Alexis Denuy est un écrivain, poète, artiste-peintre, qui est le moins que l’on puisse dire, d’une originalité frappante tant il ne fait qu’un avec son art. Ses créations artistiques sont lumineuses de vérité dans une époque où l’ombre l’emporte sur la lumière
C’est un personnage qu’on croirait sorti d’une autre époque, d’un autre espace-temps, s’il paraît en marge c’est pour bousculer et s’extirper des sentiers battus où s’enlisent la plupart pour des raisons multiples, souvent par compromissions et avidités.
On pourrait dire qu’Alexis Denuy croit à la rédemption par l’Art. L’humain, si souvent perverti par les illusions et les fausses lumières du monde, peut devenir meilleur en retirant les masques et les armures pour permettre au soi de se libérer, de se révéler, pour écarter les voiles du mensonge et mieux voir.
Il est cet artiste infatigable qui croit en l’humain qui continue son chemin tel un Don Quichotte combattant avec le verbe et la plume. D’expositions en lectures, Alexis Denuy a aussi beaucoup publié passant de la poésie au récit, au roman avec une facilité déconcertante.
Ses créations ont toutes en commun ce souffle jaillissant plein de vie qui met des couleurs hors des miroirs, libérant des espoirs.
Le Matin d’Algérie : Vous êtes artiste peintre, poète, écrivain, rempli de talent, qui est Alexis Denuy ?
Alexis Denuy : J’ai toujours été dominé par l’envie irrépressible de créer. Je dessinais et écrivais déjà depuis l’âge de 10 ans, à l’époque j’habitais à Conflans Ste Honorine dans les Yvelines, en région parisienne, fabriquant des petits magazines peints à la gouache et à l’encre de chine et écrits à la main que je vendais autour de moi. J’ai ensuite imprimé ce magazine et l’ai distribué dans les maisons de la presse et les librairies. J’ai toujours été préoccupé de donner à voir mon travail et pas seulement de le fabriquer, j’ai toujours considéré l’Art également comme une communication, j’ai toujours pensé en même temps la création et sa diffusion. Plus tard, toujours passionné d’image, de graphisme et de peinture, avec également toujours chevillée au corps une passion restée intacte de lecteur, lisant tout ce que je pouvais trouver sous la main. Ensuite j’ai eu plusieurs ateliers, d’abord à Angers puis à Barcelone et enfin à Paris, tout en publiant aux Editions spéciales mes premiers livres « Prends ça » en 1994, « Les protestes » en 2009, « Existe » en 2010 avant de sortir « Propos en liberté » en 2022 chez Unicité. Comme je pratique à la fois l’écriture et la peinture j’ai plusieurs carrières en parallèle.
Le Matin d’Algérie : Vos créations sont saisissantes, resplendissantes de vérité, hors des moules imposés et des sentiers battus, quel est votre secret ?
Alexis Denuy : J’approfondis chaque sujet et ne me laisse pas entrainer sur la voie du stéréotype, je n’accepte pas d’être dupe, dupé, et mon esprit critique est toujours en alerte donc je ne peux tout simplement pas glisser dans la facilité car immédiatement une lumière rouge s’allumerait si j’allais du mauvais côté. J’ai avant tout une exigence de vérité, c’est ce qui guide mon esprit et je suis toujours en quête de savoir, savoir plus, savoir mieux, me positionner dans le bon angle, comme un tireur d’élite pour viser la bonne cible et ne pas récolter que son ombre. Et je ne peux, ni ne veux, ni n’accepte de me taire.
Le Matin d’Algérie : Vous êtes un rêveur mais lucide, vos livres éclairent mais aussi mettent en garde contre la paresse de l’esprit, il faut être vigilant et attentif pour ne pas sombrer, l’Art est-il salvateur d’après vous ?
Alexis Denuy : L’Art est pour moi tout à fait nécessaire, j’ai besoin de créer et de regarder ce que les autres créent, cela fait partie de moi, de mes besoins élémentaires, comme le pain et l’eau, c’est le tout de ma vie. Je ne suis pas dans le consensus, je regarde le monde bien dans les yeux sans hésiter à gifler mon esprit et ma réalité pour sortir de l’hypnose et en écriture particulièrement je mets à nu le langage, je l’ouvre pour mettre en évidence l’hypocrisie à travers la trame du quotidien, je veux toucher au cœur par la puissance du rythme. Je cherche à comprendre comment fonctionnent les choses. Si j’étais né ailleurs j’aurais été autre mais je ne suis pas de nulle part et je me dois de perpétuer l’héritage de la maison France, sa logique, sa clarté, sa légende, son exemple, l’esprit français.
Le Matin d’Algérie : Votre livre « Propos en liberté », paru aux Éditions Unicité, c’est tout un macrocosme bravant l’espace-temps où vous mélangez admirablement les genres, le roman, le récit, le théâtre, où on sent l’homme de théâtre habitué à la rhétorique, mais ici, c’est pour magnifier des propos vrais, est-ce pour troubler le lecteur afin d’accaparer encore plus son attention sur des thèmes abordés qui touchent tout le monde ?
Alexis Denuy : Je compose mes figures et leurs différentes facettes comme des couleurs sur une palette afin de donner plus de relief à mes propositions, pour moi l’expression est tout. En France, la liberté d’expression n’est pas totale, au contraire des U.S.A. et je suis pour une liberté d’expression totale depuis toujours, sans laisser aucun sujet de côté, par volonté farouche de franchise, peut-être un reflet de ma part maternelle protestante. En effet, une de mes aïeules, Marie Durand, fut enfermée à la tour de constance pendant la guerre de religion, sa captivité a duré 38 ans parce qu’elle restait fidèle a sa foi, elle a gravé avec ses doigts dans la pierre sur la margelle du puits de la prison l’inscription « RESISTER ».
J’ai la même détermination de liberté totale d’expression de toutes les idées, opinions, croyances, quelles qu’elles soient, dans la logique du vrai débat, sans censure ni autocensure. Je veux toucher les gens et j’utilise tous les registres d’écriture pour se faire comme un personnage de la commedia dell’arte. On manque moins de récit que de force c’est cette vitalité que je veux transmettre, physiquement, par mes mots, au lecteur. C’est un transfert d’énergie, je propose un contre discours au discours dominant, discours de domination utile au maintien du statu quo, je propose une parole d’émancipation et je fais en sorte que mon discours ait une consistance matérielle suffisante pour que le lecteur y trouve la force de se recommencer, de se remettre en question. Les mots sont importants, comment on vit, comment on se raconte, ont une existence aussi forte que les faits, qui peuvent toujours d’ailleurs être remarqués sous plusieurs angles, ma langue parle de la toxicité qu’on nous impose partout. Je propose un contrepoison.
Le Matin d’Algérie : Un mot sur Paul Ardenne qui a préfacé votre livre, « Propos en liberté »
Alexis Denuy : C’est très important d’être soutenu dans sa démarche, je pense que le mot liberté dans mon titre lui a parlé c’est pour lui il me semble la notion la plus importante avec celle de responsabilité. Paul Ardenne est quelqu’un qui n’est pas dans l’acquiescement, l’accommodement sans examen, bien qu’occupant un rôle dans la transmission du savoir par ses recherches dans le monde de l’art, du marché de l’art, de la nature, du sacré, de la prospective scientifique, du corps humain et de ses transformations. Il aime citer La Boétie le discours de la servitude volontaire.
Il garde et c’est central son libre arbitre, toujours parfaitement articulé et suffisamment de fluidité pour ne jamais prendre les choses pour acquises, c’est extrêmement rare et précieux. Il est toujours ouvert même à ce qu’il ne représente pas lui-même mais qui lui semble enrichir le débat, c’est un peu Voltaire « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous puissiez l’exprimer ».
Dans son livre « Heureux les créateurs ? artistes, encore un effort » Paul Ardenne prouve qu’il peut remettre son propre statut en cause ce qui montre sa rectitude « La bonne norme serait que l’artiste ait le pouvoir, et non d’abord ceux qui gravitent autour de lui. L’artiste contemporain n’a que des amis : critiques d’art, commissaires d’exposition, marchands, collectionneurs – tout ce beau monde le requiert, efficace et conciliant.
Chacun de ces acteurs, dans le « système » de l’art, a sa place. Certains orientent le goût quand d’autres le construisent, le consacrent, le monnayent ou le confisquent à leur profit (…) Quel constat la période récente impose-t-elle ? Ceux qui gravitent autour de la création artistique ont sans doute pris trop d’ascendant sur celle-ci. Et acquis à la fin trop de pouvoir, à commencer par la détention de l’espace critique (revues, médias), de l’espace d’exposition (lieux d’art contemporain, biennales), de l’espace institutionnel (aide à la création, résidences d’artistes, commande publique), de l’espace matériel enfin (galeries, collectionneurs).
L’artiste n’est plus le seul à avancer ses options, sa matière grise et son offre plastique. Le voici devenu non plus un décideur mais un outil. ».
Il me semble que cette parole de Paul Ardenne, assez rare dans le milieu artistique, surtout quand on en fait partie, sans être partisan de leur fonctionnement en l’occurrence, est assez forte et digne d’être méditée.
Le Matin d’Algérie : Quels sont les artistes, écrivains et poètes qui vous influencent ?
Alexis Denuy : D’abord les contes, c’est ce qui vient en premier, ma mère me lisait les contes de Grimm, d’Andersen, qui, de par leur magie, donnent à l’enfant qu’ils imprègnent l’espoir de déchirer le voile, l’impression de traverser la rive entre réel et imaginaire et de pouvoir, lui aussi, réaliser ses souhaits.
Au cinéma, j’ai retrouvé la même sensation de pouvoir donner vie à ses rêves dans le film Mary Poppins de Walt Disney d’après le livre de Pamela L. Travers., enfant j’adorais les contes mettant en scène des vœux qu’on peut réaliser comme les contes de Grimm « La table enchantée » ainsi que « Le vaillant petit tailleur », autrement nommé « Sept d’un coup », qui présente un personnage astucieux sachant se sortir des mauvais pas, également « Le chat botté » et « Le petit poucet » de Charles Perrault. Adolescent, j’ai dévoré « Le pays où l’on n’arrive jamais » d’André Dhôtel ainsi que « le grand Meaulnes » d’Alain Fournier, tous les deux dans le même registre du merveilleux de l’enfance.
Aujourd’hui, j’aime lire des entretiens d’auteurs, de personnalités ou d’anonymes, je raffole des anecdotes qui m’éclairent sur la psychologie humaine ainsi que les faits divers des journaux qui sont souvent comme des contes d’une façon différente. Comme littérature orale, j’aime les conversations de bistrot, je l’ai évoqué dans mon livre « Les protestes », j’en fait des notes, sortes de croquis que j’intègre à mes analyses sur la société, j’aime également chiner des livres dans les brocantes, on y découvre des curiosités constamment.
En littérature, je citerais trois phrases de mes trois principales références : Rimbaud « j’ai de mes ancêtres gaulois l’œil bleu-blanc », Brecht « Celui qui connaissant la vérité la nomme mensonge est un criminel », Artaud « Pensez de moi ce que vous voudrez ».
Le Matin d’Algérie : Un mot sur Catherine Poulain et le collectif NAO ?
Alexis Denuy : Catherine Poulain et moi formons un duo punk-banlieusard de superhéros qui s’est exprimé dans nos performances en commun, deux gavroches, tenaces et teigneux, tous droits sortis de Victor Hugo qui font face à la mitraille sur la barricade et résistent au système en préparant la pierre pour la lancer dans son troisième œil.
Nous avons tous deux le même esprit de résistance face au pouvoir établi, nous ne nous en laissons pas conter et nous nous redressons, malgré les attaques nombreuses que nous avons subi lors du développement de notre travail, avec toujours la volonté de faire mieux et de ne pas se laisser endormir par les hommes heureux, les hommes peureux.
Avec Catherine nous avons fondé Now Artists Outsiders, N.A.O., un collectif artistique, avec la volonté de constituer un corpus qui s’est exprimé par des performances, des vidéos, des expositions ainsi que la publication d’un manifeste dans la revue d’Art contemporain canadienne Inter. Nous avons eu la reconnaissance de Paul Ardenne qui nous a inclus dans sa catégorie d’« Art contextuel », en l’occurrence pour les performances-actions, produites en manifestations, lors du mouvement des gilets jaunes, ce qui a permis d’offrir une représentation artistique à ceux que l’on n’écoute pas.
Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours et avenir ?
Alexis Denuy : J’ai des projets sur le long terme en peinture et en écriture, ce sont pour moi comme des courant porteurs, il faut atteindre une certaine fluidité, c’est un travail au jour le jour. Il faut aussi prendre le temps de l’Art, qui est le temps du recul, comme depuis l’en-deçà, des voix appellent le vivant incarné, lui souffle l’inspiration et lui indique le chemin. Je ressens cela comme un disparu qui viendrait en moi me raconter ce qu’il a vu là-haut, nous sommes obligés, si nous avons une bonne boussole intérieure, de véhiculer ce message essentiel aux vivants et ainsi certainement apportons nous notre pierre à l’édifice de l’humanité.
Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?
Alexis Denuy : Il y aura toujours un dernier mot, la mort clos notre œuvre, arrête notre écriture comme on souffle une bougie. Nous sommes déjà dans une époque de spectres et le faux se constate partout, nous sommes pris dans ses plis. La farce est l’impératrice de l’époque, elle nous domine de sa puissance impériale et universelle, nous ne sommes plus que les reflets de ses simulacres, parfois on sort la tête de son marais mais la période est écrasée par le poids de son autorité.
Le mensonge règne et veut régner. Ce pouvoir est une mystification qui prétend être la vérité et au nom de ce statut absolu, autoréférencé et suprême, ce gouvernement global de la supercherie s’arroge le droit de censurer toute contestation de son droit tyrannique, or il y a le légitime et il y a le légal et quand la loi est illégitime elle n’a plus aucune crédibilité à administrer. Les menteurs et les adorateurs du culte du mensonge font les lois pour les hommes mais ne possèdent pas et ne posséderont jamais la légitimité de l’esprit.
Pour vos lecteurs du Matin d’Algérie, je leur souhaite d’être vrais, en relation avec leur authentique personnalité, loin des mots d’ordres. Il est important et même indispensable de rester en contact avec la nature et l’Art et de vibrer haut pour pouvoir se réaliser.
Entretien réalisé par Brahim Saci