Avec Saïd Metiche (*), une génération de militants à l’origine de la fondation du Parti des travailleurs, disparait. La génération qui a transmis toute l’expérience de la lutte révolutionnaire contre le colonialisme, qui n’a pas courbé l’échine devant le système de l’arbitraire mis en place en 1962 en poursuivant le combat pour l’appropriation de la souveraineté du peuple algérien sur toutes les institutions de l’état et les ressources du pays.
Une poignée de militants qui ont résisté et ont donné une forme politique organisée à la poursuite de la lutte pour l’indépendance nationale, une libération qui signifie pour eux l’instauration de la démocratie et du socialisme.
Durant une cinquantaine d’années, ils ont regroupé et formé les cadres et militants pour assurer la relève et la continuité en partant des acquis et des leçons qu’ils ont eux-mêmes tirées de la situation dialectique qui avait caractérisé notre pays au lendemain de la crise de l’été 1962, par l’échec du mouvement national et la victoire des masses contre le colonialisme.
La nouvelle expérience qui a débuté dès 1963 autour de Mustapha Ben Mohamed, Abderahmane Arfoutni dit Kamel et Said Metiche dit Bachir, qui a pris une forme organisée, a culminé jusqu’à la fondation du Parti des travailleurs le 25 juin 1990. Pour eux, et ils n’ont jamais cessé de le répéter, il n’y a pas de tâches plus urgentes que de s’organiser pour construire le parti révolutionnaire en Algérie, se faisant aider à reconstruire l’internationale.
Fonder un parti, une organisation pour les dirigeants de l’envergure de Mustapha Ben Mohammed, Kamel Arfoutni, Bachir Metiche ce n’est pas un acte anodin. La fondation d’une organisation ou d’un parti est un acte souverain de militants libres et indépendants, militants organisés démocratiquement sur la base d’un programme dont les principes de fonctionnement sont ceux du centralisme démocratique.
Bachir a été parmi les dirigeants qui ont tout donné, particulièrement durant les moments difficiles, des moments de doutes et d’hésitation, pour maintenir debout l’organisation.
Exilé en France durant les années de plomb, 1965-1988, il a consacré l’essentiel de son temps à élaborer, écrire et maintenir les liens avec les organisations de l’opposition, initier des actions unitaires dont la campagne pour la libération des détenus politiques en 1984 a été la pointe avancée de la lutte dans l’émigration. Plus de 90 militants, toutes tendances confondues, ont été arrachés des geôles de Chadli Bendjedid à l’issue d’une campagne unitaire, une campagne qui devrait nous servir, aujourd’hui, de leçon.
Après plus de vingt-cinq ans d’exil, Bachir est entré à Alger en 1989. En tant que membre fondateur de l’OST et membre de la direction, il a participé à tous les combats sur le terrain politique. Depuis au moins 1985, date de la publication et la diffusion de la brochure intitulée « Proposition de l’OST pour sortir de l’impasse», dans laquelle était analysé et pronostiqué l’ouverture de la crise révolutionnaire, Bachir parlait de mettre fin à son exil. Cette brochure encore d’actualité dans son analyse, sa méthode et ses perspectives, n’a pris aucune ride.
J’ai rencontré pour la première fois Bachir à Paris en octobre 1980. Il était membre du collectif qui dirigeait la jeune délégation extérieure de l’OST en France. La déclaration du 16 avril 1980 du Comité de Liaison des Trotskystes Algériens, produit d’une discussion et élaboration collective, avait amené les dirigeants du Comité de Liaison des Trotskystes Algériens (CLTA) à convoquer une conférence nationale de fondation de l’Organisation socialiste des travailleurs (OST). Bachir, là où il était, avait pris toute sa place au côté des autres cadres pour aider à faire ce saut qualitatif à la petite organisation qu’était le CLTA.
Bachir avait une formation marxiste, un militant engagé dans la lutte des classes qui avait assimilé l’un des principaux enseignements énoncé très succinctement par Lénine ainsi : «Notre doctrine n’est pas un dogme mais une règle pour l’action. Cette formule classique souligne avec force et de façon saisissante un aspect du marxisme que l’on perd de vue à tout instant. Dès lors, nous faisons du marxisme une momie difforme et mutilée, nous évacuons son âme vivante, nous sapons ses bases théoriques fondamentales qui sont la dialectique, la théorie de l’histoire en tant que mouvement plein de contradictions et auquel rien n’échappe ; nous affaiblissons son lien avec les problèmes pratiques et précis de l’époque, susceptibles de se modifier à chaque nouveau tournant. »
C’est l’application de cette méthode qui est à l’origine de la décision de fondation du CLTA en 1966, au lendemain du coup d’Etat de Boumediene de juin 1965 analysé comme un tournant politique majeur. C’est, également, le tournant majeur qu’a constitué la grève générale de Kabylie d’avril 1980 qui est à l’origine de la fondation de l’OST, comme l’a été le Parti des travailleurs en juin 1990 suite à la révolte d’octobre 1988 qui a ébranlé le régime de Chadli.
Bachir, Mustapha Ben Mohamed et Kamel Arfoutni, ont constitué le noyau à l’origine de ce travail collectif. Un noyau qui est resté fidèle aux principes car ils n’ont jamais oublié les principales leçons théoriques et pratiques concernant la nature des directions nationalistes petites-bourgeoises issues des indépendances, la nature de « l’unité nationale » mise en avant par les tenants du système en place, et particulièrement la nature des gouvernements des pays dominés et inféodés à l’impérialisme.
Le groupe qui avait fondé le Comité de Liaison des Trotskystes Algériens en 1966 était nombreux. Ils ont participé aux luttes intenses de cette phase historique de l’Algérie indépendante, surmonté les obstacles et ont réussi à rassembler des centaines de jeunes et travailleurs algériens entre les années soixante et quatre-vingt-dix, pour organiser les forces qui ont fondé le Parti des travailleurs un certain 25 juin 1990.
Quand je les avais rejoints en 1980, ils venaient de fonder l’OST dans le feu de la grève générale de Kabylie qu’ils avaient marqué par une déclaration encore d’actualité, plus de quarante ans après.
Aucun groupe, aucune organisation, aucun parti n’a eu à ce moment-là l’intelligence de la situation, comprendre la nature politique du tournant qui était en train de se produire sous leurs yeux, adresser un message d’unité au reste de l’Algérie, et l’inscrire consciemment dans un acte politique et d’organisation en fondant l’Organisation Socialiste des Travailleurs (OST) sur la base du programme de transition en tant que section de la quatrième Internationale.
C’est ce noyau qui a su agréger autour de lui la nouvelle génération de militants qui s’est dégagée de la lutte des classes des années 1980, période de lutte clandestine, marqué par la répression féroce de la « sécurité » militaire, et qui a su tirer le meilleur de cette expérience unique, Loin des idées et des postures de conseillers ou des conseillères des oligarques et des généraux, pour fonder en juin 1990 le Parti des travailleurs.
Pour s’en convaincre, il suffit de lire le premier bulletin « Tribune Ouvrière » que nous avons réalisé, ensemble, de bout en bout durant le mois de juillet 1990. Indéniablement, le PT a été fondé pour être un cadre de rassemblement et d’organisation indépendant de l’Etat, de la bourgeoisie et de toute autre force de pression, qu’elle soit financière, religieuse ou régionale. C’était un cadre, une école ouverte au plus grand nombre de jeunes et travailleurs, pour former et forger des militants et des cadres pour participer et aider à la direction de processus révolutionnaires, à transformer les révoltes en révolutions victorieuses.
Militant et cadre politique intègre et discipliné, malgré ses divergences de fond à partir de 1999-2000, Bachir n’a jamais laissé la colère l’emporter sur l’impérieuse nécessité de sauvegarder ce cadre politique et d’organisation qu’a été le PT. Il est resté militant engagé, fidèle à ses convictions internationalistes, militant organisé dans le courant CCI du Parti Ouvrier Indépendant en France.
Bachir a eu une vie de militant internationaliste organisé, dévoué et discipliné. A deux reprises, une fois après octobre 1988 et une autre fois, après février 2019, il n’a pas hésité une seconde à tout laisser en France pour aller rejoindre les militants engagés sur place en Algérie et prendre sa part dans le combat pour l’émancipation.
Il disait souvent « nous nous formons par la théorie et la pratique pour être utiles durant le brasier ardent de la révolution, car le processus révolutionnaire n’a besoin de personne pour éclater, mais il a besoin d’un parti de militants dévoués et aguerris pour le faire accoucher d’une révolution victorieuse ».
Ainsi était Bachir, la vie humaine n’a de sens que dans la mesure où elle est au service d’un idéal, celui d’aider l’humanité toute entière à se débarrasser de la guerre et de l’exploitation.
Mourad Yefsah
Membre de l’OST depuis 1980 et de sa direction de 1986 à juin 1990. Membre fondateur du PT et de sa direction de juin 1990 à Novembre 2002.
(*) Said Metiche dit Bachir s’est éteint ce mardi 12/07/2022 à la première heure.
Adieu l’ami, adieu camarade.