Ma mère, Geneviève Anne-Marie Leray
Une Morbihannaise née le 08 avril 1933 à Vannes

N’arrive plus à lire le moindre couplet
Marche désormais difficilement avec sa canne
Toute ratatinée et rabougrie
Elle vient de perdre son mari
L’immigré Kabyle Hocine Saâdi
Décédé à l’âge de 95 ans et demi

Tous deux se sont mariés à la mairie de Sarcelles
Le matin du dix mars mille neuf cent soixante-deux
Huit jours avant que France et Algérie signent des Accords (*) heureux

Surtout pour un trio d’enfants trouvant autour d’eux la vie très belle

Naissant tous trois à Paris (en 1955, 57 et 58), ils grandiront à la cité Bullier

Au cœur d’un ensemble de bâtiments proches de vergers

À la grandeur humaine et avec des loyers moins chers

Que le futur voisin imposant de Sarcelles-Lochères.

Au début du long métrage « Mélodie en sous-sol »

Le libéré Jean Gabin y cherche péniblement sa maison

La seule restée debout, ça c’est vraiment du bol !

Surtout pour cet ex-taulard tout juste sorti de zonzon

La sarcellite, cette pesante névrose inhérente aux grands ensembles

Ne touchera pas d’emblée la cité Bullier, havre de paix encore convoité

Elle s’y insinuera pernicieusement en douceur et de manière plus ample

Jusqu’à ce que l’intense flux migratoire chasse du coin les premiers logés

A cet endroit précis, le « Grand remplacement » a réellement eu lieu

L’admettre ce n’est pas bêtement adhérer aux thèses du raciste Zemmour

Mais saisir les causes socio-économiques d’un bouleversement des vœux

Car on ne voit plus l’autre exilé comme au moment des beaux jours

C’était alors les Trente Glorieuses et la France de l’après débâcle sortait de terre

Embauchait sa main-d’œuvre venue du Maroc, de Tunisie et d’Algérie

De ces anciennes colonies du Maghreb qui avaient partagé avec elle deux mondiales guerres

Malgré les discriminations, dénuement, famines ou vastes pénuries de Kabylie

C’est donc de cette région très pauvre que viendra le jeune et déboussolé Hocine

Débarqué à seize ans à Perpignan avant de prendre le train vers la Capitale

İl bossera à Paname comme estampeur et s’usera les mains dans diverses usines

D’abord celles des laminoirs puis ensuite des ajusteurs de la machine-outil locale

İl aura sa vie durant connu des hauts et des bas, ses déboires et reconversions

La xénophobie larvée et de solides amitiés dans le champ des ouvriers solidaires

Ce berbère méditerranéen ne négociera jamais la nationalité de sa nation

Restera Algérien jusqu’au bout et se contentera souvent d’apports primaires

De choses trop banales pour un fils rat de bibliothèque et sociologue de l’art

Qui, perdant avec lui le fil du dialogue filial, fermera la porte des mots du cœur

Ne le considérera que trop peu, pas assez pour écouter ou gober tous ses bobards

Accepter de rendre les armes et convenir au final de l’accompagner à son ultime demeure Rongé par la rancune, il ignorera l’ex-ouvrier P3 admirateur de Jean-Marie Le Pen

Borgne-para disposé à mutiler et torturer dès 1957 à la Villa Sésini d’Alger

À commettre les pires crimes jusqu’à s’en tirer blanc comme neige sans aucune peine

Alors que ce salopard aux mains sales méritait d’être fusillé, voire guillotiné

Ondoyé à cinq jours parce que sa Bretonne de mère l’avait voulu ainsi Farid Leray, Titi parigot de Ménilmontant, ne lui parlera plus pendant une décennie

A cause là aussi de son penchant envers l’ancien député poujadiste

D’un vote en sa faveur survenu le fameux 21 avril 2002, jour bien triste

Puis, sans doute pour avoir lu à 13 ans le livre « L’Existentialisme est un humanisme »

Le prédestiné voyou féru de bagarres su poser un à un les jalons de sa voûte d’intelligibilité Tentera à ce titre de comprendre le pourquoi et comment du maternel anticommunisme

İra en cela à la source du mal qui gangrenait déjà une large part de la baissière solidarité Passant avec grande aisance d’une analyse sociologique à une synthèse anthropologique

L’adulte Kabylo-Breton pardonnera à celle qui, sans le vouloir, lui ouvrira les yeux

Lui fera capter que l’indésirable culture arabo-musulmane perturbait nombre de logiques

Notamment celles de nostalgiques Gaulois de souche apeurés par la perte des temps joyeux

Te voilà aujourd’hui toute chétive MAMAN, avec le poids minimal de tes os et eaux

J’ai mal à mon corps de te voir aveugle, en perte mnésique, tant diminuée ou ramassée

Ton Hocine a retrouvé sa terre natale sans escortant et à partir d’un avion-cargo

A voyagé ainsi telle une vulgaire marchandise en décrépitude puisque abandonnée

Je regarde la photographie prise dimanche dernier proche du jardin

Je chiale dans mon coin, à la manière d’un Apache sans plume et sans gloire

Bon et heureux anniversaire petite Mère, je te chérirai jusqu’à la fin

Jusqu’à ce que je retrouve moi-même le chemin de la compassion et de l’espoir.

Saâdi-Leray Farid, sociologue de l’art et de la culture ()

İl s’agit évidemment de la signature des Accords d’Evian survenue le 18 mars 1962.
Ce texte-poème a été écrit le 08 avril 2025 dans le train Paris-Perpignan de 07h42

1 COMMENTAIRE

  1. C’est beau et nostalgique.
    Un bémol, la substitution, chez Farid saadi-leray, de son identité amazigh-bretonne à l’arabo-musulmane! Cherchez l’erreur?

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