Dans le cadre du 7ᵉ congrès de l’Association pour l’étude de la guerre et de la stratégie (AEGES), un panel s’est tenu à Sciences Po Aix le 19 juin autour d’un sujet aussi ancien qu’actuel : « Prométhée aux Enfers. Permanences et mutations de la guerre chimique ». Un thème fort, à la hauteur des enjeux scientifiques, historiques et politiques qu’il soulève.
En ouverture, Christophe Lafaye, historien et chercheur, a rappelé que ce panel s’inscrivait dans la continuité d’une réflexion lancée en 2023 à Bordeaux sur l’histoire des armes chimiques. Il a salué l’engagement des co-organisateurs — Pierre Journoud, Lina Leyla Abdelaziz, Olivier Lepick — et des modérateurs Antonin Plarier et Claude Lefebvre, avant d’enraciner son propos dans une réalité brûlante : la guerre n’a jamais quitté le monde, mais elle revient aujourd’hui au cœur de l’Europe et du Moyen-Orient, avec des civils comme premières victimes.
Pour Christophe Lafaye, dans un monde secoué par les populismes, les replis autoritaires et les guerres d’information, les sciences humaines et sociales doivent tenir bon. Elles doivent résister, dialoguer, produire du sens — surtout face à la montée de l’intelligence artificielle, des réalités alternatives et de la censure des archives.
« Le monde a besoin de raison. Notre responsabilité est de ne pas perdre le sens de notre métier de chercheur. »
Ce panel invite à penser la guerre chimique au-delà des cadres militaires traditionnels. Il s’agit de comprendre comment la chimie s’est immiscée dans les pratiques de guerre, mais aussi dans les dispositifs de maintien de l’ordre, souvent au service de projets coloniaux ou impériaux. Des campagnes d’Afghanistan en 1919 à la guerre d’Algérie, en passant par l’Irak, le Vietnam ou la Syrie, l’usage d’agents toxiques continue d’échapper à l’histoire officielle, protégé par le secret, le flou, l’absence d’archives.
> « Il n’existe pas d’armes chimiques non létales. Toute exposition à un agent toxique, selon la dose et le temps, tue », a rappelé Christophe Lafaye, dénonçant les discours pseudo-humanitaires qui ont parfois entouré ces armes.
Clôturant son intervention sur une note humaniste, le chercheur a rapporté les mots d’un ancien soldat français en Algérie :
> « Si nous les avions considérés comme des êtres humains comme nous, nous ne nous serions pas permis tout cela. »
Un appel fort à replacer l’autre — y compris l’ennemi — au cœur des préoccupations scientifiques et éthiques. Un rappel salutaire que l’étude de la guerre n’est jamais neutre, mais peut, si elle est bien menée, contribuer à la compréhension et à la paix.
Djamal Guettala