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samedi 26 juillet 2025
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Aïssa Brahimi : le silence, le cèdre et le chant

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Aïssa Brahimi est né là où les mots germent dans le silence, là où les saisons sculptent les visages et les cèdres parlent à ceux qui savent écouter. À Tassa, hameau accroché aux flancs de l’Aurès, Aïssa Brahimi a grandi entre la pierre et le vent, dans une Algérie âpre et digne, où l’on ne chante pas pour séduire, mais pour se tenir debout.

Il voit le jour un 16 août 1961, dans ce pays d’altitude où les voix sont profondes et les silences denses. Dès l’école, il chante lors des fêtes de fin d’année, timidement, puis avec plus d’assurance. Très vite, il comprend que sa voix porte plus que sa personne : elle raconte un monde qu’on regarde peu, celui des oubliés, des villageois, des cimes et des racines.

Il poursuit ses études à Merouana, puis au lycée Mustapha Ben Boulaïd à Batna, jusqu’à ce que les nécessités de la vie le rattrapent. Son père, ouvrier en France, meurt en 1983. Aïssa quitte le lycée pour aider sa famille. Mais l’école, pour lui, ne s’est jamais arrêtée : il la porte désormais en lui, à travers les sons, les mots et les rythmes.

À Béjaïa, il enseigne, anime, s’initie à la musique et au dessin. Il apprend la darbouka, la guitare, explore les harmonies comme on taille un bois rare. Il écrit en chaoui, compose en puisant dans la mémoire orale de son village, dans le bruissement des cèdres millénaires qui veillent sur l’Aurès.

En 1986, il fonde le groupe Amenay – « le cavalier » – avec Massinissa et d’autres artistes engagés. Le groupe se fait remarquer, bouscule les codes, insuffle un vent nouveau dans la chanson chaouie.

Mais en 1987, l’État les rappelle à l’ordre : pour une chanson, pour une lettre – « ⵣ » –, symbole amazigh inscrit sur une pochette, Aïssa est emprisonné deux jours. Le chant devient résistance. Le cèdre ne ploie pas.

Sa trajectoire artistique est celle d’un artisan tenace. Il compose plus de vingt albums pour d’autres, et en signe plusieurs en son nom. Il modernise la chanson chaouie sans l’arracher à ses racines. Il introduit le synthétiseur, non par facilité, mais pour inventer un dialogue entre l’ancien et le contemporain.

Parmi ses albums majeurs, on retient :

1987 – Amnay (Le cavalier), premier jalon fondateur.

1991 – Iferresen (Les racines), retour au socle identitaire.

1992 – Amenay (Le cavalier), variation solo plus intime.

1993 – Thadjdai iligh, Anouara, Anesen at Hessirth, triptyque poétique.

1997 – Mačči Hamma asneɣ tameddurt (Ce n’est pas comme ça, je connais le sens de la vie), manifeste d’artiste.

2004 – Arra Achour ṭṭay ṭṭay (Regarde Achour, danse, danse), célébration malicieuse.

2009 – Irgazen (Les hommes), hommage grave aux figures debout de l’Aurès.

Deux chansons sont devenues emblématiques :

 Tametut thamatut n Lurès (La femme des Aurès) — classée numéro un en 1993 sur la Chaîne III, véritable hymne aux femmes chaouies, veillant sur la langue, la terre et la mémoire.

Mačči Hamma asneɣ tameddurt (Ce n’est pas comme ça, je connais le sens de la vie) — où résonne une sagesse âpre, forgée dans l’expérience.

Aïssa Brahimi est aussi poète. En 1992, lors d’une journée culturelle à Merouana, on le surnomme « le génie des Aurès ». Son poème Thileli – Liberté –, traduit par Rachid Hamatou, paraît dans le journal Liberté. Il y célèbre les siens, les luttes, la dignité. Il y murmure que la liberté pousse parfois entre deux racines, au pied d’un cèdre.

Aujourd’hui, à 64 ans, il continue d’écrire, de composer, d’enseigner. Il marche toujours sous les mêmes cèdres, ceux de Tassa, les bras chargés de mémoire. Il enseigne aux jeunes que chanter, ce n’est pas fuir le réel — c’est l’habiter autrement. Et peut-être qu’un jour, dans une de ses chansons, un cèdre se mettra à chanter à son tour.

Djamal Guettala  

Vidéo 

https://youtu.be/6Zk5yK_88JY?si=INg_uIKvf5elU6yZ

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