À qui profite la guerre ?

Je n’ai pas l’intention de répondre à cette question. Ma réflexion est plutôt centrée sur l’usage complotiste de cette interrogation.  

Pour identifier les responsables du conflit armé entre Palestiniens et Israéliens, les complotistes sortent leur redoutable arme cognitive : à qui profite la guerre ? Il y a même des explications, pullulant sur les réseaux sociaux, qui vont jusqu’à dire que les services secrets israéliens ont sciemment laissé le groupe armé de Hamas pénétrer dans le territoire israélien pour exécuter son opération militaire.

Pour appuyer ce scénario complotiste, ils font appel aux attentats de 11 septembre. Pourquoi cet évènement ? Ce n’est pas anodin, parce qu’il s’agit de l’un des événements que les complotistes ont réussi à exploiter, au point qu’elles sont rares les personnes qui ne croient pas à leur thèse. Leur théorie est la plus entendue et la plus partagée sur les réseaux sociaux. Ils ont gagné la bataille médiatique sur ce sujet.

On a tendance à croire plus une information répétée, quand bien même elle est fausse, qu’une nouvelle information. C’est un biais cognitif que les complotistes ont bien exploité pour imposer leur version des faits concernant le 11 septembre. En fait, ils veulent nous faire admettre que les Israéliens se sont faits mal volontairement comme les États-Unis d’Amérique, le 11 septembre 2001.

La première fois que j’ai entendu cette théorie, c’était à l’école dans une classe de dernière année du secondaire ; il s’agit d’adolescents qui sont entre 15 et 16 ans. En fait, c’était un de mes élèves qu’il l’a avancée en classe pour parler de ce qui se passe au Moyen-Orient. Je l’ai laissé développer sa thèse jusqu’à la fin, le dialogue étant, n’est-ce pas, l’une des compétences du cours que j’enseigne.

Les autres élèves l’ont écouté religieusement, tant ils étaient fascinés par son argumentaire. Son récit était bien structuré et surtout séduisant. Généralement, l’argumentaire complotiste provoque chez le récepteur une adhésion passive et fait passer son auteur pour une personne intelligente capable de repérer et d’identifier n’importe quelle cause, à plus forte raison les causes véritables, celles, diront-ils, qui sont cachées au public, généralement par les médias, gouvernements et lobbies.

Le complotistes invitent leurs auditeurs à se hisser à leur niveau intellectuel et à s’approprier sa thèse. Ils excellent dans la vulgarisation des informations et des connaissances. C’est l’un de leurs points forts. Ils s’adressent à un large public et non pas aux spécialistes.

Ainsi, ne pas croire à ce que cet élève raconte fait sentir aux autres qu’ils sont moins intelligents, moins informés, voire naïfs. Personne n’admet publiquement qu’il est moins intelligent que les autres; l’humain a tendance à se considérer au pire aussi intelligent que les autres, sinon plus intelligent qu’eux.

Effectivement, aucun élève n’a essayé de remettre en question ses propos. J’ai même demandé à ses pairs ce qu’ils pensent de son explication. Personne n’a identifié  l’approche complotiste de l’évènement, alors qu’ils ont étudié les sophismes et la théorie du complot. Pour rendre cette approche sophiste plus visible, j’ai posé ces trois questions à l’élève,  auteur ou rapporteur de cette théorie complotiste :

— Qui dirige le monde aujourd’hui ?

La réponse, il l’avait déjà. En fait, il n’avait pas besoin de réfléchir. Il m’a répondu immédiatement :

– Ce sont les juifs.

Pour lui c’est une évidence. Son ton et son non verbal l’exprimaient.

– Est-ce que les Américains ont été à la lune?

– Non, ils n’ont jamais été à la lune. Les images qu’on a sur cet événement sont produites dans des studios de Hollywood. Sinon par quoi expliquez-vous qu’ils ne sont pas retournés à la lune depuis ?

J’ai répondu avec deux suppositions :

– Peut-être ils ont jugé qu’il n’y a aucun un intérêt à le refaire ou parce que ça coûte cher. En fait, je n’ai pas d’autres réponses.

– Est-ce que la terre et ronde ou plat ? lui posé-je ma dernière question.

Sans aucune surprise, la réponse fut qu’elle est plate, elle ne peut pas avoir une autre forme que celle-là.

Bref, les réponses à ces questions ont vite fait de dresser le portrait intellectuel de l’élève. C’est à partir de cela que les autres se sont redu compte qu’ils ont affaire à une thèse complotiste et qu’ils ont ainsi commencé à lui poser des questions sur les faits qu’il avance dans son explication.

En somme, il suffit de peu pour déconstruire le discours complotiste. Mais il faut dire que ce genre de théories pousse plus rapidement sur les réseaux sociaux que les analyses, elles se propagent d’une façon exponentielle,  car elles s’adaptent à tous les événements. Ça prend plus de temps à analyser un fait qu’à lui imaginer un scénario complotiste.

La théorie du complot fonctionne comme un moule, vous mettez n’importe quoi à l’intérieur, il va vous sortir la même forme. Vous n’avez pas besoin de réfléchir beaucoup, tout est prêt. Comme notre cerveau à tendance au moindre effort et aux raccourcis, il tombe souvent sous le charme de ce genre de théories.  Le complotisme empêche la réflexion.

Ali Kaïdi