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« Amrir », du Dr Bachir Rahmani : une mémoire vive d’un médecin des cimes des Aurès

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Dans les hauteurs austères de T’kout, au cœur des montagnes de l’Aurès, le docteur Bachir Rahmani n’a jamais porté la blouse blanche pour le prestige. Il l’a revêtue comme un engagement profond, presque un serment personnel. Pendant près de quarante ans, souvent seul, toujours disponible, il a soigné sans relâche. Pas de clinique moderne, pas de service d’astreinte, seulement un stéthoscope, un tensiomètre, un marteau réflexe… et un sens du devoir ancré dans l’âme et la terre.

Son livre, Amrir – Mémoire et devoir d’un médecin au douar — un mot puisé dans le parler chaoui et dans le tamazight — n’est pas un récit ordinaire. C’est un carnet de terrain, un cri retenu, une promesse tenue. Il y déplie les jours d’un médecin rural, entre les urgences, la dignité, les silences des malades et les absences de l’État.

La couverture du livre montre les gorges abruptes de Tighanimine, encadrant ce témoignage vivant. En haut à droite, le logo de la médecine rappelle la vocation qui guide chaque page. Ces falaises portent la trace des siècles, depuis qu’en l’an 145, un détachement de la Legio VI Ferrata, légion romaine venue de Syrie, y a tracé une route sous le règne d’Antonin le Pieux.

Plus loin, la route traverse, au lieudit Taghit Nath Bou Slimane, une sorte de cirque naturel — là même où, au matin du 1er novembre 1954, la Toussaint rouge a marqué l’un des premiers soubresauts de l’insurrection.

Le terme Amrir peut être compris au sens large : celui d’un sage-guérisseur, à la fois professionnel de santé et gardien de la vie. Un homme proche des gens, humble et attentif, qui porte la responsabilité du soin bien au-delà de la simple technique.

Aujourd’hui éprouvé par une maladie grave, le docteur Rahmani a malgré tout accepté cet entretien. C’est avec une infinie reconnaissance que nous partageons ses paroles. Son témoignage est un viatique pour les jeunes générations, un acte de transmission. Un homme qui a soigné les siens mérite, à son tour, qu’on prenne soin de sa parole.

Le Matin d’Algérie : Avant d’aller au cœur du sujet, comment allez-vous aujourd’hui, Dr Rahmani ? Êtes-vous toujours en activité médicale ou communautaire ?

Dr Bachir Rahmani : Quand il s’agit de santé, je traverse des hauts et des bas. Dans de tels cas, les soins palliatifs deviennent un art de vivre : profiter du jour présent, être bien dans sa peau, sans douleur, sans penser à demain. Mais en me comparant à mon état initial, je peux dire que je vais plutôt bien. La maladie reste cependant imprévisible : un état presque parfait peut basculer en souffrance en un instant. J’essaie de m’adapter au mieux.

Le Matin d’Algérie : Pourquoi avoir choisi ce titre en tamazight, Amrir, pour votre livre ? Est-ce un hommage à vos racines, à une manière de pratiquer la médecine, ou les deux à la fois ?

 Dr Bachir Rahmani : Ce titre est profondément authentique. C’est évidemment un hommage à mes racines. Mais cela remonte à mes années universitaires. Nous étions un petit groupe pratiquant les arts martiaux. J’ai découvert que les termes japonais – tatami, kata – n’étaient jamais traduits. Alors pourquoi devrais-je, moi, renoncer à ma langue pour nommer ce qui m’est essentiel ?

Ce titre est né ainsi, en chaoui. Plus tard, certains m’ont suggéré une traduction. Pourquoi pas, mais à eux de chercher. Je vis et exerce dans un pays chaoui. Le titre ne pouvait être qu’en tamazight.

Le Matin d’Algérie : Vous dites que votre livre n’est ni politique, ni motivé par l’intérêt commercial. Qu’est-ce qui vous a poussé à l’écrire ? Un besoin de témoignage ? Un acte de transmission ?

Dr Bachir Rahmani : Un peu de tout cela, sauf l’idée de profit. Dès la première séance de dédicace, j’avais couvert mes frais. Les exemplaires suivants ont été offerts : aux amis, aux lycées, aux cliniques…

Écrire, c’est laisser une trace, même après soi. Notre culture, essentiellement orale, a perdu une multitude de savoirs, de gestes, de coutumes. Il faut désormais écrire pour ne pas disparaître. Et puis ce livre a eu un effet inattendu : il a déclenché une dynamique.

Mon retour à T’kout a encouragé d’autres cadres à revenir. Le village portait une image négative ; il fallait en changer. Moi-même, rien ne me destinait à revenir en 1985, après vingt ans d’errance. Et pourtant, comme D’Artagnan retrouvant ses compagnons, j’ai retrouvé ici 11 000 habitants.

Le Matin d’Algérie : Vous décrivez la médecine rurale comme une épreuve constante. Quels étaient les obstacles les plus lourds : isolement, manque de moyens, indifférence ?

Dr Bachir Rahmani : Être de garde gratuitement pendant quarante ans n’est pas anodin. Il faut être généraliste, urgentiste, psychologue, sage-femme, légiste, et toujours disponible.

Sans l’amour du métier et de ses patients, on abandonne vite. Les journées sont longues, et les nuits souvent prolongées jusqu’à l’aube, parfois sans électricité. Mon matériel ? Un stéthoscope, un tensiomètre, un marteau réflexe. C’était de la médecine de guerre, à mains nues.

On imagine un médecin bien habillé. Moi, c’était jeans et baskets dans les sentiers de montagne. Et c’est là que j’ai compris que j’avais oublié de vivre. J’ai vécu pour les autres, rarement pour moi.

Le Matin d’Algérie: À la page 193, vous écrivez que vous interrompez toute activité, même familiale, pour répondre à un patient. Est-ce un choix moral, une éthique personnelle, ou un héritage culturel ?

Dr Bachir Rahmani : Quand la sonnette retentit, tout peut arriver : morsure de serpent, piqûre de scorpion, accident de montagne… On ne peut pas dire à ces gens d’attendre ou les renvoyer à 35 km à Arris.

C’était clair : faire avec ou quitter la ville. Moi, j’ai choisi de rester. Et ce n’était pas par défaut. En 1985, j’aurais pu ouvrir un cabinet à Alger, en centre-ville.

Le Matin d’Algérie : Vous affirmez être « humain avant d’être médecin »… L’humanité vous semble-t-elle absente de la médecine moderne ?

Dr Bachir Rahmani : C’est une phrase d’André Soubiran (Les Hommes en blanc). L’humanisme ne s’apprend pas, il se vit.

Faites le bien, passez votre chemin, n’attendez rien en retour. La médecine moderne, avec l’IA, sauve des vies, oui. Mais aucune machine ne remplacera la main posée sur le front du malade, ou un sourire qui dit : « Comment allez-vous ce matin ? »

Le Matin d’Algérie : Page 84, vous dénoncez le repli tribal et identitaire. La médecine peut-elle être un outil contre ces logiques ?

Dr Bachir Rahmani : Ces clivages précèdent la médecine. Quand je suis à Arris, on m’appelle « l’homme de l’Est ». À Biskra, pareil. Mais je crois que les choses s’apaisent. Nous avons besoin les uns des autres. La réconciliation passe par l’individu.

Le Matin d’Algérie : Vous rendez hommage à des figures comme Ben Boulaïd. Votre parcours est-il une forme de militantisme, sur un autre front ?

Dr Bachir Rahmani : L’analogie peut exister. Ben Boulaïd est un leader d’envergure mondiale. Il faudrait enseigner sa stratégie dans les grandes académies militaires.

Je ne me compare pas à lui. Mon travail, c’est une esquisse, un modeste écho.

Le Matin d’Algérie : Le livre a été auto-édité en 2002 et a circulé discrètement. Regrettez-vous ce choix ? Avez-vous souhaité un public plus large ?

Dr Bachir Rahmani : Je ne regrette rien. Je ne pouvais pas en assurer la diffusion. Ce sont des jeunes du village qui s’en sont chargés. L’avoir écrit m’a soulagé. À Tizi-Ouzou, Boumerdès, Béjaïa, le livre était même en vitrine chez les libraires.

Le Matin d’Algérie : Si vous deviez écrire un chapitre de plus, que diriez-vous aux jeunes médecins, surtout à ceux qui refusent la campagne ?

Dr Bachir Rahmani : Les mentalités ont changé. Mais voici une histoire vraie : une Européenne a obtenu son doctorat à 80 ans. Elle n’est pas restée à Paris, elle est partie soigner en Afrique. Le lieu ne fait pas le médecin. Aujourd’hui, je reçois des patients venus d’Ilizi, d’El Kala, de la frontière marocaine, de Paris, de Londres, même de l’Arizona. Là où il y a des humains, vous êtes médecin.

Le Matin d’Algérie : Votre livre commence par : «Le savoir sans échange n’est pas le savoir ». Que signifie cette phrase pour vous ?

Dr Bachir Rahmani : C’est sans doute le fruit de nombreuses lectures. Mais elle dit l’essentiel : un savoir qui ne circule pas est un savoir mort.

Entretien réalisé par Djamal Guettala

Amrir Mémoires et déboires d’un médecin au douar de Bachir Rahmani. Auto-édition Année : 2002

Brève biographie

Le Dr Bachir Rahmani est né en juin 1957 à TBB (Taghit Beni Bouslimane), le jour même où les tirailleurs sénégalais incendiaient le village — maison après maison, cultures et vergers compris.

Taghit, haut lieu de mémoire, fut le théâtre de la première balle tirée durant la guerre de Libération.

Son père, condamné à mort, fut emprisonné à Tifelfel, l’une des rares prisons de l’époque à détenir aussi des femmes combattantes. Aidé par un garde, il parvint à s’évader et rejoignit le maquis avant de gagner Tunis.

Âgé de 45 jours, Bachir quitte le village avec sa mère pour rejoindre Lakser.

À l’indépendance, son père revient. Deux ans plus tard, il intègre l’école primaire de T’kout, à trois kilomètres, qu’il parcourt chaque matin dans le froid, vêtu d’une kachabia raide de givre.

Viendront ensuite Arris, Batna, puis Constantine, jusqu’au baccalauréat.

Il n’aura finalement vécu que neuf ans auprès de ses parents.

Vingt ans plus tard, il revient à T’kout, un doctorat de médecine en poche. « À croire qu’Alexandre Dumas parlait de moi », écrit-il

Nous adressons au Dr Bachir Rahmani nos vœux sincères de prompt rétablissement. Son courage et son engagement exemplaires continuent d’inspirer, et son témoignage reste un précieux héritage pour les générations à venir.

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