10 février 2025
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Affaire « Instalingo » en Tunisie : une instrumentalisation de la justice

La deuxième chambre criminelle du tribunal de première instance de Tunis a prononcé, le 5 février 2025, des peines cumulées totalisant plus 700 ans de prison à l’encontre des prévenus de l’affaire « Instalingo », une véritable saga judiciaire marquée par des grotesques rebondissements.

Ce procès, semble préfigurer une série de procès de « complot contre la sureté de l’Etat », fabriqués de toutes pièces visant à réprimer l’opposition pacifique, aujourd’hui massivement embastillée. Juste après l’annonce de ce verdict expéditif, Kaïs Saïed a diffusé une longue vidéo dans laquelle il parade au sein des ministères, multipliant les diatribes enflammées contre des « traîtres » qu’il accuse de comploter contre lui.

Un verdit signifiant de fait la mort des prisonniers politiques

Rached Ghannouchi, président du mouvement Ennahdha et ancien président de l’Assemblée des représentants du peuple, a été condamné à 22 ans de prison et à une amende de 80 000 dinars.

Cette condamnation, qui s’ajoute aux peines déjà prononcées, revient pratiquement à une mort lente pour cette figure politique âgé de 83 ans, privé de soins médicaux appropriés et soumis à des conditions de détention éprouvantes. Il devient de plus en plus évident que cette décision n’est pas simplement punitive, mais relève d’une stratégie d’élimination progressive, loin des projecteurs et de soutiens internationaux. Cette condamnation illustre de manière flagrante la volonté de Kaïs Saïed de mener un acte calculé visant à achever politiquement et physiquement l’ancien leader d’Ennahdha.

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Les peines infligées aux autres accusés :

Achraf Khadhraoui : 17 ans ; Achraf Barbouch : 6 ans ; Achraf Omar : 6 ans ; Bachir Youssefi : 27 ans ; Taoufik Sebaï : 8 ans ; Habib Seboui : 6 ans ;· Hamdi Boumiza : 18 ans ; Haykel Khili : 38 ans : Rami Ben Afia : 25 ans ; Rafiq Abdessalem : 35 ans : Riadh Bettaieb : 8 ans : Salem Khili : 48 ans :· Samia Sbabti : 10 ans : Slim Jebali : 12 ans : Soumaya Kheriji : 25 ans :· Saïd Ferjani : 13 ans : Chadha Haj

Mbarek : 5 ans ;· Sabrine Atiri : 25 ans et 1 mois :· Safinaz Ben Ali : 6 ans ;· Adel Daâdaâ : 38 ans :· Abdelkrim Arnous : 32 ans ;· Abdelkrim Slimane : 15 ans ;· Lotfi Hidouri : 27 ans :· Lotfi Zitoun : 35 ans ;· Lamia Daâdaâ : 6 ans ;· Majoul Ben Ali : 25 ans ;· Mohamed Hachfi : 25 ans ; · Meriam Daâdaâ : 6 ans ;· Moadh Kheriji : 35 ans ;· Mehdi Jmal : 6 ans ; · Haythem Khili : 38 ans ; Hilel Korchi : 38 ans *Yahia Khili 18 ans

Parmi la quarantaine de condamnations prononcées, on trouve des anciens ministres et des hauts responsables du mouvement Ennahdha et de jeunes blogueurs et influenceurs. Y figure aussi Hichem Mechichi, ancien chef de gouvernement condamné à 35 ans, Chahrazade Akacha, journaliste condamnée à  27 ans , Ouadhah Khenfar , journaliste de la Chaine TV El Jazeera condamné à 32 ans, Mohamed Ali Al-Aroui, ancien porte-parole du ministère de l’Intérieur, condamné à 13 ans de prison, tandis que Lazhar Longo, ancien directeur général des services spéciaux, a écopé de 15 ans de prison, accompagné d’une amende de 300 000 dinars et de la confiscation d’un bien immobilier lié à l’affaire.

Instrumentalisation de la justice

L’affaire Instalingo concerne une société de médias créée en 2015 et basée à Sousse (centre de la Tunisie), spécialisée dans la création de contenu de communication numérique et dans la gestion de pages et la production de contenu pour les réseaux sociaux. Ses dirigeants ont été accusés de complot contre la sécurité de l’État en lien avec des accusations de déstabilisation des institutions tunisiennes via des campagnes numériques.

Initialement lancée en 2020, cette enquête ne faisait alors aucune référence à Rached Ghannouchi ni au mouvement Ennahdha. Cependant, après le coup de force de Kaïs Saïed le 25 juillet 2021, un procureur de la région de Sousse a réouvert le dossier sous les mêmes chefs d’accusation, mais cette fois en y ajoutant Rached Ghannouchi ainsi que plusieurs hommes politiques et hommes d’affaires opposés au coup d’état du 25 juillet 2021 de Kaïs Saïed.

Le 11 novembre 2022, le juge d’instruction du Tribunal de première instance de Sousse 2 interroge Rached Ghannouchi pendant 12 heures. Au regard de l’acharnement et de l’irrégularité des procédures, celui-ci refuse de quitter son lieu de détention et ne se présente pas à l’audience du 9 mai 2023. En son absence, le juge d’instruction décide de l’inculper et de le maintenir en détention.

Les accusés sont poursuivis pour blanchiment d’argent, complot contre la sûreté de l’Etat ayant pour but de changer la forme du gouvernement. Ils sont accusés d’avoir utilisé les prérogatives de leur fonction ou profession pour inciter au désordre, déstabiliser l’État ainsi que de pour de blanchir l’argent.

En mars 2022, un juge d’instruction décide de se saisir de l’affaire pour le compte du pôle judiciaire antiterroriste en raison des soupçons de financement d’activités subversives via des campagnes numériques.

Les autorités ont étendu les poursuites à plusieurs figures politiques et hommes d’affaires. Adel Daâdaâ, un homme d’affaires jugé essentiel, est accusé d’avoir coordonné les financements vers Ennahdha.

Chadha Haj Mbarek, doublement victime de la répression et de l’instrumentalisation de la justice

La journaliste Chadha Haj Mbarek a été arrêtée début octobre 2021 dans le cadre de l’affaire dite de la société Instalingo. Simple employée à la société, elle a été accusée de complot contre la sûreté de l’État, d’atteinte à l’ordre public et d’outrage au président de la République. Ces accusations sont devenues courantes contre les journalistes et les militants depuis que Kaïs Saïed a imposé l’état d’exception le 25 juillet 2021.

  • La famille de Chadha Haj Mbarek a été harcelée : son père et ses deux frères ont été arrêtés puis relâchés.
  • Elle-même a été libérée après l’abandon des charges en été 2022, mais le Ministère public a fait appel et la ministre de la Justice a nommée trois juges d’instruction successifs dans le but de la maintenir en détention.
  • Souffrant de maladies rénales et d’une perte auditive aggravée par les traitements infligés en prison, son cas a alarmé ses avocats et le Syndicat des journalistes tunisiens.

Des charges infondées dans un contexte de répression

Les condamnations prononcées dans l’affaire Instalingo témoignent d’un jugement à l’emporte-pièce, caractérisé par des décisions expéditives, sans fondements ou basées sur des éléments factuels ou de preuves :

  1. Les accusations de complot et de blanchiment d’argent reposent sur des soupçons de flux financiers étrangers sans que la chambre ne se soit pas donné la peine d’argumenter ou de spécifier les éléments qui lui ont permis de caractériser les allégations abstraites des témoins d’accusations dans un processus contradictoire et dans une logique intelligible et conforme à la loi.
  2. Le ciblage explicite de figures opposées à Kaïs Saïed, telles que Rached Ghannouchi, illustre une volonté politique de neutraliser l’opposition sous couvert de procédures judiciaires.
  3. Les recours judiciaires ont été limités et les juges d’instruction ont souvent agi de façon expéditive pour prolonger les détentions sans garantir un examen équitable des dossiers.
  4. Des peines disproportionnées de prison allant jusqu’à 35 ans ont été prononcées contre des journalistes, hommes politiques et militants sans relation de cause à effet suggérant un objectif de répression plutôt que de justice.
  5. L’affaire s’inscrit dans une campagne systématique de répression visant à museler les voix critiques et à instaurer un climat de terreur propice à l’autocensure et à la complicité avec les crimes du régime en place depuis le coup d’état de juillet 2021, ce qui corrobore la conclusion de condamnations arbitraires.

Ces éléments montrent que les condamnations sont plus le résultat de d’instructions politiques que de procédures judiciaires conformes aux normes constitutionnelles nationales et internationales en vigueur.

Paris, le 8 février 2025

Comité pour le Respect des Libertés et des Droits de l’Homme en Tunisie

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