Faudrait-il être devin pour ne créditer les fausses causes d’aucune confiance qui risque, malgré tous les ajustements idéologiques et les précautions éthiques que prendraient les décideurs, de pourfendre la problématique essentielle des pays décolonisés, notamment africains, à savoir l’accès aux richesses et la répartition équitable des biens populaires ?
Mais, disons que nous pouvons créer des fantômes qui nous hantent des adversaires sans teneur historique : la liberté est une condamnation universelle. Jean-Paul Sartre s’est opposé aux élites fabriquées par l’Occident qui lui serviraient de moyen de contrôle des colonies. Mais notre épistémè nous a été volée par ceux qui ont compris que la coupure historique avec le colonialisme ne devait pas donner lieu à des espaces où la névrose à la vie permet toutes sortes de turpitudes et de perversions.
Serions-nous tentés par la perversion : prendre le raccourci qui mène au réel ? S’attaquer à la bureaucratie ? « La structure bureaucratique a rendu l’université irréformable gelant l’institution depuis plus de quatre décennies et condamnant à l’échec tous les projets de réforme, de celui de 1971 à celui en cours du LMD. » (1)
Le cas de Samir Larabi est symptomatique de la problématique du lien de l’intellectuel aux caprices de l’establishment. Pour être juste, il faut remonter jusqu’à la guerre de libération où nous pourrions comprendre que l’intellectuel n’était qu’un faire-valoir de ceux qui détiennent la force contre l’adversaire et l’adversaire neutre (le traître, aiment à écrire tous les faux militants issus des foyers de la violence louée).
Une thèse qui a eu l’aval de l’instance scientifique de l’université et dont, d’après les propos du candidat, la soutenance a été bloquée. Pour Samir Larabi, militant d’un parti d’extrême gauche, la dialectique n’est qu’un concept superflu !!!
D’abord, la science, dès que l’Algérie a eu son indépendance, a été pilotée par une idéologie qui faisait le lit doux des fantasmes d’une gauche sans retenue morale. Il faudrait lire le plaidoyer de Hocine Ait Ahmed devant la cour d’Etat, locution où il donnait un cours de théorie politique à un personnel vulgairement maquillé de toutes sortes de doctrines, pour comprendre le repli nationalo-droitiste qu’a pris le pouvoir.
Le cas de notre camarade ne fait pas exception : la science est annexée à la morale et la culture communes. « Le socialisme islamique » ne peut être le produit d’une pensée ouverte au monde. Pas plus qu’un oxymore, pour les laïcards de langue et les athées de mode. Addi Lahouari écrit : « Les systèmes politiques sont les produits de processus historiques qui leur donnent leurs caractéristiques et le régime algérien n’échappe à cette règle. » (2)
Ce sont les Lumières qui ont libéré socialement l’Occident. Faut-il être dans les postures programmatiques pour le dire radicalement : le socialisme n’est pas un humanisme ? Tout comme la religion n’est pas la morale.
Ensuite, les services administratifs sont conditionnés à la violence passive pour ne pas dire « symbolique ». Dès que la police politique le repère, le militant reçoit un traitement de « faveur ». Bien que, d’après ses écrits, M. Samir Larabi ne partage pas avec nous certaines thèses, nous restons convaincu qu’il milite en faveur d’un humanisme messianique jamais anticlérical. Il est de l’aile gauche des culturalistes, issus d’une école nourrissant toutes sortes de névroses ; la cause principale de ces militants, au demeurant très courageux, c’était et c’est toujours l’identité. En fait, en favorisant les thèmes identitaires aux postures politiques et sociales, cela ne gêne nullement l’establishment. Celui-ci travaille avec hargne et génie pour défaire les politiques de toutes les mouvances ambiantes. Il crée une infrastructure technique mobilisée par des agents spécialisés dans la gestion de la cogitation ambiante et la réflexion « détendue » et libre. Alors que l’école est destinée à promouvoir les valeurs sociales, les pouvoirs l’ont transformée en appareil d’Etat au prétexte de former des citoyens. « L’école doit former dans l’enfant la personne humaine, donc relier l’individu à l’universel ; elle doit aussi former des citoyens – la souveraineté de l’individu fondant celle du peuple. » (3)
En dernier lieu, les socialistes algériens ont joué le jeu du pouvoir en prenant leurs distances avec les militants politiques. A choisir entre Allende et Lesh Valesa, ils sauront pour qui opter, en vue de garantir la survie de la tension émotionnelle qui anime la substance vitalisante de la politique bourgeoise. Ces socialistes ont opté pour la radicalité bourgeoise pour ne pas secouer les dogmes du pouvoir. Ils animent les espaces de débats hautement chargés de sensations hollywoodiennes.
L’université débat de tout sauf du politique, mis à part les instants que prend la gauche matérialiste qui, malgré toutes les intimidations, se constitue en courant qui ne fléchit pas devant la terreur idéologique. Un rescapé de la dépolitisation manifeste une haine sans retenue contre la gauche. Il devient belliciste ; et en écrivant ses mémoires, il « révise intelligemment » ses positions. Est-il de cette engeance d’intellectuels mis dans une posture de double contrainte. Addi Lahouari écrit : « L’intellectuel algérien s’est trouvé pris entre les limites idéologiques du mouvement de libération, dont il a pensé que la dynamique irait au-delà de l’Indépendance, et la stérile compétition entre arabophones et francophones qu’il n’a pas su dépasser. » (4)
M. Samir Larabi est de la lignée des universitaires dont se méfiaient les militants de bureau. Il ne peut refaire le logiciel du pouvoir. Il suffit de voir comment les notabilités se constituent en Kabylie pour comprendre que la place accordée aux lettrés est celle d’auxiliaires aux barons (terme que je n’arrive pas à utiliser) du régime qui manifestent avec des amis le désir de contrôler tous les espaces que la police politique leur cède en contrepartie, au grand bonheur des sectes politiques (actives ou dormantes), de privilèges que les consciences séculaires et fortement imprégnées aux valeurs ancestrales avalisent. Notre imaginaire doit cesser de se conformer aux logiques tribales : les clichés offrent du confort quand ils recourent au topo bourgeois : enfant discipliné, femme réservée, vieux ferme et village à l’espoir céleste. Nous devrons nous débarrasser comme d’une souillure de nos clichés et de nos peines construites naïvement à nos dépens.
Abane Madi
- Abderrahmane Moussaoui, L’Université algérienne entre le local et le global : regards empathiques, In Repenser l’Université (Colloque d’Oran), Coordination et Présentation Djamel Guerid, Alger, Arak Editions, 2014, p. 48.
- Addi Lahouari, La question démocratique : entre culture et histoire en Algérie In Quelle transition démocratique pour quelle Algérie ? Constats, enjeux et perspectives, Tizi-Ouzou, Editions Frantz Fanon, 2015, p. 45.
- Tomei, S. (2013). De la morale indépendante à la morale laïque. Humanisme, 301(4), 23-28. https://doi.org/10.3917/huma.301.0023.
- Addi, Lahouari. « Les intellectuels algériens et la crise de l’État indépendant ». Implication et engagement, édité par Philippe Fritsch, Presses universitaires de Lyon, 2000, https://doi.org/10.4000/books.pul.10089.

