25 avril 2024
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Algérie : là où le bât blesse !

Recrutement

En Algérie, la hiérarchie de surveillance ne remplit pas ses fonctions  coercitives pour des raisons liées à la fois à la primauté du politique sur l’économique et à la disponibilité d’une rente énergétique relayée par l’endettement.

L’orientation économique de l’Etat est soumise au pouvoir politique et de façon plus précise aux rapports de forces internes qui structurent ce pouvoir politique. Cette position de l’Etat a dispensé les entreprises publiques de rentabiliser les investissements, de rembourser leurs dettes d’exploitation et/ou d’investissement ou tout simplement de couvrir leurs charges d’exploitation par des recettes d’exploitation.

Mais cette position n’est possible que parce qu’elle est confortée par la rente suivie de l’endettement. La rente pétrolière a tendance aujourd’hui à baisser par l’effet conjugué de la hausse des coûts de production et la baisse des prix à l’exportation. Elle est également appuyée par des facilités d’endettement à court terme sur le plan interne et sur le plan externe Une bonne partie de la masse salariale du secteur public est financée soit par la rente, soit par l’endettement, soit par la planche à billet, sans oublier l’amortissement financier des investissements libellés en dinars et en devises en l’absence de cash-flow positif dégagé par l’entreprise.

La masse monétaire des entreprises publiques par rapport aux biens disponibles sur le marché (production locale ou importations) crée une situation inflationniste à deux chiffres insupportable pour les titulaires de revenus fixes (salariés, retraites, pensionnés etc..) et, ce d’autant plus que la productivité du travail du capital est faible. Dans les faits, le personnel des entreprises publiques perçoit des salaires sans rapport avec sa contribution à la production ou à l’amélioration de la gestion.

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Il n’existe aucune sanction positive ou négative du travail accompli, ce qui conduit à une déresponsabilisation ou à une dilution des responsabilités. En effet, les cadres dirigeants ont la hantise des arrêts de travail ou des grèves, or la production standardisée, la production de masse implique une simultanéité d’actions, qui doivent converger vers la réalisation du produit final.

Toute rupture d’un maillon de la chaîne signifie l’arrêt de la production, toute erreur de gestion, à quelque niveau que ce soit, se répercute sur l’ensemble en s’amplifiant. De plus, la promotion fonctionne dans un système clientéliste qui n’interfère que très peu avec l’efficacité du travail fourni.

Bref, l’encadrement n’est donc pas la hiérarchie coercitive de surveillance des entreprises capitalistes. Sans critères d’efficacité, ni motivation au travail, les salariés sont peu productifs.

A la lumière d’une expérience vécue dans le secteur public, on peut avancer que le clanisme et ses pesanteurs sociologiques ont eu des effets pervers sur l’organisation et la gestion des entreprises publiques en Algérie. C’est une attitude qui tire son origine de l’homme.

C’est avant tout un phénomène humain. De ce phénomène, on peut dégager deux aspects. Il y a d’abord un aspect primaire pour ne pas dire primitif qui correspond à cet élan irrésistible de solidarité autour d’une personne ou d’un groupe de personne issu(s) du même terroir. Il y a ensuite ce phénomène urbain résultant de l’exode rural vers les villes.

En ville, l’appartenance à une famille, à une tribu, à un clan importe peu ; l’essentiel est de répondre à un impératif immédiat : reconstituer de toutes pièces une famille qui garantisse à ses membres sécurité et épanouissement. De ce fait, qu’il s’agisse des entreprises publiques ou privées, il est notoire de trouver des services, des chantiers, ou des usines entières, où du chef de service, de chantier, ou d’usine jusqu’à l’appariteur ou du gardien se retrouvent là parce qu’ils se connaissent ou prétendent se connaître et non en fonction de leurs aptitudes.

C’est ainsi que le personnage bien placé en ville s’entoure des membres de sa famille, de son clan, de sa région sans se soucier de leur compétence ou de leur performance. D’où le spectacle affligeant d’un personnel ne sachant ni lire, ni écrire prenant la place des diplômés moins favorisés sur le plan des relations. D’où également ce gonflement excessif du nombre de personnes sans qualifications et sans rapport avec les besoins réels des entreprises.

Minées d’emblée, et à tous les niveaux par des comportements plus proches de la jouissance individuelle de privilèges acquis par le réseau de cousins que de la déontologie professionnelle, protégées de toute concurrence par leur situation de monopole, les entreprises publiques devinrent rapidement des machines à distribuer des salaires plutôt que des entreprises chargées de produire des biens et service de qualité tout en dégageant un profit.

Ces entreprises publiques furent donc en réalité le cadre de la redistribution de la rente pétrolière et gazière répondant ainsi aux vœux immédiats des algériens et conférant aux entreprises publiques, malgré leur caractère autoritaire et arbitraire, une certaine légitimité qui ne devait pas survivre à l’adoption de mesures de rigueur et de discipline. Comme, on le constate, l’Algérie indépendante s’est avérée impuissante à mettre en place des institutions économiques jouissant de la légitimité nécessaire pour fonder un principe hiérarchique et le respect de l’autorité.

A tous les niveaux, ces entreprises publiques et les règles qu’elles édictaient furent incapables de s’imposer aux réseaux de solidarités fondées sur les liens de parenté. Profondément ancrés dans les esprits, ces réseaux se reconstituèrent très vite derrière le paravent des organigrammes qui demeurèrent les véritables canaux d’accession au pouvoir sur les ressources et sur les hommes c’est à dire au pouvoir de signature des recrutements, des commandes d’achats, des ventes, des dépenses et des licenciements.

Les structures ne sont en réalité que des façades dissimulant des réseaux occultes et mouvants de relations lucratifs entre cousins. La persistance des solidarités communautaires fondées sur les liens de parenté semble bien être l’obstacle décisif à la construction d’une économie féconde et durable. En retour, cette solidarité d’occasion engendre un autre phénomène : celui du parasitisme lié à un certain contexte politique.

En effet, quiconque détient une parcelle du pouvoir, qu’il soit Président de la République ou Directeur d’entreprise, tombe immédiatement à la merci des siens, de tous les siens. Par tous les moyens, celui qui détient une parcelle de la puissance cherchera à faire intégrer les siens dans le circuit du nouvel ordre politico-économique au risque de se laisser corrompre ou compromettre pourvu qu’il soit assuré d’être maintenu à son poste. Le tribalisme est par conséquent un obstacle à l’efficience de la gestion. Il nourrit sa clientèle en lui assurant une promotion économique et sociale.

Le phénomène des interventions par lesquelles est facilitée la promotion de tous ceux qui ne répondent pas aux critères objectifs et transparents s’accommode aisément de ce réseau de relations.

Ces consultations se font en privé où sont prises nombre de décisions, le bureau ne servant plus que pour formaliser ce qui a été arrêté par ailleurs. On pourra nous rétorquer que le phénomène des interventions existe partout. Tout à fait d’accord. Mais par ailleurs, l’on défendra dans le cadre d’une intervention le dossier de quelqu’un possédant de solides références parce la concurrence est serrée. Tandis que chez nous, l’intervention s’exerce en faveur de personnes ne jouissant d’aucune qualification.

En outre, dans un système à circuits multiples et parallèles, il devient difficile de déterminer qui est responsable de quoi et devant qui. Il n’est pas exagéré de dire que l’entreprise publique est le lieu de l’irresponsabilité généralisée et institutionnalisée.

La transformation de l’entreprise exige une valorisation des compétences techniques et une réhabilitation du métier et du professionnalisme. Après deux décennies d’assistance totale de l’Etat, l’entreprise est-elle capable de prendre en mains son destin et de mettre son personnel sérieusement et professionnellement au travail ?

Si la question est simple au niveau de sa formulation, elle est par contre complexe au niveau de ses implications. Comment libérer ces énergies ? Rompre avec les liens d’assistance de l’Etat ? Devenir des travailleurs libres ? L’entreprise algérienne pourrait-elle réaliser cette mutation ?

Dr A. Boumezrag

(*) cf Les coûts cachés de la corruption El Watan du 07 octobre 2008

 

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