Mercredi 6 mars 2019
Ali Benflis : « Le peuple en est arrivé à la revendication de la refondation de l’Etat national »
Nous publions la déclaration liminaire d’Ali Benflis au «Forum de Liberté».
Mesdames, Messieurs,
Je m’honore d’être présent parmi vous aujourd’hui tout comme je remercie bien vivement les organisateurs de cette rencontre. « Le Forum Liberté » a gagné, à raison, ses lettres de noblesse en offrant un espace privilégié pour un débat, parfois vif mais toujours constructif.
Nous sommes réunis aujourd’hui à un moment d’une sensibilité extrême pour notre pays. Au choix, nous sommes face à la croisée des chemins, face à un tournant ou face à un point de bascule.
Notre peuple s’est levé et a dit haut et fort ce qu’il veut. Il exprime chaque jour qui passe ses certitudes, ses ambitions et ses rêves. Ce faisant il a brisé des chaînes que l’on croyait indestructibles. Il a ôté des baillons que l’on croyait là à jamais et il s’est affranchi de tutelles pesantes que l’on croyait inamovibles.
N’ayons pas peur des mots et reconnaissons que nous sommes les témoins d’une véritable révolution mais une révolution résolument civique et pacifique.
Oui, nous sommes les témoins, d’abord, d’une révolution dans les mentalités. Notre peuple a brisé les murs du silence, de la peur et de l’acceptation des faits accomplis. C’est la majorité silencieuse qui a pris la parole sans attendre qu’on la lui donne. C’est la majorité longtemps écrasée qui veut se faire entendre face à la minorité écrasante.
C’est la majorité que le système politique en place tenait pour non citoyenne et indigne des droits et libertés qui réclame aujourd’hui que sa citoyenneté pleine et entière soit restaurée, que ses droits soient reconnus et que ses libertés soient respectées.
Nous sommes les témoins, ensuite, d’une révolution dans les revendications .Notre peuple n’est pas massivement dans les rues pour de la semoule ou du pain, de l’huile ou du sucre. Notre peuple est dans la rue pour un nouveau contrat social, pour un nouveau pacte national, en somme, pour un nouveau projet politique dont il serait le gardien intransigeant et vigilant.
Nous sommes les témoins, enfin, d’une révolution dans les objectifs fixés. Ce que nos concitoyens et concitoyennes écrivent dans les réseaux sociaux, les banderoles derrière lesquelles ils défilent et les slogans qu’ils chantent valent plus que tous les programmes politiques réunis.
Dans ces objectifs, l’appel du retrait de la candidature fictive à un cinquième mandat présidentiel tout aussi fictif que son devancier ne représentait que le sommet de l’iceberg .La base de l’iceberg était beaucoup plus grande et représentait beaucoup plus. Et c’est ainsi que toute une nouvelle terminologie politique s’est instaurée dans notre lexique politique national. Nous parlons aujourd’hui d’autodétermination du peuple, de réappropriation de sa souveraineté et de son statut d’attributeur unique et exclusif de légitimité et de représentativité.
Au fond, il ne s’agit que d’un juste retour à l’ordre naturel des choses, le peuple a décidé de s’imposer comme source de tous les pouvoirs exercés en son nom.
Et de fait, ce à quoi nous assistons aujourd’hui, c’est à une véritable reprise en main par le peuple de son vécu et de sa destinée.
Oui, le peuple a décidé de fixer les règles du jeu qui l’incluent et ne l’excluent plus, de décliner une feuille de route dans laquelle il serait une partie prenante agissante et d’indiquer le cap à suivre qui ne l’abandonnerait pas à la marge du parcours.
Face à l’envergure des enjeux, la réponse du régime politique en place qui est venue sous la forme de la lettre du 3 mars 2019 apparaît ,tout à la fois, comme provocatrice, décalée et préoccupante.
Cette lettre est provocatrice, en ce qu’elle ne contient pas la moindre mesure d’apaisement ou de confiance à la mesure de ce que le peuple exige. Elle a pris la forme et le fond d’une insulte à l’intelligence des Algériennes et des Algériens .Elle a été perçue comme une persistance dans le défi et la provocation.
Le peuple en est arrivé à la revendication de la refondation de l’Etat national. Ce que la lettre lui propose c’est d’entériner une prorogation de la durée de validité du régime politique en contrepartie de quelques ravalements de façade.
Cette lettre est aussi en décalage profond par rapport aux objectifs actuellement fixés par les Algériennes et les Algériens. Après tout, le peuple ne s’est pas levé pour une présidentielle anticipée, pour une conférence nationale dont personne n’ignore le caractère dilatoire, pour une distribution des richesses à partir de la planche à billets, pour un mécanisme d’organisation des élections ou pour une quatrième initiative constitutionnelle.
Enfin, cette lettre est préoccupante. En lieu et place de l’apaisement qu’elle était censée apporter et de la confiance qu’elle pouvait aider à restaurer, elle n’a généré qu’un surcroît de colère et n’a abouti qu’à élargir le fossé de la défiance et n’a résulté qu’en davantage de discrédit pour le régime politique en place.
Pendant vingt ans, ce régime s’est forgé une solide réputation d’auteur patenté de fausses promesses, de contrevenant récidiviste à ses propres engagements et d’orfèvre en matière de manœuvres et de manipulations. Le peuple ne croit plus en ce qu’il dit et ne le juge qu’en ce qu’il fait.
Mesdames et Messieurs,
L’état du pays est hautement préoccupant mais la situation n’est pas sans issue. Pour cela, il est urgent et impératif que le régime politique en place s’imprègne de trois réalités devenues incontournables et irréductibles.
La première de ces réalités tient au fait que le peuple s’est levé et a formulé des exigences et des objectifs. Il serait erroné de la part du régime politique en place de parier sur la lassitude ou le renoncement des Algériennes et les Algériens pour espérer gagner la partie, encore une fois, et retourner aux commodités du statu quo ante.
La deuxième nouvelle réalité tient au fait que le peuple algérien a fait, devant le monde entier, l’éclatante démonstration de la maturité civique, de sa conscience politique et de son attachement à la paix civile. En conséquence, c’est au régime politique en place, qu’il revient maintenant de prouver qu’il est à la hauteur de son peuple en épargnant au pays des épreuves et des souffrances qu’il ne mérite pas.
Enfin, la troisième et dernière réalité tient au fait que le peuple algérien ne veut plus d’un pouvoir politique devenu anachronique dans son siècle, d’un régime politique qui a conduit l’Etat nation à une situation de délabrement avancé et d’une gouvernance dont il est possible de tout dire sauf qu’elle a été imaginative, performante et à la mesure de tous les atouts du pays.