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mardi 5 août 2025
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Algérie : le coût abyssal de la corruption ou comment une nation se voit dépossédée d’elle-même

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Il y a des nations qui tombent sous le joug de l’Histoire, d’autres sous celui de la géographie, d’autres encore sous celui des coups d’État. L’Algérie, elle, a succombé à un ennemi intérieur plus insidieux, plus délétère, plus fatal : la corruption.

Non pas une corruption marginale, résiduelle, ou ponctuelle, mais une corruption systémique, organique, verticale, enracinée dans le squelette même de l’État et des institutions. Elle ne s’est pas contentée de ronger les marges, elle a dévoré l’ossature, siphonné les ressources, inversé les valeurs, avili les élites, retourné les échelles du mérite, érigé l’impunité en norme, et le vol en méthode de gouvernance.

Le coût de cette corruption ? Il est stratosphérique. Et pourtant, aucune véritable estimation officielle ne vient l’ancrer dans les esprits. Seules quelques voix (courageuses, souvent isolées) ont tenté de mesurer le gouffre. Le ministre algérien de la Justice en 2023 évoquait 36 milliards de dollars détournés entre 2000 et 2020.

L’ancien ministre de l’Énergie, Abdelmadjid Attar, avance un chiffre bien plus effarant : 1000 milliards de dollars évaporés depuis l’an 2000. C’est-à-dire l’équivalent de tout ce qu’a rapporté le pétrole algérien depuis plus de deux décennies.

Comment un pays de 45 millions d’habitants, disposant de ressources naturelles immenses, se retrouve-t-il aujourd’hui avec des infrastructures de santé délabrées, des écoles précaires, un chômage endémique, un dinar en chute libre et une jeunesse qui n’aspire plus qu’à fuir ?

La réponse tient en un mot : prédation. Comme l’expliquait l’économiste américain Paul Krugman, « La productivité n’est pas tout, mais à long terme, elle est presque tout. Le niveau de vie d’un pays dépend de sa capacité à produire efficacement. »

Or, dans le cas algérien, la richesse produite a été systématiquement confisquée. Pire encore, la rente a été utilisée non pour bâtir un tissu productif, mais pour nourrir une clientèle politique, acheter la paix sociale, ou alimenter des circuits opaques à l’étranger.

L’ancien ministre algérien de la Justice Tayeb Louh (lui-même condamné depuis) avait déclaré que 5000 milliards de dinars (soit environ 45 milliards de dollars au taux officiel de l’époque) avaient été injectés dans l’économie entre 2000 et 2015.

Où sont-ils passés ? À peine quelques routes, des aéroports sous-exploités, des logements mal conçus. Mais pas d’industrie lourde, pas de Silicon Valley algérienne, pas de transitions énergétique, agricole ou numérique.

Rien qui prépare l’avenir. La corruption en Algérie équivaut à un impôt invisible sur les pauvres, un cancer qui étouffe l’initiative privée, dévalorise le travail et favorise l’exil des talents.

La fuite des cerveaux, elle aussi, a un coût immense. Une étude de la Banque mondiale estimait déjà en 2018 que l’Algérie perdait annuellement l’équivalent de 1 à 2 % de son PIB à cause de l’exode de ses ingénieurs, médecins, chercheurs et informaticiens. À cela s’ajoute le manque à gagner dû à l’économie informelle, elle-même conséquence directe du discrédit qui frappe l’administration.

En 2021, elle représentait environ 40 % du PIB, selon le FMI, et près de 60 % de l’emploi. Ce n’est plus un secteur en marge, c’est l’économie dominante. Or, comme l’avait prophétisé le philosophe italien Antonio Gramsci : « La crise, c’est le moment où l’ancien meurt et où le nouveau ne peut pas naître. »

L’Algérie est suspendue dans cette zone grise, incapable de renaître parce que ceux qui tiennent les leviers de commande ne lâchent pas prise, et qu’ils n’ont jamais eu intérêt à bâtir un État fort.

L’historien américain Howard Zinn écrivait : « Vous ne pouvez pas être neutre dans un train en marche. » La corruption, en Algérie, n’est pas une anomalie. Elle est devenue une trajectoire. Elle n’est pas le bruit autour du signal, elle est le signal. Elle n’est pas un dysfonctionnement, elle est le système.

Aujourd’hui, le pays est face à une alternative radicale : soit il accepte de se regarder dans le miroir, de briser les cercles vicieux, de rendre des comptes, de créer une justice véritablement indépendante, de réhabiliter le travail et le mérite, de libérer l’intelligence et l’entrepreneuriat ; soit il continuera de sombrer, lentement mais sûrement, dans une agonie silencieuse.

La vraie indépendance n’est pas politique, elle est économique, sociale, morale. Et comme le rappelait le grand économiste égyptien Samir Amin : « Le développement est un processus autocentré. Il ne se délègue pas. Il ne s’achète pas. »

Aussi, la corruption ne dérobe-t-elle pas que l’argent. Elle vole ce que nul ne peut restituer : le temps. Le temps perdu dans les files d’attente, dans les bureaucraties absurdes, dans les procédures arbitraires.

Le temps gaspillé par les esprits brillants contraints à l’exil. Le temps que les jeunes passent à chercher des issues, non à inventer des avenirs. Le temps qu’un pays aurait pu consacrer à bâtir, à enseigner, à soigner, à chercher, à créer. Le temps de vivre dans la dignité.

Or, ce temps volé est le plus tragique des pillages. Car contrairement à l’argent ou aux ressources, le temps ne revient pas. Il ne s’épargne pas. Il ne s’imprime pas. Il ne se nationalise pas. Il s’écoule. Et lorsqu’une nation sacrifie une génération entière au nom de la corruption, elle ne perd pas seulement des points de PIB. Elle perd son avenir. Par conséquent, l’Algérie devra donc choisir : continuer à vendre son avenir au prix du baril, ou décider enfin de l’écrire avec le sang neuf de la vérité, de la justice et de la compétence.

Hassina Rabiane

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