Jeudi 6 février 2020
Algérie : le verbe, un refuge à l’impuissance d’agir !
« En politique, si vous voulez des discours, demandez à un homme. Si vous voulez des actes, demandez à une femme », Margareth Thatcher.
L’actualité donne l’image d’un pouvoir qui veut briser le miroir afin d’exorciser les démons qui l’habitent devenus encombrants l’empêchant de prendre de la hauteur et de la distance par rapport aux évènements et aux hommes. L’indépendance est perçue par l’élite dirigeante issue du mouvement de libération nationale comme un butin de guerre à partager et non comme une responsabilité à assumer. Une indépendance à deux visages : celle des héritiers de l’Algérie de la France et celle des laissés pour compte de l’Algérie sans la France. L’Algérien s’est débarrassé du bleu de travail du colon pour enfiler la djellaba blanche de l’indépendance. La femme a retiré sa robe pour mettre le pantalon. Elle est fonctionnaire, son mari est chômeur, ses enfants sont dans la rue. La rue est sale, les rats circulent, ils prennent du poids.
A la faveur d’une manne pétrolière et gazière providentielle, l’élite au pouvoir n’a pas hésité à caresser le peuple dans le sens du poil en lui chuchotant à l’oreille : « Dormez, dormez braves gens, l’Etat veille sur votre sommeil » et le peuple y a répondu massivement en poursuivant son sommeil jusqu’à ce que mort s’en suive. C’est le repos du guerrier. Comme le lit est « multiplicateur » en couchant à deux, on se retrouve à trois puis à quatre, à cinq souvent dans la même chambre. On pousse les murs, on cloisonne le salon, on déshabille la cuisine, on supprime le balcon,
On dort à tour de rôle pour finir dans la rue sans toit et sans loi ; on fait du « chahut », la répression s’abat, l’islamisme politique fait son apparition, la violence aveugle voit le jour,, le terrorisme se mondialise le prix du baril grimpe, les pétrodollars affluent, les caisses de l’Etat débordent de monnaie. Des milliers de logements clés en mains sont importés de Chine implantés sur des terres fertiles livrant ses habitants à l’insalubrité et à l’insécurité. 90 % de la population se trouvant concentrée au nord du pays sur 10 % du territoire ressemble à cette barque des ha ragas qui chavire sur la méditerranée en quête du paradis perdu.
L’objectif étant de faire de l’Algérie la nation la plus peuplée du monde dans un mouchoir de poche. C’est ainsi que la population a vu son nombre multipliée par cinq en suivant la consigne tacite « Faîtes des enfants que vous voulez mais surtout ne vous mêlez pas de politique, elle n’est pas faîte pour vous », c’est notre domaine de compétence exclusif. « Contentez-vous d’applaudir nos réalisations » Pour ce qui nous concerne, nous ne savons rien faire d’autres. Nous n’avons été ni paysans, ni bourgeois, ni ouvriers, ni entrepreneurs, ni industriels, ni enseignant, ni chercheur. Toute notre carrière professionnelle se résume à faire de la politique. Tout ce que nous avons à léguer à la génération montante, c’est l’art de mentir. La politique c’est notre raison de vivre.
C’est notre « poule aux œufs d’or ». C’est elle qui nous nourrit, nous enrichit et nous protège. Nous tenons à elle comme à la prunelle de nos yeux. Nous n’allons tout de même pas l’offrir sur un char fleuri ou dans une urne transparente à d’autres prétendants aussi voraces et aussi menteurs que nous. Une élite qui construit son propre pouvoir sur les perversions d’un peuple meurtri.
Lorsqu’un certain type de stratégie de pouvoir s’identifie à une équipe dirigeante, il est peut être nécessaire de changer d’équipes pour parvenir à adapter le discours ; car le verbe peut servir de refuge à l’impuissance d’agir. Il y a une grande différence entre les hommes politiques et les hommes d’Etat, les uns pensent à la prochaine élection, les autres aux futures générations. S’il est possible que des dirigeants intelligents reconnaissent leurs erreurs et soient disposés à les corriger, il est également possible qu’un peuple qui s’est libéré du joug colonial accepte de se dire des vérités et décide dans sa grande majorité d’amorcer des changements indispensables à sa survie dans un monde sans état d’âme qui ne laisse aucune place aux nations faibles.
Mais, « à quoi sert la lumière du soleil, si on garde les yeux fermés ? Malheureusement, « La soif de dominer est celle qui s’éteint la dernière dans le cœur de l’homme » écrit Machiavel. Plus loin, il déclare « Un prince qui peut faire ce qu’il veut est un fou ». Et au fou, on répond par le silence. Nous avons les dirigeants que nous méritons car nous sommes un peuple dont on peut acheter la conscience et que l’on peut tromper indéfiniment. Si le gouvernement est la source de tous les problèmes, il est aussi la source de toutes les solutions.
Si l’on veut réaliser la possibilité de l’Algérie de rompre avec le syndrome autoritaire, une analyse en profondeur des rapports entre les élites et le peuple est indispensable. Rare sont les dirigeants qui disent la vérité parce que faire de la politique c’est mentir. Qui va abandonner la douceur de vie de la vallée pour emprunter les chemins tortueux de la montagne ? Dans ce contexte, aucune force politique ou économique ne peut s’opposer au règne sans partage des hydrocarbures sur l’économie et de l’armée sur la société sur une longue période. C’est une question de sécurité et d’unité nationale laquelle est au-dessus de toute considération politique ou économique pour reprendre le discours phare des décideurs. Toute opposition partisane ou affairiste, affichée ou cachée, réelle ou supposée, ne rêve que d’accéder au reste du gâteau ou à une parcelle de pouvoir.
Contrairement aux idées répandues ici et là, ce n’est pas les urnes qui légitiment le pouvoir en occident mais la production des biens et services c’est-à-dire de la croissance économique suivant une logique purement économique en vertu de la valeur travail largement développée par les grands classiques de l’économie politique Ricardo, Smith, Marx.
Par contre ce qui légitime le pouvoir en Algérie, ce n’est pas l’armée et les services de sécurité, c’est la redistribution de la rente sous forme de biens et services provenant pour l’essentiel des importations financées par la rente pétrolière et gazière suivant une logique essentiellement politique en vertu du principe sacro-saint que « tout peut s’acheter », il suffit d’y mettre le prix (le pouvoir, la sécurité, la paix sociale etc…).
Dans une économie de marché, les rapports de production sont dominants et de nature conflictuelle parce qu’il s’agit d’exploitation de la force de travail c’est-à-dire une ressource à mobiliser. Le résultat de cette exploitation se traduit par l’existence de deux classes sociales antagonistes : la classe ouvrière détentrice de la force de travail et la classe bourgeoise détentrice des moyens de production. En fait, la dialectique du pouvoir, on la trouve en général dans la lutte entre patrons et ouvriers, entre capital et travail, profit et salaires relayée sur la scène politique par les partis de droite et de gauche.
Dans une économie rentière, les rapports dominants sont des rapports d’aliénation de nature non conflictuels mais clientélistes parce que reposant sur la dilapidation des ressources énergiques et non sur l’exploitation productive des populations. Ces rapports se traduisent par une double aliénation : aliénation du pouvoir vis-à-vis des puissances étrangères et aliénation de la population vis-à-vis du pouvoir. Il est utile de parler d’aliénation que d’exploitation car le premier terme définit un rapport politique et le second un rapport économique.
Le résultat de cette double aliénation, c’est que la société se trouve divisée en deux classes sociales distinctes : la classe des rentiers du système c’est-à-dire la classe qui est au pouvoir ou dans sa périphérie y compris l’opposition. Cette classe bénéficie à un titre ou à un autre, à un degré ou à un autre, d’une cote part de la rente relayée par l’endettement ou du moins de leurs contrepartie en biens et services importés. C’est la tranche d’âge des plus de cinquante ans. Pour cette couche sociale, la richesse distribuée est proportionnelle à l’âge et la position de chacun dans la hiérarchie du pouvoir ou sa place dans le réseau des relations clientélistes tissé par le pouvoir. Il s’agit de la génération de novembre.
La classe des laissés-pour-compte, c’est la classe sociale qui est exclue ou marginalisée par le pouvoir. Elle ne bénéficie qu’indirectement des retombées de la redistribution de la rente perçue par les chefs de famille. Il s’agit principalement de la génération de l’indépendance C’est la catégorie sociale la plus décidée à affronter le système de domination en place parce qu’elle n’a rien à perdre. C’est cette catégorie de jeunes marginalisés par l’appareil de formation, de distribution, vivants d’expédients, soumis à l’autorité tatillonne de leurs aînés et représentant près des deux tiers de la population. Elle est aussi la moins apte à prendre la direction du changement qu’elle contribue a provoqué.
Ce qui explique qu’elle soit courtisée par les uns et par les autres. «Celui qui peut régner sur la rue, règnera un jour sur l’Etat car tout pouvoir politique a ses racines dans la rue ». La maîtrise de la rue passe par le retrait de l’armée (le bâton) de la scène politique et la rente de la sphère économique (la carotte). L’un conduit à la répression et l’autre à la corruption.
Les deux sont inopérantes. La rue a démontré son pacifisme aux forces de l’ordre et a signifié son refus de l’argent sale aux pouvoirs publics. Les conditions sont réunies pour l’émergence d’une société civile. Deux défis à relever : l’argent sale doit se transformer en argent propre par l’investissement productif et la création d’emplois massifs (conversion de la rente en capital), La population doit cesser d’être une charge à supporter pour devenir une ressource à mobiliser. Le recouvrement de la dignité, la légitimation des fortunes sont à ce prix.
La fin de la violence signifie la fin de la répression, l’émergence d’une société civile passe par la lutte contre l’argent sale (corruption) en investissant et en créant des emplois. Pour passer d’une rive mal ensoleillé à un rive ensoleillée, il faut pays le prix à l’avance. Il n’y a pas de dictature de transition vers la démocratie. La démocratie ne se décrète pas, elle s’arrache, la fortune se mérite, le travail ennoblit, le pouvoir corrompt. « Le pouvoir absolu corrompt absolument ».
Dans ce bas monde dominé par l’argent, la main qui donne est toujours au-dessus de celle qui reçoit. Le peuple ne fait que tendre la main sans produire et le pouvoir ne fait que réprimer sans créer d’emplois. Les deux ne font que se donner l’illusion d’exister. Un peuple oisif est comme une femme stérile. Elle est bonne à rien. Un mari pervers ne sait que violenter sa femme pour cacher son impuissance ou dans le meilleur des cas la corrompre avec des cadeaux pour acheter son silence pour ne pas dire sa complicité.
Tôt ou tard, elle ne tardera pas à lui être infidèle avec le premier venu disposant d’un tison pouvant allumer un volcan éteint. Et il sera le dernier à le savoir. Un Etat impuissant face à une société improductive. « L’homme croit gouverner, c’est à peine qu’il règne, il se croit le maître alors qu’il n’est que l’esclave. Partout et toujours l’homme s’agite et la femme le mène » Auguste Guyard.