22 novembre 2024
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Récit-feuilleton. Exils (10)

Le lycée, imposante bâtisse de plusieurs hectares. Rebaptisé Kerouani, à l’origine Albertini. Plusieurs cours garnissaient l’intérieur. D’innombrables salles de cours où nombre d’heures de permanence lui permirent d’assimiler leçons et poèmes. On  disiont alors récitations. Edifice trônant au centre ville, il était convoité par beaucoup.

Des murs imposants. Des fenêtres grillagés. Une double entrée, l’une du côté de la principale avenue de la ville réservée aux enseignants et l’autre située perpendiculairement aux lycéens. Sobre de l’intérieur, avec peu d’étages. Des figures prestigieuses y étudièrent, dont des écrivains renommés et des ministres de l’Algérie indépendante. Il est encore aujourd’hui l’une des fiertés de Sétif. Et comment ne pas évoquer chikh Maïza avec sa légendaire moustache et Ammi Dhouadi parmi le personnel dévoué à ce lycée.

Dès la sixième, nous fûmes happés par une boulimie de lecture. Une soif de lire et d’appendre. Incommensurable envie de découvrir. Inextinguible désir d’étancher des curiosités longtemps refoulées. Retenues jusqu’à ce moment magique de la réussite à l’examen d’entrée au lycée. Désenchantement intermittent aussi. Les élèves furent pourtant les cobayes de moult expériences pédagogiques dont le bilinguisme sans la certitude de maîtriser une quelconque langue. Omar se souvient de la répartie, d’il y a quelques années, de Toufik, l’un des lycéens avec lesquels il s’était alors lié d’amitié : « Te souviens-tu d’avoir eu pendant tes vertes années un copain auquel tu avais donné le rôle de « Derradji colt », une satire des films spaghettis, quand nous étions des comédiens naïfs ? Quelle sorte de comédiens a fait de nous le destin ou peut être la « nécessité historique » aujourd’hui ? ». Des comédiens naïfs certes sur lesquels le destin continuait de s’acharner…

Récit-feuilleton. Exils (9)

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Et comment ne pas se rappeler surtout le désœuvrement de certains d’entre eux. Désert culturel oblige, ils devinrent les habitués des cafés proches du lycée. Il leur arrivait aussi de promener leur mal de vivre le long de la principale avenue baptisée 8 mai 1945 ; qualifié également rue de Constantine. Parfois, et surtout en été, ils bivouaquaient à Aïn Fouara. Sans doute que les jeunes de la bourgeoisie locale vivaient autrement ; minoritaires et ne connaissant rien de la vie de leurs propres concitoyens, leurs parents les pourvoyant en tout. Sous leurs yeux impuissants à juguler leur révolte intérieure. Leurs parents craignaient, chaque jour que Dieu fait, la maladie, les infirmités suite à de possibles d’accidents du travail, le chômage. Comme disait sa mère malade, la douleur à travers le corps c’est comme une décharge électrique. Triciti. Et tout dans votre tête bascule…

Son père n’y pouvait rien, avec son épaisse et broussailleuse moustache tel un arbuste, les cheveux courts auréolés autour de la tête. Par résignation, il levait souvent les bras au ciel, découvrant ses doigts jaunis par la nicotine. Ce père que il visitait à la sortie des classes le chantier où il turbinait.

Ses compagnons d’infortune, souvent des amis de cafés, le soulevaient de terre pour l’arroser d’embrassades et de quelques douros pour acheter de la haloua. Souvent, il repartait chez lui, non loin, avec une brioche que son père achetait à son intention.

Sur le chemin, il voyait au café les adultes avachis sur des tables vieillis pour jouer aux dominos, faisant claquer leurs rectangles d’os pour faire de l’effet. Ce père qui, malgré sa misère, voulait toujours se donner bonne contenance. Sa gestuelle altière est demeurée en lui. Il l’a gardée intacte jusqu’à sa vie d’adulte. Comme pris au piège de la vie, dans un monde inextricable. Il lui arrivait de se dire qu’ils sont des Osmanis, par référence sans doute aux Turcs Ottomans dont le fondateur était Osman (en arabe Othmane, th comme en anglais dans Kathleen ou en arabe dans Kalthoum) et qui ont débarqué un jour à El Djazaïr et qu’il avait une tante en Kabylie.

Au commencement, El Djazaïr fut soumise à la domination phénicienne et à l’empire romain, puis celle plus brève des Vandales et des Byzantins. Okba ibn Nafi, venu de la péninsule arabique avec ses troupes a pu s’y installer, non sans résistance. Les prédicateurs musulmans y établirent les écoles coraniques et les zaouïas. Venant d’Arabie d’où ils furent chassés, les Beni Hillal trouvèrent des populations islamisées et parlant en arabe. Plus tard, les corsaires turcs prirent Alger en 1515. Il en résulta la Régence, définie comme une sorte de protectorat, qui dura plus de trois siècles. A sa tête le Dey qui, investi par la Sublime Porte, commanda les janissaires  et une administration bureaucratisée. Il était secondé par trois Beys qui s’établirent à Constantine, Médéa et Oran dont il semblerait que leur principale mission fut de percevoir des impôts sur la population. Cependant, malgré la Régence turque, le pouvoir était entre les mains des autorités locales d’alors : caïds et cheikhs ; ces autorités locales ont pris, au début du XIXème siècle, la tête du mouvement de révolte contre la fiscalité et les exactions du beylik.

Les beys eurent du mal à maîtriser ce mouvement. Dey et beys finirent par partir lors de la pénétration coloniale française. Des populations métissées, que l’on retrouve également en Tunisie. Ces populations portent le nom de Kouloughlis ou Kouroughlis que l’on transcrit également Koroghli et Keraghel.

Il semblerait que l’histoire de Koroghli soit un cycle d’épopées orales que l’on retrouve dans diverses régions du monde, des Balkans à l’Asie Centrale. Le héros central du cycle Koroghli est traduit par le fils de l’homme aveugle (le héros a été aveuglé après la mort de sa mère). Dans les versions de toutes ces régions, Koroghli réunit un groupe de guerriers autour de lui avec qui il effectua  des exploits héroïques. Dans les versions des chanteurs turcs et azerbaïdjanais notamment, le héros est une sorte de hors-la-loi, de ménestrel, qui lutte contre le sultan.

Dans les versions asiatiques Centrales (Turkmène, Ouzbeque, Kazakh), il  est représenté comme une personnalité doté d’une grande puissance. Ce cycle épique est populaire non seulement parmi les gens qui s’expriment en turc, mais également parmi les Tadjiks parlant iranien. Dans les diverses traditions, l’épopée de Koroghli est une sorte de mixture de vers et de prose…

C’est ainsi qu’au fil du temps, plusieurs événements auraient interféré dans l’histoire du port de la mlaya (comme celle que porta sa mère toute sa vie) ; ainsi, on attribue le recours au port de la mlaya par les femmes de l’Est à l’occupation du Beylik de l’Est par l’armée coloniale française et à la défaite de Hadj Ahmed Bey, dernier bey de Constantine. Celui-ci combattit l’armée coloniale française jusqu’à 1837, à partir de Constantine et d’Annaba. Et jusqu’à 1849, il paraîtrait qu’il leur mena la vie dure, des Aurès aux portes du Sud. Et, dit-on, Hadj Ahmed Bey était un Koroghli. Proclamé pacha, il se considéra comme dey après la capitulation de Hussein Dey le 3 juillet 1830 ; il se choisit même un drapeau et frappa une monnaie. Il fut sans doute le dernier chef de guerre en sa qualité de résistant dans l’Est algérien à l’occupation française, l’imaginaire populaire collectif le confondant avec Salah Bey.

A Alger en revanche, Régence et ancienne ville pirate, il existait un cloisonnement entre les couches d’une population hiérarchisée selon l’origine ethnique qui conditionnait les activités dans la cité : Turcs, Koroghli, Maures, Kabyles, Arabes, Juifs, Chrétiens… Ainsi, ai-je pu lire : la caste des turcs domine sans conteste le pays. Les Kouloughlis sont des petits parents que l’on ménage ; les Maures, des sujets ; les Berbères et les Arabes des ennemis en puissance ; les juifs, des inférieurs que l’on méprise profondément mais dont on ne peut se passer ; les chrétiens, des esclaves*… (A suivre)

Ammar Koroghli-Ayadi, auteur-avocat 
Email : akoroghli@yahoo.fr

*Pierre Boyer : « La Vie quotidienne à Alger à la veille de l’intervention française ».

1 COMMENTAIRE

  1. Le travail d’Albertini sur les inscriptions latines d’Algérie est colossal. Grâce à son travail, conjugué à celui d’autres épigraphistes, archéologie et historiens, la période la plus lumineuse, la plus féconde, la plus civilisée de notre histoire est connue. Et qu’ont fait nos prédateurs destructeurs ? Débaptiser un lycée pour le donner à un personnage qui renvoie à notre ruine. Si au moins le lycée a été construit par les destructeurs, ont l’aurait compris.

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