23 novembre 2024
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Algérie : vers la république des zaouïas(1) ?

REGARD

Algérie : vers la république des zaouïas(1) ?

Abdelmadjid Tebboune finira-t-il par instaurer un vrai Etat cvil ? Crédit photo : Zinedine Zebar.

Avec un système de santé sinistré où les professionnels soignants se débattent aujourd’hui comme ils peuvent pour affronter cette pandémie du coronavirus et protéger la population, au péril de leur vie, le président de la république de fait décide de restaurer les vieilles mosquées et confréries religieuses (zaouïas) du pays !

Un aveuglement de plus dans les réflexes du système pour se maintenir quelle qu’en soit la ruse et les moyens.

La caricature d’Ali Dilem(2), parue dans le journal Liberté du 19 avril pourrait suffire pour illustrer la réponse à cette nouvelle fuite en avant pour se construire une improbable légitimité.

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Ce qui gêne dans cette nouvelle initiative, dans ce contexte de crise sanitaire sans précédent, ce n’est pas tant la volonté de restauration d’un patrimoine historique de notre pays, mais l’insistance délibérée de vouloir s’associer avec l’islam traditionnel… pour affronter/concilier l’islam radical de l’islamisme international.

Le système politique s’enferre dans les mêmes erreurs depuis la fin des années 1970, en manipulant les islamistes afin de contrer le mouvement démocratique. Le souvenir des milices islamistes introduisant la violence à l’université d’Alger et d’autres villes, puis l’assassinat de l’étudiant Kamal Amzal le 2 novembre 1982 à la cité universitaire de Ben Aknoun, sont des faits vérifiables, des crimes imprescriptibles.

Le système politique, par cette nouvelle trouvaille et surenchère, montre au peuple qu’il est définitivement irréformable.

Nous aurons dans le futur proche d’autres décisions aussi saugrenues qui sortiront de la calebasse du système, notamment de la révision de la constitution si l’on se réfère à la démission récente de l’un des membres de la commission des experts chargée de faire des propositions. Ils sont capables de constitutionnaliser la manière de faire les ablutions(3), pour faire plus musulman que les musulmans ! 

En attendant, le moulin de la répression et des arrestations ne faiblit pas. Dans sa logique conspirationniste, le système politique verrouille, par des arrestations tous azimuts sur le territoire national, une répression sélective envers les meneurs potentiels afin de casser la dynamique populaire de reprise du Hirak après le confinement.  Là aussi, tout en voulant anticiper, c’est au final un combat d’arrière-garde.  

Perspectives futures pour l’Algérie : une société démocratique ou une confrérie ?

L’objet de cette contribution, après la mise au point ci-dessus, concerne les perspectives d’évolution de notre société, et de ses institutions, dans ce contexte particulier du 40eme anniversaire du printemps amazigh de 1980, du Hirak et de la mobilisation de la société contre le coronavirus.

Il y a un foisonnement d’analyses, parfois des échanges de points de vue dans la presse et les réseaux sociaux.  C’est toujours instructif, mais il faut garder à l’esprit que le débat public n’est jamais neutre.

Si l’objectif noble est d’opposer les arguments des uns et des autres sur un sujet convenu, il existe cependant des techniques (des perversions !) pour orienter un débat a priori serein vers une direction voulue, pour des objectifs tout à fait autres. Cela s’appelle la manipulation de l’opinion publique.  

C’est le cas d’une partie des contributions produite par certains ‘’intellectuels’’ algériens, qui, au lieu de soulever les questions en débat dans le monde sur la démocratisation effective de la société, le rôle de l’État, les limités constatées de la mondialisation, l’instauration d’un Etat civil et non militaire chez nous, etc., préfèrent nous enfermer dans les faux débats religieux, la spiritualité, l’histoire de la religion musulmane et des sociétés arabes du 7e siècle, etc.

Sous des aspects de modernisme, de rationalisme et contestataires d’un ordre intégriste rampant, ces ‘’intellectuels’’ construisent et renforcent un paradigme : figer l’imaginaire du citoyen algérien dans l’islamisme. Actes involontaires ou manipulations conscientes ?

Leur fixation obsessionnelle sur la sphère spirituelle/religieuse, pour ne pas aborder franchement les revendications fondamentales de démocratisation de la société et de l’État, est trop insistante pour que cela soit une erreur qui se renouvelle(4)  souvent.

Devant la panoplie des arguments/éléments religieux utilisés, figeant ainsi le citoyen dans le seul rôle de ‘’fidèle de la mosquée’’ (prières, ramadhan ou pas sous coronavirus, ablutions, hauts-parleurs et psalmodies, hidjab et qamis, la fin du monde, Covid-19 prévu par le coran, les anecdotes de la Zitouna ou d’El Azhar, la colonisabilité du peuple algérien, et d’autres messages subliminaux…), point de place pour la rationalité, le citoyen-ne et l’entière citoyenneté. Les spécialistes producteurs et les diffuseurs malgré eux des thèses de la théorie du complot passeront pour des amateurs. 

Un constat établi : il y a une complicité objective entre les services de propagande du système politique algérien et ces ‘’intellectuels’’ pour nous enfermer dans la sphère de l’arabo-islamisme immuable. Hors de ce cadre point de salut !

On réduit plus de 3 mille ans d’histoire de notre pays à quelques dizaines d’années de radicalisme religieux, pour bloquer la réflexion et éliminer le reste : les dizaines de siècles d’histoire et la perspective de projection de notre société dans un monde pluriel, cosmopolite, africain et méditerranéen.

Pourtant, la société algérienne, après plus d’un an de contestation pacifique exemplaire, mobilisant des dizaines de millions de citoyens partout dans le pays, et 40 ans après le printemps amazigh de 1980 confirmant la réappropriation historique et identitaire, apporte un démenti à ces spéculateurs. 

C’est un fait certain, l’intelligence collective du peuple infirme chaque jour les pronostics et hypothèses de ces apprentis gourous.

Alors, le peuple algérien milite-t-il pour une république démocratique, moderne, ouverte sur le monde ou pour une ‘’république-zaouïa’’ (pour ne pas utiliser le terme ‘’Jamahiriya inventé par Mouammar Kadhafi, avec le résultat que l’on sait)?

La lutte vitale contre l’islamisme radical est un combat politique, à mener par des moyens politiques et juridiques et non par la surenchère. Une vigilance permanente est indispensable(5).

La nature internationale de cette lutte est un facteur de coopération avec les autres nations du monde pour asseoir chez nous un Etat démocratique, civil et non militaire. Ce ne sera pas non plus « la restauration d’une monarchie révolue ». Cela, les précurseurs l’ont déjà affirmé depuis 1954.

Aumer U Lamara.

Physicien, écrivain 

Notes :

(1) Zaouïa / tazawit : confrérie islamique nord-africaine ; terme passé dans la langue française.

(2) https://www.liberte-algerie.com/dilem/dilem-du-19-avril-2020

(3) le reproche des militants du PPA (Parti du Peuple Algérien) aux mouvement des Oulémas dans les années 1940 : « ce n’est pas en apprenant aux jeunes algériens comment faire les ablutions pour la prière que nous libérerons notre pays de la domination coloniale ».

(4) Une erreur qui se renouvelle n’est pas une erreur, c’est une faute.

(5) Témoignage d’un villageois : 

Dans un village de montagne, une association du village a entrepris la construction d’une mosquée avec l’aide bienveillante d’un réseau de bienfaiteurs non identifiés, ‘’el muḥsinin’’, disent-ils. En visitant le  chantier, un villageois s’adresse discrètement à l’un des membres, peut-être son cousin : « faites bien attention à ce qu’ils ne vous conçoivent pas une cave secrète pour y entreposer des armes… pour que demain une partie de notre village tue l’autre partie… ! ». 

Auteur
Aumer U Lamara, physicien, écrivain 

 




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