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lundi 14 juillet 2025
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Andrea Schellino : Baudelaire, une pensée vivante

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Andrea Schellino, universitaire franco-italien, est aujourd’hui reconnu comme l’un des meilleurs spécialistes de la littérature française du XIXe siècle, notamment de l’œuvre de Charles Baudelaire, qu’il analyse avec une acuité critique rare.

Docteur de l’Université Paris-Sorbonne, il enseigne à l’Université Roma Tre, où il transmet sa passion pour la littérature et la pensée modernes. Parallèlement, il conduit ses recherches à l’Institut des textes et manuscrits modernes (ITEM-CNRS), consacré à l’étude des manuscrits d’écrivains, philosophes, scientifiques et artistes, et y codirige le Groupe Baudelaire. Son approche, qui combine critique littéraire, philologie et histoire des idées, reflète un engagement rigoureux et profond envers les textes.

Ses travaux éditoriaux ont considérablement enrichi la compréhension de l’œuvre de Baudelaire, mettant au jour des dimensions souvent méconnues ou négligées. Il a notamment coédité, chez GF-Flammarion, des versions annotées du Spleen de Paris et des Paradis artificiels, où l’appareil critique souligne les enjeux formels et philosophiques de ces textes majeurs. 

Il a également dirigé une Bibliographie du Spleen de Paris, ressource essentielle pour les chercheurs, et pilote actuellement l’édition intégrale des Œuvres complètes de Baudelaire dans la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard, 2024), un projet d’envergure mobilisant des compétences éditoriales, critiques et génétiques, qui s’impose d’ores et déjà comme une référence majeure dans le domaine des études baudelairiennes.

Son dernier ouvrage, Dans l’atelier de Charles Baudelaire (Hermann, 2025), constitue un jalon important dans son parcours intellectuel. 

À partir des manuscrits, brouillons, variantes et correspondances du poète, il révèle les coulisses d’une œuvre en constante élaboration, toujours tiraillée entre le désir de perfection et le vertige de l’inachèvement. Le livre dessine le portrait d’un Baudelaire en quête de forme parfaite, soucieux de gommer ses hésitations, mais dont les manuscrits conservent les précieux vestiges d’un long travail intérieur.

En retraçant la genèse de poèmes emblématiques — parfois jusqu’à la moindre rature — et en explorant les questions de rythme, de coupe et de reprise, Andrea Schellino propose une lecture vivante et sensible, qui fait de la critique génétique un moyen d’écouter l’œuvre dans son mouvement intime, dans sa respiration même. Il montre comment, chez Baudelaire, l’inachèvement ne constitue pas une faiblesse, mais un mode d’existence de la poésie.

Érudit tout en restant accessible, son style allie rigueur et élégance, érudition et clarté, et s’adresse aussi bien aux chercheurs qu’à un public curieux, désireux de pénétrer les coulisses de la création poétique.

Par son apport à la critique et à l’édition, Andrea Schellino s’impose comme une figure incontournable des études baudelairiennes. Son travail, richement documenté et animé d’une intuition critique remarquable, fait résonner l’œuvre du poète avec les préoccupations contemporaines — le corps, la ville, la modernité, la mélancolie — et rappelle avec finesse la force intemporelle de la poésie.

Dans cet entretien, Andrea Schellino revient sur les grandes étapes de son parcours intellectuel et éditorial, depuis ses premières recherches universitaires jusqu’à ses travaux les plus récents consacrés à Baudelaire. Il y expose les fondements d’une méthode rigoureuse et sensible, qui conjugue critique littéraire, philologie et histoire des idées, au service d’une lecture renouvelée des textes. Cette approche fait émerger un Baudelaire vivant, complexe et profondément contemporain, dont les tensions résonnent encore avec les questions esthétiques, éthiques et existentielles de notre temps — comme si, à travers ses vers et ses fragments, le poète n’avait jamais cessé de dialoguer avec nous.

Le Matin d’Algérie : Qu’est-ce qui vous a conduit à consacrer une part aussi importante de vos recherches à Charles Baudelaire ?

Andrea Schellino : Après avoir mené des recherches sur Rimbaud dans le cadre de mes études en littérature française et philosophie à l’université de Turin, j’ai ressenti le besoin d’explorer un autre poète majeur du XIXe siècle. Il m’a alors semblé naturel de me pencher sur l’œuvre de Baudelaire, le « premier voyant », le « roi des poètes », comme l’écrit de lui l’auteur des Illuminations. Les Fleurs du Mal avaient été l’un de mes livres de chevet durant ma jeunesse, même si je ne pouvais alors qu’en deviner toute la singularité et leur portée. La thèse de doctorat que j’ai consacrée, en Sorbonne, à La Pensée de la décadence de Baudelaire à Nietzsche a été le prolongement d’une longue fidélité à ce poète, qui paraît toujours neutraliser les velléités d’identification, voire de rapprochements trop naïfs.

Le Matin d’Algérie : Vous avez dirigé la nouvelle édition des Œuvres complètes de Baudelaire dans la Pléiade : en quoi ce travail éditorial a-t-il renouvelé votre regard sur l’auteur ?

Andrea Schellino : J’ai toujours pensé que deux pratiques permettent de creuser un texte littéraire, de se l’approprier plus que toute lecture : la traduction et l’édition scientifique. Un bon éditeur doit d’abord établir un texte, et donc se pencher sur tous ces détails qu’une lecture hâtive néglige. Il doit confronter des versions, établir des variantes, les annoter, les préfacer, songer aux index. Il devient, en quelque sorte, non seulement un passeur de l’œuvre qu’il étudie, mais aussi son co-auteur. Il en prolonge la vie et lui rend une forme d’actualité.

Le geste d’éditer les œuvres complètes d’un auteur comme Baudelaire permet aussi d’avoir un regard panoramique — et génétique, puisque notre édition suit la chronologie de l’œuvre — sur toute son activité créative et critique. Ma perspective en est sortie considérablement modifiée, dans les détails aussi bien que dans l’ensemble.

Le Matin d’Algérie : Dans l’atelier de Charles Baudelaire, explore les brouillons, les ébauches, les repentirs du poète. Qu’apprend-on de l’œuvre en regardant de si près sa genèse ?

Andrea Schellino : Nous sommes d’abord frappés par le soin extrême et la précision minutieuse que le poète apportait à l’écriture et à la publication de ses œuvres. Véritable Sisyphe de l’écriture, Baudelaire n’a pas cessé de se mesurer à « toutes les horreurs qui composent le sanctuaire de l’art ». C’est ce dévouement remarquable, à une époque qui prônait déjà la rapidité et l’efficacité de la production littéraire, que j’ai essayé de faire émerger dans mon livre. À l’inverse, son talent « impopulaire », comme il aimait le définir, lui a permis d’être l’un des poètes les plus lucides et les plus originaux du XIXe siècle français.

Le Matin d’Algérie : Vous montrez un Baudelaire en lutte constante avec la forme : est-ce cela, selon vous, qui fait sa modernité ?

Andrea Schellino : La modernité de Baudelaire est polysémique, mais elle est aussi un thème aujourd’hui souvent galvaudé. Elle est le miroir de sa complexité. Il serait injuste de la réduire à un seul aspect de son génie. Mais sans doute sa relation à la forme, et même aux formes poétiques — puisque Baudelaire est intervenu sur les formes de son temps —, constitue l’une des clefs de sa conscience du temps, passé, présent et futur. Chez lui, la forme refuse d’être statique : la perfection est elle-même dynamique, comme le montre l’incessant travail qu’il a pu mener sur les mêmes vers, pendant des décennies.

Le Matin d’Algérie : Votre approche mêle critique littéraire, histoire des idées et philologie. Comment articulez-vous ces disciplines dans votre lecture de Baudelaire ?

Andrea Schellino : Il serait restrictif d’aborder un poète si dense et multiple à travers une loupe critique exclusive. Nous le poserions sur un lit de Procuste. Sans céder à l’éclectisme, j’ai toujours cru que la souplesse théorique permet de mieux comprendre le texte littéraire, d’autant plus lorsqu’il associe sensibilité lyrique, souci de la forme et profondeur philosophique. Cette approche ouverte permet également, à mon sens, de contourner les cloisonnements disciplinaires. Baudelaire lui-même était un lecteur avide d’ouvrages de médecine, de sciences, de politique, de philosophie…

Le Matin d’Algérie : Vous écrivez avec une grande clarté, accessible au-delà du cercle académique. Est-ce un choix délibéré ? À qui s’adresse votre livre ?

Andrea Schellino : Je vous remercie. J’essaie effectivement, dans mes écrits, d’être clair et de limiter le jargon lorsqu’il n’est pas indispensable. Je n’aurais guère de satisfaction à empiler des phrases interminables, saturées de termes rares, ni à travestir la complexité du concept par celle de l’expression. Baudelaire nous donne l’exemple : saurions-nous trouver une manière plus simple de dire un moment sublime que dans « La Mort des amants » ?

Pour ma part, je souhaitais fournir aux passionnés de poésie un ouvrage d’accès à l’œuvre de Baudelaire, sous un angle un peu différent. Je n’ai pas voulu renoncer à la rigueur qu’exige la fréquentation des manuscrits, des épreuves et des éditions anciennes. J’espère y être parvenu, au moins en partie.

Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?

Andrea Schellino : Oui, plusieurs projets, qui accompagneront mes nouvelles fonctions à l’UCLouvain Saint-Louis Bruxelles, après avoir enseigné à l’Université Roma Tre. Ces jours-ci paraît mon dernier livre, consacré à un poème de Victor Segalen, « Stèle provisoire », aux éditions Le Bord de l’eau. Je prépare aussi une édition des Poésies inédites de Marceline Desbordes-Valmore au Livre de Poche et une nouvelle édition des Fleurs du Mal chez Folio (Gallimard). Comme vous le voyez, je ne quitte pas Baudelaire, même lorsque je me penche sur tous ces autres poètes qui l’ont lu, aimé ou critiqué !

Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?

Andrea Schellino : Pour encourager vos lecteurs à lire et à relire encore Baudelaire, je voudrais rappeler cette belle lettre qu’un grand éditeur du XIXe siècle, Pierre-Jules Hetzel, adressa le 18 août 1862 à Arsène Houssaye : « Baudelaire est notre vieil ami — ce qui n’est rien ; car nous avons trop d’amis — mais c’est assurément le prosateur le plus original, et le poète le plus personnel de ce temps — il n’y a pas de journal qui puisse faire attendre cet étrange classique des choses qui ne sont pas classiques — publie-le donc vite — mais vite — et mets-moi à même de le lire. Les vrais singuliers sont si rares ! » Osons donc, avec Baudelaire, être singuliers.

Entretien réalisé par Brahim Saci

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