24 novembre 2024
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Récit-feuilleton. Exils (18)

Pendant ce temps-là, ils subissaient la médiocrité de leurs enseignants dont certains n’avaient visiblement cure de leur instruction, encore davantage de leur éducation; rares parmi eux qui ont su éveiller leur intérêt  pour les études.

Il se souvient de certains d’entre eux qui s’attablaient littéralement sur le bureau et dictait la leçon du jour, sans autre forme de support efficace. Quasiment tous excellaient en revanche quant aux interrogations écrites. Le système des examens trimestriels, sous forme de compositions, ne tenaient même compte des notes obtenues en cours d’année dans ces fameuses interrogations de sorte qu’elles apparurent rapidement comme un moyen des enseignants non pas de tester véritablement leurs connaissances mais de les punir pour un chahut de certains condisciples. Une punition collective pour écarts individuels. Il est vrai que certains excellaient dans cet exercice.

Récit-feuilleton. Exils (17)

Comment, dans ces conditions, pouvait-on espérer faire d’eux des foudres de sciences et de culture ? De la sixième à la terminale, il y eût cependant quelques enseignants qui, leur charisme aidant, leur permirent d’acquérir quelques rudiments de culture. Ils avaient  collectionné les lacunes, outre que les leçons et autres poésies apprises par cœur en vue d’une bonne note –à l’école primaire pour un bon point- furent oubliées au fur et à mesure que le temps passait. Il est vrai qu’au sortir de l’indépendance, il fallait tout reconstruire. Cette explication se suffit-elle à elle-même ? Certainement pas…

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El Jarda. Le jardin de l’Emir Abdelkader. Anciennement jardin d’Orléans. Omar s’y réfugiait pour fuir la chaleur accablante  de l’été. Pour y lire tranquillement. Que de romans lus à l’ombre des arbres ! Que de joutes oratoires avec certains de ses camarades de lycée. La fougue de l’adolescence, jeunesse immaculée. Immature et saine. Enthousiasmante. Il eut à réviser également ses cours pour le baccalauréat. De nombreuses journées à lire et relire. Rabâcher en fait.

Ils avaient peu d’ouvrages tant en philosophie que dans d’autres matières. Agréables moments tout de même, teintés d’angoisse. L’échec n’était pas permis. Il ne l’envisageait pas. Se couper ainsi du monde pour ses chères études. Un monde qui se gaussait d’eux. Hormis les cours de dessin, point de culture au lycée. Ni films à projeter, ni conférences, ni de récitals poétiques. Que du rabâchage en vérité. L’espace d’El Jarda lui donnait l’impression d’échapper à cette tentaculaire main mise sur leurs consciences.

Entre allées, verdure et arbres. Quelques rangées de plantes, parfois de fleurs. De la simplicité. Le jardinier, père de l’un de ses camarades de classe, s’en chargeait avec amour. Quelle n’était sa colère lorsque l’un d’eux prenait des libertés avec son jardin ! Gare à la réprimande à portée de langue. Souvent, c’était le calme. Propice à l’évasion. Quelques rares couples s’y aventuraient. Les quelques salles de cinéma alors existantes étaient pour ainsi dire interdites aux filles, ainsi qu’aux couples. Un monde machiste. La misogynie était la règle.

La rue comme les espaces censés être publics étaient plutôt le royaume de l’homme. Particulièrement l’été. Les filles se réfugiaient alors dans les feuilletons égyptiens, parfois américains. Vivre mentalement et par procuration. Il était pourtant loisible d’organiser des activités permettant d’échapper à la morosité ambiante. Il faut croire qu’ils étaient quantité négligeable pour leurs dirigeants d’alors.

Pour eux, l’essentiel résidait dans l’institutionnel. Mettre en place toutes sortes de structures qui ne manquaient pas de se muer en dédales bureaucratiques. Ayant pour la plupart d’entre-eux crapahuté dans les djebels ou vécu du côté des frontières, ils pensaient sans doute que leurs concitoyens devaient vivre ainsi.

Du sadisme à l’état pur. Parce qu’ils n’ont pu profiter de leur jeunesse, ils les privaient de la leur, mais pas celle de leur progéniture qui avait accès à tout. Surtout aux voyages. A un moment où on continuait à leur  seriner des discours surannés, à mettre tant de conditions pour l’obtention d’un passeport et à instaurer la fameuse autorisation de sortie. Pour sortir, il fallait l’assentiment de l’Etat qui s’érigeait ainsi en père autoritaire. Un autoritarisme de masse. Si bien que, souvent, Omar n’avait d’autre choix en été que d’aller à la campagne de ses grands-parents…

Les derniers soubresauts de la malheureuse bête lui donnèrent, si on ose dire, la chair de poule. Si digne dans la basse-cour, le coq gisait inerte à ses pieds… Pris dans le tourbillon du quotidien, la campagne devenait une île déserte ; seules quelques personnes âgées peuplaient encore ces terres immenses qui s’étalaient à perte de vue. A longueur d’année, les jeunes fellahs quittaient les champs pour aller se réfugier dans les bras inhospitaliers de la ville, cette épouse terrible qui dictait à ses prétendants ses conditions draconiennes. Perdu dans ses méditations, il ne s’apercevait même pas de la tasse de café déposée près de lui.

De ses retours au douar des Ouled Mosly, lieu natal de sa mère, il lui semblait que rien n’avait fondamentalement changé. Les fermes construites à la chaux, depuis des décennies, finissaient par dépérir ; elles étaient toujours au même emplacement, comme figées par le temps. A l’entour, rien n’avait été construit, ou presque. On lui avait parlé de l’école du village que les enfants des douars avoisinants fréquentaient. L’hiver rigoureux des Hauts Plateaux les obligeait à rester chez eux, les pistes y menant étant souvent tellement embourbées et le vent si incisif que les enfants renonçaient à leurs cours.

En cet été clément, l’horizon dévoilait la beauté de la terre, les sillons tracés en exhumant les odeurs. Spectacle fascinant où se mêlait le charme des bruits qui se répondaient en écho. Telle une musique se déversant du ciel sur les mottes de terre, les sons des flûtes se mêlaient aux aboiements des chiens et les gazouillis des oiseaux ; ce chœur discordant déterrait les souvenirs de l’enfance.

Dieu, que le temps passe vite ! Parfois, une ombre de femme furtive dans la ferme d’en face rasait les murs pour se diriger vers le puits. Les gosses sautillaient sur la place aménagée pour le battage du blé. Leurs cris fendaient le silence en morceaux et se mélangeaient aux sons déjà perçants.

Les volutes de fumée s’échappant des cheminées de fortune annonçaient la préparation du dîner…

L’été n’a jamais été pour lui qu’une rude saison de chaleur. Avec ses lambeaux de rêves volés à l’enfance. Combien d’entre eux ont été dérobés au temps et emmitouflés dans un coin de mémoire ? Les films qu’il voyait naguère lui permettaient d’être insouciant. De continuer cet état second de l’enfance omniprésente. Une sorte d’ubiquité de l’être. Charlie Chaplin le charmait. A cette époque, on était aussi gavé de films westerns où les indiens se faisaient littéralement massacrer. Les valeurs du mensonge leur étaient inculquées. Subrepticement. L’enfance, foyer de toutes les leçons. Atre où brûlaient les instants les plus doux et les plus amers à la fois. Le mouloud avec ses bougies, son djaoui et son bkhour relatait les mille et une tribulations d’un peuple. (A suivre)

Ammar Koroghli-Ayadi, auteur-avocat 
Email : akoroghli@yahoo.fr

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