La langue est un moyen de communication qui véhicule des paroles ou des écrits clairement exprimés ou parfois par des mots ou périphrases au sens caché.
Pour cette seconde catégorie, ils sont de tous ordres et nous pouvons nous en amuser pour certains, un peu moins pour d’autres. La principale raison généralement invoquée est la pudeur qui ne permet pas d’employer certains mots en les substituant par d’autres avec plus ou moins de réussite.
La pudeur nous dit le dictionnaire est la « Gêne qu’éprouve une personne délicate devant ce que la dignité lui semble interdire ».
Auguste Le Breton en donne quelques raisons de son recours « Voiler de pudeur, par nos mots imagés, nos chagrins, nos malheurs, nos deuils, nos misères, nos désespoirs ».
On ne peut effectivement faire partager aux autres ses états d’âme personnels sous peine de les gêner et de leur faire assumer une partie de la charge émotive. En s’en abstenant la pudeur est tout simplement l’expression de la dignité.
Mais il y a des pudeurs qui ont moins de vertu. Celles par exemple qui naissent par manque de courage, « ma parole vers toi est destinée à celui ou ceux qui nous écoutent » disait-on dans une expression populaire bien connue. En quelque sorte « comprendra celui qui voudra comprendre ».
Il y a aussi le détournement qui évite d’être grossier ou insultant. Si le lecteur a bien lu ma phrase précédente il aura peut-être compris que j’ai utilisé l’expression « manque de courage » pour éviter le mot assez direct de « lâcheté ».
C’est également la fameuse « ma3na » qui, elle, ne se dissimule que par malice car le but du non-dit est d’être clair. Elle n’aurait aucun effet si le sens en échappait à celui ou celle qui est visé(e) par elle.
Puis il y a les pudeurs de convenance sociale pour laquelle la substitution est utilisée. Je me souviens avec une grande rigolade que seule la jeunesse peut permettre de l’explosion des ouvertures des « salons de thé » dans les années soixante-dix.
On n’y buvait pas plus de thé qu’on chantait dans un bus. L’appellation de salon de thé était à cette époque le moyen pudique de permettre un brassage mixte avec une convivialité honorable autour d’un coca-cola ou d’un jus de fruit. Cela pouvait éviter aux consommateurs, tout autant qu’au propriétaire des lieux, une accusation pour mauvaises mœurs.
La pudeur d’une crainte de mauvaise interprétation du propos trouve également sa place dans cet inventaire. C’est le cas de l’emploi du mot israélite pour éviter celui de juif, de black pour éviter celui de noir ou de beur pour celui d’arabe. Ce sont les communautés concernées qui ont poussé elles-mêmes à ce que ce ne soit plus le cas, jugé ridicule et faussement pudique car elles n’ont ni peur ni honte des mots noirs, juifs ou arabe.
Et la plus célèbre d’entre toutes les pudeurs, celle qui consiste à prononcer les mots « maison » ou « famille » pour éviter de prononcer en public le mot interdit, celui à bannir et que les lecteurs ont deviné. Une pudeur qui peut se justifier pour les uns et totalement incomprise pour d’autres. Chacun aura compris ma position.
Mais si la pudeur est la principale cause, d’autres raisons peuvent expliquer le détournement de mots ou d’expressions. La littérature en emploie tellement, c’est même l’une de ses formes les plus utilisées pour un sens philosophique, esthétique ou poétique des mots et des situations.
C’est aussi le cas des paraboles mythologiques ou religieuses. La parabole est un exercice permanent des textes pour permettre l’effort d’en étudier le sens et construire une ligne de vie et de spiritualité que chacun pourra en toute conscience faire sienne.
Le détournement lexical est parfois nécessaire pour éviter une vérité qui n’est pas bonne à dire. Imaginerions-nous un monde où les pensées et sentiments puissent être dévoilés sans filtre à la face du monde ? Ce serait la certitude de provoquer une instabilité et une violence dans une société qui n’en n’a pas besoin pour rajouter à ses soucis. Et peut-on exprimer tous les sens premiers devant des enfants ?
En fin de compte, la meilleure des pudeurs dans certaines circonstances, la plus expressive et pleine de sens, c’est le silence.
Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant retraité