Le 8 mai 1945 ne fut pas partout synonyme de libération. Tandis que l’Europe célébrait la fin du nazisme, en Algérie, les manifestations nationalistes de Sétif, Guelma et Kherrata furent noyées dans le sang par la répression coloniale française.

À Marseille, 80 ans plus tard, un cycle de mobilisations porté par la librairie Transit ravive cette mémoire occultée. Entre projections, rencontres littéraires et rassemblements citoyens, c’est une parole plurielle qui s’élève : celle de l’exigence de vérité et de justice, mais aussi celle de récits intimes, de poèmes, d’archives et de voix qui tissent l’Algérie au croisement de l’histoire et de l’esthétique.

Entre la Méditerranée et les mots, Marseille devient l’écho d’une mémoire vive — celle d’une Algérie complexe, indocile, vue d’ici et de là-bas, qui continue d’interroger, bousculer et nourrir l’avenir.

Mémoires en partage : cinéma, écriture, rassemblements

Baptisé « L’autre 8 mai 1945 », ce cycle de trois jours invite à revisiter cette date ambivalente : jour de victoire contre le fascisme pour l’Europe, mais jour de deuil pour l’Algérie coloniale. Le cycle s’ouvrira mardi 6 mai par la projection du documentaire « Les Massacres de Sétif, un certain 8 mai 1945 », au cinéma Alhambra, en présence de son réalisateur Mehdi Lallaoui. À travers des images d’archives et des témoignages rares, le film retrace minutieusement la mécanique répressive déclenchée par l’armée coloniale contre les milliers d’Algériens sortis manifester leur soif d’indépendance.

Le mercredi 7 mai, la librairie Transit accueillera la présentation du livre Nos Algérie(s) intimes dirigé par Nora Mekmouche et Soraya Guendouz (éditions Cris Écrits – ACT). Cette œuvre collective, entre essai, récit personnel et création artistique, réunit les voix de chercheurs, écrivains, artistes et militants qui interrogent leurs liens affectifs, familiaux, intellectuels avec l’Algérie. « C’est une Algérie tissée de savoirs et de désirs, une Algérie aux langues complexes et multiples », soulignent les directrices. Une soirée propice aux échanges, à la croisée de l’intime et du politique.

Le jeudi 8 mai, à 14h30, un rassemblement citoyen se tiendra à la Porte d’Aix. Les participants exigeront la reconnaissance officielle des massacres de 1945 comme crime contre l’humanité, l’ouverture de toutes les archives, la création de lieux de mémoire dédiés aux crimes coloniaux et l’encouragement d’une recherche historique indépendante et internationale. « Nous voulons inscrire ces événements dans l’espace public marseillais et impulser une véritable politique décoloniale », martèlent les organisateurs.

L’intime comme levier politique

Au-delà des revendications historiques, la mobilisation marseillaise accorde une place centrale à la création littéraire et artistique. Jeudi 8 mai à 17h30, la librairie Transit accueillera une séance de lectures partagées : poèmes, récits, extraits de témoignages viendront nourrir une réflexion collective sur la mémoire, l’exil, la lutte et l’humanité. La romancière Faïza Guène, invitée d’honneur, dévoilera un texte inédit écrit spécialement pour l’occasion.

Plus qu’un cycle commémoratif, c’est une tentative de recomposer, par les mots, les images et les voix, une mémoire vivante. Entre Marseille et l’Algérie, entre archives et littérature, s’esquisse un territoire commun, celui d’une mémoire indocile qui ne se contente pas d’honorer le passé, mais éclaire le présent et inspire l’avenir.

 « La littérature est un acte de résistance », écrivait Kateb Yacine. À Marseille, cette parole retrouve tout son sens.

Librairie Transit

Située au cœur de Marseille, la Librairie Transit est un lieu emblématique de la culture alternative et de la mémoire collective. Associative et engagée, elle se fait le relais des voix et des récits qui interrogent les histoires coloniales, les luttes de décolonisation et les héritages de l’immigration. À travers des événements littéraires, des projections, des rencontres avec des auteurs et des chercheurs, la librairie offre un espace de réflexion, de partage et de mobilisation autour de questions sociales, politiques et culturelles. Transit est plus qu’un simple lieu de vente de livres : c’est un carrefour où se croisent engagement et savoirs, une véritable scène pour les voix souvent marginalisées.

Djamal Guettala

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