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lundi 6 octobre 2025
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Ahmed Taleb Ibrahimi ou la défaite de la raison

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Il y a des figures de l’histoire algérienne qu’il faut relire à la lumière de leurs œuvres, et non de leurs discours. Ahmed Taleb Ibrahimi, ministre de l’Éducation nationale d’abord, et de la Culture ensuite, dans les années 1960 et 1970, fut de ceux-là : un homme qui, au nom d’un nationalisme religieux et linguistique, a participé à l’ancrage de l’Algérie indépendante dans un islamo-baassisme d’importation, coupant son peuple de ses racines multiples pour le jeter dans les bras d’une idéologie stérile.

Son projet, présenté comme une reconquête identitaire, fut en réalité une entreprise de mutilation culturelle. En imposant une arabisation précipitée, non pas fondée sur la richesse de la langue mais sur la négation des héritages, Taleb Ibrahimi s’est assis sur l’amazighité du pays — cette matrice millénaire, vivante, charnelle, qui avait résisté à tous les empires. L’Algérie, mosaïque de langues, de rites et de terres, fut sommée de se rêver uniforme, pure, homogène. Ce fut le début d’une longue amnésie collective.

Sous son ministère, l’école algérienne cessa d’être un lieu d’émancipation pour devenir un champ de bataille idéologique. La langue devint arme, l’histoire devint mythe, la pensée devint suspecte. Les programmes furent vidés de leur substance universelle ; la littérature, amputée de sa pluralité ; la philosophie, reléguée au second plan, car jugée subversive. Ce fut la naissance d’une école du catéchisme politique et non du savoir. Une école qui enseignait la ferveur plutôt que la liberté, la soumission plutôt que la curiosité.

Le résultat fut dévastateur : des générations entières livrées à la vacuité, à la confusion et à la nostalgie d’un passé mythifié. Ce qui aurait pu être la grande renaissance intellectuelle d’une nation sortie du joug colonial devint un naufrage culturel. Les sciences furent désertées, les lettres asséchées, et la langue arabe elle-même, au lieu de s’épanouir dans sa beauté, fut instrumentalisée, appauvrie, réduite à un outil d’endoctrinement.

En voulant bâtir une Algérie « authentique », Ahmed Taleb Ibrahimi l’a dépossédée d’elle-même. En refusant la berbérité, il a nié une part essentielle de l’âme nationale. En méprisant la langue française, il a coupé le pays de l’universel. En glorifiant une version dogmatique de l’islam, il a ouvert la voie à l’obscurantisme qui, plus tard, ensanglanterait les années quatre-vingt-dix.

L’histoire jugera sans doute Ahmed Taleb Ibrahimi comme l’un des fossoyeurs de l’école algérienne, et donc, du futur algérien. Car détruire l’école, c’est condamner un peuple à l’oubli. Et l’Algérie, aujourd’hui encore, paye le prix de cette trahison intellectuelle : celle d’avoir confondu identité et enfermement, foi et pouvoir, culture et propagande.

Il ne s’agit pas d’insulter un homme qui vient de décéder, mais de dire la vérité sur un système qu’il a incarné : celui qui, au lieu d’élever, a abaissé. Celui qui, au lieu de libérer, a ligoté. Celui qui, au lieu d’éduquer, a endoctriné.

L’Algérie ne se relèvera qu’en rouvrant les fenêtres qu’il a lui-même murées : celles de la raison, du savoir, de la pluralité, et de la liberté de penser.

Kamel Bencheikh, écrivain

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