Lundi 25 mars 2019
Algérie : manifeste pour la deuxième république (I)
«On s’obstine à relancer sur le marché politique les vieilles élites corrompues, usées et discréditées» (Mostefa Lacheraf
Pour rappel, la République algérienne a connu autant de Constitutions que de Présidents. Tous illégitimes et quasiment tous ayant accouché d’une Constitution. Une donnée majeure et permanente : l’emprise du chef de l’Etat sur toutes les institutions, titulaire d’impressionnants pouvoirs, alors qu’il a été promis au pays « un Etat sérieux et régi par une morale ». Les scandales politico-financiers depuis ont achevé ce projet. Ainsi, à travers la Constitution de 1963, le président Ben Bella -civil appuyé par le FLN (alors parti unique)- et surtout la direction de l’Armée ont essayé le monocratisme partisan et l’autogestion pour quelques mois. Sans lendemain. Il fut déposé par un coup d’Etat à raison du culte de la personnalité.
Boumediène, colonel à la tête d’un Conseil de la Révolution, a tenté le « socialisme spécifique » ayant abouti en fait à un capitalisme d’Etat périphérique et à un système politique investi par la Direction de l’Armée. Une forme de césarisme militaro-bureaucratique qui a verrouillé tout droit à l’expression à l’opposition et à la société civile. Au plan politique, des officiers supérieurs occupent (ont occupé) depuis des postes importants : président de la République, ministres, walis, PDG de sociétés nationales… La Constitution de 1976 -qui évoque six fonctions (et non pouvoirs)- fut sans doute davantage un moyen de tentative de légitimation du pouvoir alors en place qu’une ressource d’organisation des institutions et un renouvellement du personnel politique.
Avec la Constitution de 1989, le président Bendjedid, colonel successeur à la présidence et candidat unique du FLN élu à plus de 99% des voix, a fini par mettre sous la pression de la rue et des ses pairs une forme de multipartisme ayant abouti in fine à un système de parti dominant. Ce système est devenu depuis une « alliance présidentielle » s’apparentant à une pensée unique, pratiquant un libéralisme débridé ayant contribué à la constitution de fortunes diverses pour une minorité (financière, immobilière et foncière). Parmi les points nouveaux, dans cette Constitution, figurent la consécration du principe de la séparation du pouvoir et l’absence de référence à l’option socialiste. « Le droit de créer des associations à caractère politique est reconnu» et «la durée du mandat présidentiel est de cinq ans». Toutefois, cette Constitution fait l’impasse sur le nombre de mandats et du nombre des candidatures à la présidence de la République.
Sans rupture déterminante, la Constitution de 1996 a eu tout de même le mérite de consacrer sur le texte l’alternance au pouvoir par la limitation des mandats présidentiels (deux quinquennats suffisent).
En ce sens, l’Histoire devra gré au président Liamine Zeroual d’avoir tenté d’inscrire dans le texte fondamental ce principe essentiel à la démocratie. La Constitution de 2008, tout en confirmant le président de la République dans ses impressionnants pouvoirs, a effacé d’un trait de plume ce principe. Le Président continue d’être le centre du pouvoir. Premier magistrat du pays, ministre de la Défense nationale et chef des Armées, il nomme et démet le chef du gouvernement qui est responsable devant lui ; il légifère concurremment au Parlement par voie d’ordonnances pendant les périodes d’intersessions de l’Assemblée…
Constitution et système politique
La stratocratie semble être la définition qui convient le mieux pour qualifier le système politique algérien (voire une oligarchie dès lors qu’on a affaire à un pouvoir politique fondé sur la prééminence de quelques personnes, « le cercle des décideurs »). Notre système politique a donc plus que jamais besoin d’être réaménagé. Ainsi, après avoir laissé présager une vie politique sous-tendue par le multipartisme -certes insuffisamment structuré-, l’élection présidentielle d’avril 1999 n’a pas permis de consacrer des traditions politiques durables en Algérie inspirées de la démocratie en tant que nouveau concept soumis à l’épreuve des faits.
Depuis, le pouvoir demeure plus que jamais jaloux de son autoritarisme constitutionnalisé. Et pour cause, les principaux rouages de l’Etat (gouvernement, assemblée, armée, partis…) sont exclusivement aux mains de la gérontocratie ayant acquis de réels intérêts. Il s’agit là d’un affairisme d’Etat ; les affaires liées à la corruption révélées par la presse nationale le confirment. Feu Lacheraf a pu dire : «On s’obstine à relancer sur le marché politique les vieilles élites corrompues, usées et discréditées.»
Pourquoi et comment réformer ? Pour mettre un terme au système politique dominé par l’institution de la présidence de la République et la direction de l’armée, ainsi que par une pensée unique imposée jusqu’au 5 octobre 1988. Le système actuel s’apparente à un parti dominant (conglomérat à plusieurs actionnaires politiques).
Face à la quasi-absence de l’opposition sur la scène confirmant le déficit démocratique en Algérie, il faut avoir l’audace de s’engager dans la voie de la réforme de ce système pour redessiner le profil des institutions politiques algériennes et redéfinir les prérogatives de celles-ci en vue d’asseoir un équilibre des pouvoirs. Et non pas obéir à un quelconque réflexe de fait du prince miné par le culte de la personnalité. Et comme je n’ai de cesse de le dire, depuis de nombreuses années à travers les colonnes de la presse nationale, il y a lieu de mettre un terme à un exécutif inutilement bicéphale. En effet, il est manifeste que de la Constitution de 1963 à celle de 2008, les prérogatives dévolues à la fonction présidentielle sont exorbitantes.
Les pouvoirs législatif et judiciaire étant inféodés au pouvoir exécutif, il est nécessaire que le constituant procède à une répartition du pouvoir d’Etat entre les principaux acteurs politiques. Voilà pourquoi l’équilibre des pouvoirs est une nécessité vitale pour éviter de s’enfermer dans un schéma d’autoritarisme caractérisé et de mépris affiché à l’endroit des autres institutions et du personnel politique, judiciaire et administratif. Il y a là les ingrédients pour une dictature présidentielle, d’autant plus qu’il y a irresponsabilité politique du chef de l’Etat.
Ainsi, il y aura lieu de réfléchir à l’institutionnalisation d’un réel contre-pouvoir au sein de l’Etat pour permettre une émulation institutionnelle, synonyme d’une bonne santé de la gestion du pouvoir et de saines décisions démocratiques pour éviter au pays de sombrer dans l’immobilisme. Pour le contre-pouvoir, la meilleure antidote ne peut être constituée que par des organisations non gouvernementales gérées par des personnalités issues de la société civile, en ce qui concerne la veille quant aux droits de l’homme, la construction de l’Etat de droit, l’alternance au pouvoir, la liberté d’expression (presse et culture)…
En ce sens, le Premier ministre (souvent désigné selon des critères de connivence politique, voire par compromis) n’est, somme toute, qu’un grand commis de l’Etat chargé d’une mission par le président de la République sans aucune volonté politique et prérogatives autonomes. Peut-il en être autrement, dès lors que les titulaires des principaux départements ministériels (Défense, Intérieur, Affaires étrangères, Economie, Justice) sont souvent des hommes liges du président de la République qu’il nomme pour leur allégeance à sa personne davantage qu’à une doctrine politique ?
En la matière, la réforme serait purement et simplement de gommer l’institution du Premier ministère. Il me semble en effet qu’il y a une dyarchie inutile. La présence soutenue du président de la République lors des Conseils des ministres, en vue d’asseoir des décisions d’obédience nationale, démontre l’inutilité de cette institution que l’on peut juger inefficace. Il est vrai que la maladie du président actuel ne plaide pas pour cette solution au jour d’aujourd’hui. En contrepartie, en qualité d’expression de la légitimité démocratique, le Parlement doit pouvoir bénéficier de prérogatives à même de lui permettre de contrôler de façon efficiente la politique du gouvernement franchement dirigé par le président de la République. Il s’agit-là d’un élément structurant de la vie politique et constitutionnelle du pays. Quant aux ministres, il y a lieu de les faire bénéficier d’une autonomie indépendante de la volonté présidentielle à même de leur permettre d’apprécier les solutions à apporter aux secteurs dont ils ont la charge ; ce, sous la vigilance du Président en sa qualité de véritable chef de l’Exécutif.
Par ailleurs, on peut légitimement s’interroger sur l’existence d’une seconde chambre. Pourquoi un bicaméralisme là où une seule chambre n’arrive pas à exercer le peu de ses prérogatives constitutionnelles (la mise en place de commissions d’enquêtes par exemple alors que, selon la presse nationale, existent tant de scandales financiers). Le constitutionnalisme algérien n’explique pas les tenants et aboutissants de l’institution du Sénat (Conseil de la nation) dont le tiers dit « présidentiel » est désigné par le président de la République. En effet, dès lors que les différentes tendances politiques, couches sociales ou catégories socio-économiques, régions du pays, âges et sexes, sont sérieusement représentées au sein de l’Assemblé nationale, il me semble légitime de s’interroger sur l’efficacité de l’institution d’une seconde chambre. Dans ces conditions, le monocamérisme devrait pouvoir suffire aux besoins du parlementarisme algérien qu’il serait inutile de doper par l’élection d’une chambre qui alourdit de toutes façons le fonctionnement normal du système politique pour une meilleure lisibilité et transparence de la vie politique du pays.
A cet égard, des Parlements régionaux seraient à même de palier l’absence d’une seconde chambre. Ainsi, l’Algérie n’a pas cru devoir explorer la donne de la régionalisation en tant que forme organisationnelle intermédiaire entre l’Etat et les Collectivités locales. Ces Parlements devraient permettre une décentralisation et une déconcentration de certaines prérogatives dites de puissance publique entre les mains des représentants régionaux afin d’alléger l’Etat, en sa qualité de maître d’œuvre de la politique de la nation, de certaines tâches davantage techniques que politiques. Il y a donc lieu de réfléchir à la mise en place, dans un premier temps à titre expérimental, de régions avec assemblée régionale élue en tant que nouvelle entité politico-administrative.
Quoi qu’il en soit, l’Assemblée nationale devrait regrouper tous les partis connus sur la scène politique – toutes tendances confondues – aux lieu et place d’un savant dosage obéissant beaucoup plus à des considérations d’alliances qu’à une authentique carte politique issue du suffrage universel (souvent manipulé en sorte que l’essentiel du pouvoir reste concentré entre les mains des décideurs politiques en leur qualité de géniteurs du système). C’est sans doute là une réforme d’Etat d’avenir. Il est vrai que la vie politique et constitutionnelle actuelle du pays s’apparente, par son caractère récidivant, à du présidentialisme (dégénérescence du régime présidentiel) où le président de la République croit avoir droit de vie et de mort sur la nation. Dans cette perspective, il paraît évident qu’il existe en Algérie un déficit chronique en matière d’équilibre des pouvoirs, dans la mesure où ce présidentialisme (sorte de technologie constitutionnelle artisanale de pays encore rivés au sous-développement politique) ; ce, par la grâce d’une gérontocratie qui n’a de grand qu’une rhétorique démesurée et une attitude arrogante dont le populisme est le moindre mal.
Constitution et projet de société
Le système politique algérien qui repose sur un déséquilibre institutionnel établi au profit du président de la République sans contrepoids réel (si ce n’est en coulisses par les «décideurs politiques» qui demeurent ses bailleurs de pouvoir) devrait évoluer vers un Parlement qui reflète un pluralisme politique authentique, une magistrature indépendante, une presse libre et une société civile structurée. En effet, pour prévenir des risques certains de l’autoritarisme et de l’arbitraire, les éléments que j’ai évoqués constituent le meilleur rempart afin de tempérer les abus d’un Exécutif envahissant. Il est vrai, à cet égard, que la société civile a été longtemps privée de son droit légitime à l’expression sous toutes ses formes, alors même qu’elle constitue par essence le vivier naturel pourvoyeur du personnel politique à même de décider du devenir de l’Algérie.
Principal acteur de la vie politique, la direction de l’armée – alors Conseil de la révolution – a conçu l’Etat en lui assignant un rôle majeur comme principal entrepreneur, banquier, employeur… Dans cette perspective, elle s’est constituée en structure gouvernante en s’attribuant des postes-clés dans l’ensemble des rouages du pouvoir d’Etat, se transformant en caste dominante sur l’échiquier et agissant tantôt de façon autonome (Conseil de la révolution), tantôt sous le couvert d’une personnalité cooptée issue de ses rangs (cas des présidents algériens depuis la succession de feu Boumediène, hors le cas de Boudiaf).
Le Ministère de la Défense nationale se révèle d’une importance capitale pour qui veut dominer l’échiquier politique longtemps assujetti à la pensée unique. Il reste ainsi évident que pour promouvoir davantage le concept de démocratie, les tenants du pouvoir gagneraient à réaménager cette institution qui demeure incontournable dans la vie politique algérienne. La réforme devrait consister en une professionnalisation en sorte que cette institution, nécessaire à la Défense nationale, puisse se consacrer avec sa haute hiérarchie à cette tâche dévolue au demeurant par la Loi fondamentale du pays. Et qui est loin d’être une sinécure (les cendres d’In Amenas sont encore chaudes)…
Depuis longtemps, la question se pose de savoir comment la pensée politique algérienne va s’intégrer dans une autre logique ? En l’espèce, celle inaugurée par les orientations d’économie de marché et l’importance accordée de plus en plus au secteur privé dans l’ensemble des domaines, avec de nouvelles perspectives d’ordre politico-institutionnel suite à la remise en cause du parti unique (et davantage la pensée unique), la professionnalisation de l’armée, l’émergence de la société civile comme acteur de la vie publique du pays… et d’ordre technico-juridique, notamment l’utilisation d’autres règles constitutionnelles telles que la séparation des pouvoirs et le respect des droits de l’homme et des libertés individuelles et publiques dont celle d’expression, primordiale d’entre toutes. Les douloureux « événements » d’octobre 1988 ont pourtant donné aux tenants des réformes l’occasion de démocratiser la vie publique dont les citoyens auraient été les acteurs conscients ayant le libre choix de leurs gouvernants à travers la constitutionnalisation du multipartisme. La société civile – comme l’a montré ce que d’aucuns ont qualifié de « printemps arabe »- doit devenir l’acteur principal de la vie politique car détentrice de la souveraineté qu’elle délègue à ses représentants élus : Président de la République, Parlementaires, Maires.
C’est sans doute là que réside la réponse à la fin de la « crise » que vit le pays qui subit un pouvoir en mal permanent de légitimité. Il devient en effet évident que les ressources politiques antérieures (le nationalisme et le populisme aux lieu et place du patriotisme et du débat contradictoire) ne suffisent plus face aux défaillances d’un système productif d’une bureaucratisation à outrance faisant le lit de la corruption à grande échelle (y compris au sommet de l’Etat), d’un fort taux de chômage de la jeunesse, d’une austérité pesante même à l’heure de « l’aisance financière », d’une paupérisation englobant les couches moyennes de la société, d’une clochardisation des cadres – y compris au prix de leur injuste incarcération -, d’une inflation qui court après le marché informel de la devise et autres produits de l’importation, d’un dessaisissement de l’Etat d’attributs économiques sans contrepoids réel de contrôle de la sphère économique par celui-ci…
Dans ces conditions, pour permettre l’effectivité de la légitimation du pouvoir avec à la clé un véritable projet de société d’où découlera un programme économique et une politique culturelle et de communication efficiente, toute révision constitutionnelle (voire plutôt nouvelle et durable Constitution) se doit d’être convaincante par des arguments pertinents.
Outre la limitation du nombre des mandats présidentiels -que les tenants du pouvoir ignorent superbement- avec pluralité de candidats représentant les tendances de la carte politique du pays et non les serviteurs du système, il y aura lieu d’inclure la responsabilisation du Chef de l’Etat et celle efficiente du gouvernement devant l’Assemblée. Si l’Algérie opte pour un régime parlementaire, le gouvernement aura à sa tête un Premier ministre désigné par le président de la République au vu de la majorité effectivement élue.
Bien entendu, cette option ne devra pas occulter la réflexion sur la l’utilité de la dyarchie au sommet et sur le bicaméralisme comme exposé supra. Car l’autre option demeure, à savoir adapter le régime présidentiel où le chef de l’Etat conserve cette prérogative, c’est-à-dire celle d’être la seule tête de l’Exécutif avec élection (et non désignation) d’un vice-président (auquel pourraient être confiées certaines missions, mais également pour pallier les cas de vacance de pouvoir, en cas de maladie notamment comme semble être actuellement le cas) et délégation de pouvoir assez élargie pour les membres du gouvernement responsables devant les élus du peuple siégeant au Parlement. Ce sera un choix assumé pour rompre avec le présidentialisme en vogue en Algérie.
Ainsi, pourra être réalisé un contrôle de la politique de l’Exécutif, donc celle du chef de l’Etat ès qualité de premier responsable de la vie politique du pays. Ce, car il bénéficie de pouvoirs importants : il est le chef suprême de toutes les forces armées de la République (ministre de la Défense nationale) ; il nomme le chef du gouvernement ; il pourvoit à tous les postes civils et militaires… Il dispose donc de tous les postes pourvus à ce jour par une élite faisant partie de la nomenklatura davantage que de la société civile militant dans des partis politiques, des syndicats, des ONG et des associations. Il est vrai qu’au regard des dispositions constitutionnelles actuelles, sa responsabilité n’est à aucun moment mise en cause si ce n’est à travers le premier ministre qu’il nomme et destitue comme il le ferait avec un quelconque haut fonctionnaire. Et surtout, le président de la République conserve l’initiative de la loi concurremment au Parlement, donc pouvant court-circuiter celui-ci en légiférant par voie d’ordonnances qui devrait garder son caractère d’exception.
Et dans l’édifice constitutionnel, si les partis politiques ne sont pas considérés comme en faisant partie, ils demeurent des éléments nécessaires à la vie politique. A cet égard, le multipartisme doit-il signifier une myriade de formations ? Il me semble que, compte tenu de l’orientation à insuffler au système politique (qui pourrait inaugurer l’ère d’une deuxième République), la réforme en la matière serait une solution qui pourrait aboutir soit à un bipartisme suite à la fédération de diverses tendances politiques (selon un schéma classique : parlementaire comme c’est le cas de la Grande-Bretagne avec les conservateurs et les travaillistes ou présidentiel avec les républicains et les démocrates, comme c’est le cas aux Etats-Unis) ou à un multipartisme (selon un autre schéma : régime qualifié de « semi- parlementaire » ou « semi-présidentiel » où l’essentiel du pouvoir demeure aux mains du seul président de la République dont le Premier ministre apparaît souvent comme un tampon entre lui et les autres institutions (principalement le Parlement) et comme un fusible pratique lors de mécontentements réitérés de la population.
Dans cette perspective, l’aspiration à la démocratie, conçue comme moyen de résolution de la question du pouvoir autrement que par la violence, ne peut tolérer longtemps l’étouffement des libertés publiques et du droit à l’expression par l’incarcération des journalistes et la marginalisation des hommes de pensée et de culture (comme on l’observe régulièrement dans notre continent africain) avec, comme corollaire, l’existence de forces politiques autonomes (partis politiques, syndicats, ONG, associations) ayant leurs propres canaux de communication avec les citoyens (la télévision algérienne ayant vocation à être un véritable service public ouvert à tous et à toute forme de communication, y compris celle parfois impertinente).
Ce faisant, le système politique doit être réaménagé en profondeur si l’on veut éviter d’autres explosions populaires qui demeurent le seul mode d’expression du mécontentement. Car à force d’étouffer les révolutions pacifiques, la violence risque de s’installer durablement comme elle l’a été dans un passé récent. Et avec elle, l’autre violence : la corruption dont les tenants ne se cachent plus pour vivre de façon ostentatoire (nouvelles féodalités politiques et économiques) et les différenciations socio-économiques flagrantes dues principalement à une répartition inéquitable du revenu national qui engendrent maintes frustrations, singulièrement du point de vue du logement et de l’emploi.
L’originalité serait donc l’assimilation critique des notions de la modernité, de la démocratie, des droits de l’homme de la femme et de l’enfant, de l’alternance politique, de la liberté d’expression, du débat démocratique contradictoire et du respect de l’opinion de l’autre ; d’où l’urgence pédagogique qui consiste à permettre aux citoyens de se gouverner plutôt que d’être gouvernés, au moins à partir d’un choix facilité par le suffrage organisé de façon crédible, durable et honnête. (A suivre)
(*) Ammar Koroghli est avocat au barreau de Paris (docteur en droit, constitutionnaliste) – Auteur algérien (notamment de «Institutions politiques et développement en Algérie »)