L’Etat en Algérie, serait-il ce « veau d’or » qui par sa puissance et son omniprésence résout tous les problèmes matériels d’une société sans âme ? La providence se trouve-t-elle au sommet de l’Etat ou dans le sous-sol saharien ? Qui est propriétaire des gisements pétroliers et gaziers ? L’Etat ou la nation ?
C’est celui qui dispose des recettes des hydrocarbures qui décide de leur affectation en fonction de ses intérêts stratégiques. Pour un peuple qui ne survit que grâce aux subventions de l’Etat et des revenus distribués par l’Etat sans contrepartie productive ?
Cette dépendance totale de la société à l’égard de l’Etat n’est-elle pas un obstacle majeur à la construction d’une démocratie ? Il est vrai que dans les pays occidentaux, la croissance des biens matériels sera d’autant plus rapide que les hommes seront plus conformes au type idéal du sujet économique, sujet animé par la volonté de produire toujours plus, de gagner de plus en plus, et de rationaliser de mieux en mieux. Une économie croîtra d’autant plus qu’elle sera plus rationnelle et animée d’un dynamisme fort.
C’est un fait établi en Algérie. Nous gérons le pays au présent avec les armes du passé sans tenir compte des impératifs du futur. La dépendance croissante de la population à l’égard du pouvoir accroîtra ses exigences et diminuera sa part de responsabilité.
Les gouvernants apparaissent dès lors comme les gérants d’inégalités sociales et des distributeurs de privilèges, entretenant avec la population des rapports de méfiance et de suspicion car dans la frénésie de la consommation les ambitions et les calculs de chacun l’emportent sur les obligations traditionnelles de solidarité.
La soif de l’enrichissement, l’attrait et le poids des modèles importés, le goût du confort et de la facilité, l’environnement international ont contribué à faire de l’Etat en Algérie, une parodie ou un pâle reflet de l’Etat moderne.
On est frappé par le développement du sentiment ethnique, régionaliste ou religieux au fur et à mesure que l’Etat se montre inefficient, déliquescent incapable de répondre aux aspirations et aux besoins des masses.
La religion, l’ethnie ou la région apparaissent comme des refuges pour les masses populaires désespérées et comme voie de recours conduisant à l’Etat, c’est-à-dire au partage des avantages et bienfaits du pouvoir. C’est parce que l’étatisme, au sens de l’absorption de la société par l’Etat, a échoué que le pouvoir a sécrété le tribalisme, l’intégrisme et le régionalisme.
La coexistence de la misère et de l’abondance devient chaque jour plus intolérante et l’on assiste à des pressions de plus en plus fortes à des revendications visant à une redistribution plus égalitaire des revenus. Des populations se sentant abandonnées à elles-mêmes, n’ont plus aucun intérêt à l’Etat. Le pouvoir ne leur apparaît plus légitime, il ne satisfait pas à leurs besoins.
La promesse d’un développement égalitaire pour tous n’a pas été tenue parce que les ressources du pays ont été dilapidées dans des projets grandioses sans impact sur la création d’emplois productifs durables et sur le développement de l’économie en dehors du secteur des hydrocarbures. Soixante ans après l’indépendance, l’Algérie dépend à 98 % des revenus des exportations du gaz et du pétrole.
L’Algérie est-elle condamnée à la fatalité d’un pouvoir fort de la dictature ?
La dictature pourquoi faire ? Pour construire l’Etat ? Pour assurer le développement ? On le prétend mais elle ne bénéficie qu’à une infime minorité. Quant à la démocratie, qui la réclame ? Des intellectuels en mal de reconnaissance à la fin de leur carrière dite professionnelle ? Des anciens commis de l’Etat qui rêvent de revenir aux affaires avant de s’éteindre ?
La génération de l’indépendance qui manque d’expérience dans l’exercice du pouvoir ? Une population infantilisée qui court derrière le sachet de lait (mal dosé) produit à partir d’une poudre importée ? Des notables qui ne sont pas sortis du douar pour prétendre entrer dans la cité ?
Des leaders non charismatiques de partis dits d’opposition, sans ancrage populaire, sans programme alternatif, sans conviction idéologique ou religieuse affirmée vivant des subventions de l’Etat ? Des affairistes qui cherchent à blanchir de l’argent mal acquis ? Des pseudo-industriels qui courent derrière une amnistie fiscale ?
Des hauts fonctionnaires qui veulent se perpétuer dans leurs fonctions officielles malgré leur âge avancé ? Des jeunes universitaires qui veulent s’investir dans la politique pour s’accomplir et ou s’enrichir ? La génération de l’indépendance qui revendique le pouvoir longtemps accaparé par la génération de novembre.
La démocratie ne se construit ni avec des chars, ni avec des fleurs, ni avec des paroles mais avec des actes quotidiens de tous et de chacun par l’instruction civique, l’ouverture d’esprit, l’acceptation de l’autre. C’est une œuvre de longue haleine qui exige patience, ténacité et discernement. Elle n’est pas exempte de toute embûche, déviation ou perte de valeurs et surtout d’identité dans un monde sans état d’âme qui se replie sur lui-même abandonnant à leur sort de ce qu’il considère comme les déchets de l’humanité. La famine sera le critère de sélection déterminant au droit à la survie.
Le premier droit de l’homme est de manger à sa faim. Et ce droit, aucune idéologie, aucun parti, aucune organisation ne le lui donne. Il doit le gagner à la sueur de son front. Pour ce faire, il ne doit compter que sur ses bras et sur sa terre.
Dr A. Boumezrag