En 1963, Alger, fraîchement libérée de la colonisation, devient un carrefour politique et intellectuel majeur. Dans ce contexte bouillonnant, Jacques Vergès, avocat engagé et figure montante du paysage politique algérien, fonde la revue Révolution africaine. La publication attire militants, intellectuels et observateurs étrangers, et devient un lieu d’échanges et de débats sur l’avenir du pays.
Parmi ces visiteurs se trouve Richard Gibson, journaliste américain présenté comme sociologue. Sa présence intrigue : lorsqu’un photographe l’interroge en janvier 1963 sur ses activités, il répond simplement qu’il voyage. Mais selon Jean-Marie Boëglin, militant du FLN et homme de théâtre, Gibson aurait reçu une bourse pour mener une étude sociologique en Algérie. Ces éléments alimentent des soupçons sur ses intentions réelles.
Dix-huit mois plus tard, Jacques Vergès l’accuse publiquement de travailler pour la CIA, révélant une dimension de surveillance et d’influence étrangère dans la jeune Algérie indépendante. Cette affaire illustre l’attention portée par les services américains à la capitale et aux mouvements politiques locaux, ainsi que la complexité des relations entre militants, intellectuels et observateurs internationaux.
Le cas Vergès-Gibson montre comment Alger est devenue un point stratégique pour l’observation des mouvements de gauche et des réseaux internationaux. Les interactions, parfois cordiales, entre journalistes et militants se teintent rapidement de méfiance, reflétant la vigilance des autorités face aux influences extérieures.
Cette période met également en lumière le rôle ambigu de certains journalistes, évoluant à la frontière entre reportage et intelligence politique. Alger ne se limite plus à son rôle de capitale culturelle et politique ; elle devient un théâtre où chaque mouvement est scruté et analysé, et où la confiance est un enjeu fragile.
Les archives récentes, analysées par Patricia Neves, révèlent la profondeur de cette surveillance et l’omniprésence des services étrangers dans la vie intellectuelle et politique de l’Algérie naissante.
L’histoire de Vergès et Gibson rappelle combien la jeune nation a dû naviguer entre ambitions internes et pressions internationales, dans un contexte où chaque geste pouvait avoir des implications politiques ou diplomatiques.
Synthèse Djamal Guettala
Source : Patricia Neves, “Dans les nouvelles archives de la CIA – Alger, 1963 : Jacques Vergès dans un nid d’espions”, Mediapart, 13 août 2025.