D’aucuns trouveront prétentieux de s’imaginer que l’on peut rendre quelconque hommage original à Matoub Lounes, 27 ans après sa disparition, d’autant que des écrits sur le rebelle se comptent en centaines, à minima.
Toutefois, il y a un titre qu’il est impératif de remettre au goût du jour, par ces temps où l’on redoute des basculements identiques à ceux que nous avait réservée la fin des années 1980, par la grâce d’un certain retour aux années de braise islamiste qui semble prendre de l’ampleur, à mesure des atermoiements du pouvoir.
Rajoutés à cela, des procès, comme celui de Boualem Sansal, qui n’ont rien à envier aux temps reculés de l’inquisition, il est important de se rappeler des messages percutants de lucidité de ces combattants de la plume, du verbe et de la poésie.
Matoub Lounès c’est une œuvre immense impossible à inventorier sans risquer d’en oublier une partie, ni à classer dans un genre ou un autre. L’étendue englobée par son talent se déploie du festif « Slaɛbiţ a ya abeḥri » à l’émouvant « Kenza », cet hommage rendu à la fille de Tahar Djaout, notre écrivain lucide assassiné à la fleur de l’âge par un extrémisme aveugle.
Matoub c’est un iceberg de productions. Un iceberg dont ce qui est connu ne représente que la partie visible. Et, au sommet de cette banquise géante domine, selon moi, le titre « Allah Wakbar ». Je me souviens que quand je m’étais procuré la cassette contenant ce titre, à Alger dans les années 1980, j’ai dû écouter et réécouter cette chanson ,à en user la bande qui a fini par rompre, à force d’appuyer sur les boutons « rewind » et « play ». Le système D sollicité, un bout de scotch, et la voilà repartie pour d’autres sonorités !
C’était avec un plaisir quasi machiavélique que je tournais le volume à fond pour bien m’imprégner de chaque mot, et quelque peu embêter mes « semblables », sachant qu’ils en déduiraient forcément que leur mécréant de voisin a fini par rejoindre les rangs. Qui d’autre qu’un fidèle ferait augmenter les décibels d’un tel appel ?
À contre-courant de l’atmosphère d’une Algérie talibanisée à l’irréversible, « Allah wakber » peut faire office de message d’une lucidité et d’une clarté déconcertantes ! Quel coup de fouet fortifiant porté à la cervelle de nos petits chérubins si on leur faisait écouter et apprendre ce titre en même temps que « tebet yada abi-lahabi » dès leurs premières années de scolarité !
Cette chanson, c’est l’impératif du répertoire de Matoub, à écouter sans modération. Et, ne pas insister sur ce titre, tout hommage rendu à notre rebelle serait incomplet. Sous fond de dérision vivifiante, Matoub remet les pendules à l’heure d’un printemps de tolérance qui tarde à se profiler à l’horizon de nos espérances.
Nous vous proposons donc l’écoute de « Allah wakbar » ainsi qu’une traduction qui s’efforce de respecter chaque mot et chaque rime…Pour le reste, jugez par vous-mêmes ! Peut-être faut-il signaler que la traduction en arabe qui accompagne la vidéo est complétement à côté de la plaque. Comme quoi, l’ironie, peut-être décodée autrement par n’importe quel illuminé. Allah ghaleb ? Peut-être bien, mais on comprend mieux ce que signifie le mot récupération.
Kacem Madani
Allah wakbeṛ
Asmi d-testeqsa lehna
Nerra- ţ si lḥaṛa
Nenna-yas aqlaɣ labas
Neṛwa lxiṛ d l’baṛaka
Ur ɣ-ixuṣ w’ara
Ad yekkes ayen n ţu yibwas
Zzint wallen ɣer lqebla
Am waken syinna
Aa d-iwwet ubeḥri n tissas
Allah… wakbeṛ ! Allah… !
Taεṛabt d awal n Ṛebbi
Dg-es tamusni
Mačči am tigad nniḍen
Fella-s ma tebbḍeḍ s ifri
Xas grireb ɣli
D Muḥemmed aa k-id-iselken
Ḥader ad ak-d-yeldi yeẓri
Qqar kan Sidi
I widen i k-yezzuzunen
Allah…! wakbeṛ Allah…!
Ḥader a d-takiḍ si tnafa
Aqlik di lxelwa
Asebsi n lkif d aṛfiq-ik
Ttmuqul kan Lqebla
D Lkeεba crifa
D nitni i ţafat-ik
Kkat aqeṛu-k di lqaεa
Ur ssemḥas ara
Sel kan i sidi ccix-ik
Allah… wakbeṛ ! Allah… !
Allah est grand
Le jour où s’est invitée la paix
Dare-dare nous l’avons congédiée
La rassurant de nos félicités
Repus de bonheur et de bienfaits
Rien ne manque à notre prospérité
Vint le jour où nous avons tout oublié
Vers la Qibla nos yeux se sont tournés
Comme si de cette lointaine contrée
Soufflait le vent de la dignité
Allah… est grand ! Allah… !
L’arabe est la langue de Dieu
Sa science est aussi vaste que les Cieux
Aux autres elle ne peut être comparée
Pour elle dans l’abîme tu peux te jeter
Basculer et tomber
À ton secours Mahomet viendrait
Veille à ce que tes yeux soient bien fermés
Psalmodie ceux qui t’ont envouté
Allah… est grand ! Allah… !
De ton sommeil n’émerge surtout pas
Te voici errant à la recherche du trépas
De vapeurs d’opium pâme-toi
Ne contemple que la Qibla
Et la chérifienne Kaaba
Elles sont ton unique éclat
Courbe-toi, le front parterre tape-toi
N’écoute pas celui qui veut t’en détourner
N’obéi qu’à ton vénérable cheikh et ses versets
Allah… est grand ! Allah… !
Merci pour cette belle traduction en français et aussi l’éveilleur de conscience LOUNÈS MATOUB paix à son âme
Grâce à des hommes comme lui, ce que nous sommes restera toujours ancré en nous.
Nos enfants et petits enfants malgré leurs différentes nationalités, n’oublieront jamais ce qu’ils sont, des hommes libres, des amazighs.
Et malgré toutes les tentatives, toutes les falsifications de l’histoire, et la création de récits plus improbables les uns que les autres, ils ne seront jamais rien d’autres que des Kabyles, des hommes libres, et qu’ils n’ont jamais été arabes et qu’ils ne le seront jamais.
Nos seuls frères sont les amazighs, et les arabes n’ont jamais été que des envahisseurs qui ont fait plus de mal que le colonialisme Français.
Que vive la Kabylie libre, libre de toutes ces chaînes que l’on nous impose.