche rebelle de la montagne ; Mustapha, fonctionnaire rêveur ; Mourad, prisonnier en proie au désespoir.
Chacun apporte un éclairage unique sur la société algérienne bouleversée par la colonisation. Leurs destins sont liés par leur quête de la vérité sur Nedjma, symbole de leur patrie meurtrie.
La structure en chapitres relativement courts crée un rythme haletant, parfaitement servi par le style ciselé de l’auteur. Rebondissements inattendus et révélations s’enchaînent.
Les thématiques identitaires, politiques et psychologiques résonnent avec force grâce à des personnages nuancés, entre héroïsme et fragilité humaine.
La montée de la tension narrative culmine dans la violente confrontation pour « libérer » Nedjma, avant l’introspection des dernières pages.
Nedjma, d’abord, elle apparaît comme une figure mystérieuse et fatale, objet de désir des hommes qui la convoitent. Son nom même, « étoile », souligne son statut d’incarnation du destin algérien. Puis, la quête de vérité en révèle les origines troubles, fruit d’un viol colonial. Cette révélation bouleverse les hommes et fait basculer Nedjma dans la violence de l’action. Au refuge du Nadhor, elle refuse de se soumettre à la volonté des autres, restant maîtresse de son libre-arbitre malgré son statut d’otage. Sa fuite marque l’émancipation définitive de cette femme forte, qui ne se laissera enfermer dans aucune catégorie. Dans les dernières pages, Nedjma demeure une figure insaisissable, à la fois symbole et être humain libre de tout déterminisme.
Ainsi, au fil du récit, Kateb Yacine construit le personnage complexe et énigmatique de Nedjma, symbole d’une Algérie meurtrie mais désireuse de se réapproprier son destin.
Passons à la ligne narrative de Rachid. Ce personnage apparaît comme l’intellectuel tourmenté du groupe, guidé par sa quête mystique de la Vérité. C’est lui qui relance l’enquête sur les origines de Nedjma. Nous suivons ses réflexions intérieures, empreintes de mélancolie et de désarroi face aux bouleversements politiques et identitaires de l’Algérie. Lorsque la vérité éclate sur la naissance de Nedjma, c’est lui qui prend la décision radicale de « libérer » la jeune femme de son destin imposé. Au refuge du Nadhor, il assume son rôle de guide spirituel auprès d’elle, refusant de la contraindre à sa volonté. Dans les dernières pages, Rachid demeure le témoin désillusionné mais résilient de leur quête initiatique, continuant à interroger les non-dits de l’histoire collective.
Ainsi, Kateb Yacine fait de Rachid le meneur intellectuel du groupe, au cœur des bouleversements intérieurs et des tourments de son époque.
Lakhdar apparaît comme l’indomptable rebelle issu du monde berbère de la montagne. Il refuse les carcans de la société coloniale.
Dans les premiers chapitres, sa colère bouillonnante éclate à maintes reprises contre les symboles d’oppression. Lorsqu’il frappe le chef de chantier, sa révolte le pousse à prendre la fuite vers son refuge sauvage. Errant dans les hauteurs hostiles, il semble chercher l’apaisement intérieur loin des agitations humaines. Un épisode onirique le confronte à son désir pour Nedjma. Finalement, c’est dans la nature sauvage qu’il trouve refuge, refusant jusqu’au bout d’être dompté par quelque autorité que ce soit.
Kateb Yacine fait de Lakhdar l’âme rebelle en révolte permanente contre les carcans. Son parcours résonne avec la fierté indomptable de notre peuple algérien.
Mourad apparaît comme l’amoureux éconduit de Nedjma, rongé par la jalousie envers ses rivaux. Puis, son amour frustré le pousse aux actes violents contre Si Mokhtar, qui le dénonce. Emprisonné, son état physique et moral se dégrade, à l’image de sa patrie meurtrie. Dans sa cellule, il ne vit que de souvenirs et de regrets, ruminant ses désirs inassouvis. Lors des visites de Rachid, il se confie sur ses tourments intérieurs, sa solitude et sa perte de repères. Gravement malade, il semble ne plus trouver réconfort ni raison de vivre, abandonné de tous. Finalement, c’est dans le désespoir et la déchéance que s’achève son destin tragique.
Ainsi, par le biais du parcours de Mourad rongé par la passion et l’oppression, Kateb Yacine illustre magnifiquement les ravages de la condition coloniale sur l’âme humaine.
Si Mokhtar est introduit dès le début, il intrigue par sa connaissance des secrets de Nedjma. Lorsque les hommes croisent sa route, ses révélations relancent leur quête de vérité. Pourtant, sa propre origine et ses motivations demeurent embrumées tout au long du récit.
Fait-il avancer l’intrigue par hasard ou calcul ? Ses intentions suscitent le doute. Lors du face-à-face crucial au Nadhor, il semble manipuler les événements de l’ombre. Même les dernières pages laissent son rôle et son sort dans la pénombre de l’indécision.
Kateb Yacine fait de ce personnage énigmatique une allégorie de l’Algérie ? Un catalyseur du drame ? Quoi qu’il en soit, Si Mokhtar hante l’intrigue de ses non-dits, à l’image du destin colonial… Si Mokhtar semble détenir les clefs du mystère Nedjma. Pourtant, derrière ses révélations, on devine de sombres desseins. Lors de ses rares apparitions, son comportement intrigue : ses mots sont-ils à double tranchant ? Manipule-t-il sciemment les hommes ? Au refuge, sa confrontation avec Lakhdar laisse présager le pire. Quel rôle joue-t-il vraiment dans l’escalade violente ?
Même diminué physiquement à la fin, son aura demeure inquiétante. S’est-il servi des hommes pour assouvir une vengeance personnelle ?
À travers lui, Kateb Yacine semble dénoncer les non-dits de l’histoire algérienne, les manipulateurs souterraines dont le peuple fut victime. En somme, Si Mokhtar incarne à merveille l’opacité des dessous de l’histoire. Sa complexité fascinante nourrit réflexion et questionnements.
Sémiotique des lieux
La ville coloniale incarne à la fois l’oppression politique et l’étouffement identitaire. Ses rues labyrinthiques semblent enfermer les personnages dans un destin trouble. Symbole inversé, la montagne offre aux âmes turbulentes l’évasion vers un ailleurs sauvage et libre. Mais le refuge qu’elle représente s’avère illusoire… Quant au village natal, il matérialise les racines déchirées d’un peuple meurtri par l’histoire. Ses maisons renferment les secrets de la conquête coloniale. La prison, microcosme symbolique s’il en est, accentue physiquement et psychologiquement la dépossession de soi. Elle hante les mémoires. Enfin, le Nadhor révèle tragiquement les failles d’une quête d’identité détournée par les manipulateurs de l’ombre.
Les espaces, ouverts ou fermés. Il s’agit là d’un angle privilégié pour saisir les enjeux identitaires au cœur de l’œuvre. Les personnages autochtones évoluent dans des espaces qui leur sont impartis de manière restrictive. Le chantier représente leur univers professionnel clos, dominé par la figure autoritaire de l’Européen M. Ernest. Le café maure symbolise leur entre-soi communautaire, face au regard extérieur du colonisateur. Leur mode de présence se caractérise par une certaine soumission contrainte aux espaces de l’autre. Mais cette aliénation spatiale s’accompagne d’une ressource intérieure indomptable, illustrée par la révolte sauvage de Lakhdar.
Leur quête initiatique de Nedjma les pousse aussi à investir les territoires montagneux hostiles du Nadhor, symboles de leur héritage tellurique. Les Européens comme M. Ernest ou le détestable Ricard imposent quant à eux leur domination sur des espaces productifs ou politiques dont ils excluent les indigènes. Leur mode de présence renvoie à l’arrogance du colon s’appropriant les terres de l’autre. On assiste donc à une dialectique complexe d’ouverture et de fermeture des espaces, reflétant la confrontation coloniale en terres algériennes.
Les personnages autochtones évoluent aux marges des lieux de pouvoirs européens – le chantier, l’administration – qu’ils hantent en périphérie de leur présence intimidée.
Leur appropriation de l’espace se fait donc en marge, avec une forme de bravoure souterraine. Je pense notamment à la fonction cathartique du café maure, ou au caractère initiatique de leur quête dans les territoires hostiles du Nadhor. À l’inverse, les colons s’affichent dans des lieux centraux de pouvoir et de productivité agricole ou industrielle, polarisant toutes les tensions. Leur mode de domination spatiale trahit leur profond malais face à une terre dont ils savent confusément ne pouvoir s’arroger totalement la légitimité. C’est ainsi que se nouent ces forces contradictoires qui secoueront le pays à l’heure des libérations à venir. Là réside selon moi toute la pertinence prophétique de cette œuvre, qui cartographiait en filigrane les lignes de fracture d’un ordre colonial voué à s’écrouler. (A suivre)
Saïd Oukaci, Doctorant en sémiotique
Que dire du silence de Nedjma dans le roman? Lecture bien narratologique mais assez éloignée de la lecture politique de cette oeuvre d’un écrivain qui publia son œuvre en tant que militant du PCA tout d’abord et non en tant que mercantiliste.nous savons tous ce qui s’est passé après sa disparition avec les droits d’auteur. Personne n’a encore tenté ce genre de lecture politique qui rendrait un réel hommage à notre écrivain révolutionnaire.
Oh la la, ca sent la nostalgie… KY, sa clairevoyance lui a coute’ la vie. Et dire que les crapules auteurs de son meutre et d’autres, sont possiblement encore en voe. A soufrir j’espere.