Empêché de se rendre à Marseille pour une lecture poétique, le Palestinien Hamed Ashour envoie un texte bouleversant depuis Gaza, en proie à la guerre.
Alors que la bande de Gaza vit une des périodes les plus tragiques de son histoire contemporaine, la parole des poètes y devient un acte de résistance. C’est dans ce contexte que le poète Hamed Ashour, résident de Gaza, a fait parvenir un texte inédit lu ce week-end au Centre International de Poésie de Marseille, lors du Salon de la Revue Numéro R.
Invité par la revue Fax, Ashour n’a pu quitter Gaza. Il a donc transmis un texte fort, rédigé en français et en arabe, dans lequel il témoigne des conditions de vie sous blocus et bombardements, tout en questionnant la place de la poésie dans un monde ravagé.
« Je vous écris en ces temps périlleux, à un moment où j’ignore où je pourrais être lorsque ces mots parviendront jusqu’à vous », commence-t-il.
Le texte, daté du 18 mai 2025, évoque la violence du quotidien, l’absence d’avenir, la répétition des pertes. Il raconte aussi le pouvoir fragile mais réel de la poésie : « J’ai haï la poésie quand ça a commencé […] mais j’ai compris qu’elle est une promesse, une voix vivante dans un monde muet. »
Une parole politique et humaine
Sans pathos, le poète livre un message d’une grande lucidité sur la guerre, sur l’indifférence du monde, et sur le rôle de la mémoire.
« Nous avons porté la douleur, faites-vous les porteurs du message. Faites que notre histoire demeure à jamais vivante. »
La revue Fax, en rendant publique cette parole, affirme son rôle d’espace de relais pour les voix empêchées. Son choix d’inviter un poète de Gaza s’inscrit dans une volonté de conjuguer engagement artistique et solidarité politique.
Gaza assiégée, mais debout.
Depuis octobre 2023, Gaza vit sous le feu des bombes dans un silence international de plus en plus pesant. Le témoignage de Hamed Ashour vient rappeler que derrière les chiffres, il y a des noms, des visages, des voix. Et que malgré tout, la création subsiste.
Djamal Guettala
Texte de Hamed Ashour – Gaza, 18 mai 2025
Texte de Hamed Ashour en français
والنص الأصلي بالعربي في ما يلي
Chers vous tous,
Je m’appelle Hamed Ashour, Palestinien de Gaza. Je vous écris en ces temps périlleux, à un moment où j’ignore où je pourrais être lorsque ces mots parviendront jusqu’à vous — serais-je dans une file d’attente pour le pain ou à la recherche d’une gorgée d’eau, aurais-je été contraint d’abandonner ma tente pour dormir dehors, m’accorderais-je un moment de répit entre deux enterrements, ou serais-je en train de fuir les bombes ?
Ce que je sais c’est que je n’ai pas une vie normale. Je ne sais pas à quoi ressemblera demain ni ce que je deviendrai. Tout ce que j’ai, c’est ce long jour qui dure depuis octobre 2023. Un même jour qui n’en finit pas, un jour pesant, fait de répétitions, de la même dureté, la même douleur.
J’ai appris à vivre, pas parce que la vie est un plaisir, mais parce que la mort est omniprésente.
J’ai appris des manières pénibles de survivre, j’ai fréquenté l’espoir, malgré la douleur. J’ai trouvé dans l’écriture un recours et dans la poésie, une fenêtre sur la vie, sur ce qui en reste. Je n’ai jamais disposé d’une seule heure pour pleurer, jamais le loisir de m’effondrer puisque, à chaque instant, il y a de nouveau le massacre, de nouveau s’en tirer, et un cri à documenter.
Chers vous tous,
J’ai tellement haï la poésie quand ça a commencé. Je l’ai détestée parce qu’elle n’arrêtait pas le sang, qu’elle ne protégeait pas les enfants de la faim et des épidémies, parce qu’elle n’est ni un bouclier ni un remède. Je l’ai haïe parce qu’elle ne secoue pas le monde, parce que des consciences autour de nous restent amorphes malgré l’hémorragie des mots.
Mais au bout du compte, je vous ai vus. Je vous ai vus brandir nos poèmes et reprendre notre voix, redonner vie à notre récit écrasé qui a disparu dans l’obscurité des médias et de la mauvaise fois.
J’ai su que la poésie n’est pas une arme, que c’est une promesse, une espérance, une voix vivante dans un monde muet. J’ai su, très chers amis, que je vous dois de vous faire l’écho de nos voix, le pont pour amener notre nakba jusqu’à la conscience du monde.
Mes très chers,
Souvenez-vous de nous si nous disparaissons, si les visages et les noms sont anéantis, comme cela s’est passé pour les Indiens d’Amérique. Restez profondément attachés à notre vérité, même si le monde entier doit se lever contre vous. Nous ne demandons qu’à vivre libres, à retrouver notre pays, à vaincre la colonisation et à être un peuple comme les autres dans ce monde.
Nous avons porté la douleur, faites-vous les porteurs du message et faites que notre histoire demeure à jamais vivante, qu’elle ne meurt pas.
Merci à vous, toujours,
Avec un amour inébranlable,
une affection intarissable et une voix qui jamais ne faiblira.
Hamed
Palestine, Gaza – le 18 mai 2025