Vendredi 19 avril 2019
ANP : Ce que veut dire Ahmed Gaïd Salah…
« Nous, en tant que Haut Commandement de l’ANP et face à la responsabilité historique que nous assumons, nous respectons parfaitement les dispositions de la Constitution pour la conduite de la transition, et je voudrais réitérer que toutes les perspectives possibles restent ouvertes afin de surpasser les difficultés et trouver une solution à la crise dans les meilleurs délais… ».
C’est l’un des plus importants passages du discours de mardi dernier du Vice-ministre de la Défense nationale qui a fait le tour des médias nationaux. Plusieurs lectures aussi contradictoires les unes que les autres et hors contexte (du texte et de l’environnement politique) en ont été faites. L’énoncé lui-même porte une contradiction formelle majeure.
Passant du « nous » au « je », l’orateur semble opposer deux attitudes : l’immuabilité de sa solution constitutionnaliste à la crise politique d’une part puisqu’il dit « nous respectons parfaitement les dispositions les dispositions pour la conduite de la transition » et, de l’autre, par cette posture même, il change de statut d’émetteur, comme s’il n’engageait pas son Institution, par un « je », formulant à l’emporte-pièce, sans vision et sans choix préalable que « toutes les perspectives possibles restent ouvertes afin de surpasser les difficultés et trouver une solution à la crise ».
Or, Ahmed Gaïd Salah (ou son scribe) joue sur les mots. Conduire la transition et aller aux élections présidentielles par le recours à la Constitution est une chose, résoudre la crise qui demande plus de temps en est une autre. L’orateur considère donc que ce sont la réalisation de la phase de transition et les conditions favorables aux élections présidentielles qui permettent, en aval, l’ouverture de « ces perspectives possibles ». Pour le chef d’Etat major de l’ANP, qui reste immuable sur sa solution constitutionnaliste à une crise politique de grande ampleur qui rend caduque la Constitution même, « l’ouverture de ce qu’il appelle « perspectives possibles » dont la formulation suggère un futur indéterminé et aléatoire dans un contexte où tout clignote au rouge, n’est donc pas l’abandon du recours à l’article d’Aladin du 102 mais sa réitération.
Or, cette scansion qui prend à témoin « Allah » et « le Peuple », replacée dans son discours, est annihilée par tous ses aveux d’impuissances, avouant être ligoté, traîné dans la boue, humilié, victime de traquenards à l’intérieur de sa famille politique. Comment, dès lors, incapable même de calmer les luttes claniques de son système prétendre juguler la crise multidimensionnelle du pays ? Son discours de Ouargla de mardi dernier n’a pas de consistance politique, n’est pas politique car le Général ne répond pas à la crise algérienne en tant qu’homme fort, à l’écoute des Algériens, mais comme une victime qui jette, comme en un combat perdu, ses dernières forces, dans la solution constitutionnaliste à la crise rejetée par le mouvement de la contestation du 22 février. Ce n’est pas un discours politique sur la crise mais un discours sur le système en crise qui, parce qu’il n’est pas d’essence politique, mais maffieux, gangstérise ses harangues, révèle ses mots corrompus, sa sémantique dévoyée, réduit à étaler devant l’opinion publique ses propres déconfitures, ses règlements de comptes, ses conquêtes indues de territoires, dans la débâcle même. Du reste, c’est la béance qui se creuse entre l’architecture politique des revendications du mouvement de la contestation du 22 février et le verbiage redondant et stérile d’un système à l’agonie mais non encore dénué de forces de frappes traitresses.
C’est enfin une harangue d’auto-flagellation d’un Gaïd Salah pris aux rets de son propre système, qui ne s’adresse pas à l’Algérie, aux Algériens, au mouvement de la contestation du 22 février dont, depuis la naissance, son déferlement, par l’énergie de sa jeunesse, le pacifisme de sa stratégie, l’inébranlabilité de ses revendications, il ne voit que dangers, infiltrations, main étrangère et destructions.
En raison de son caractère « règlement de compte intra-système » ce discours conforte ou nourrit, si besoin est, la revendication de la rébellion citoyenne : le départ immédiat du système. Mais, pour quelles raisons le vice-ministre de la Défense nationale accuse les (pseudo) ministères de l’Intérieur et de la Justice du gouvernement Bédoui dont il est d’entraver ses initiatives en prenant, par ses complaintes victimaires, à témoin les Algériens ? S’apprête-t-il a quitter Bédoui et à se séparer de Bensalah (hommes encore fidèles aux clans encore actifs de Bouteflika) et créer, ainsi, une crise dans la crise ? Ce discours, en fait, ne dit pas explicitement ce qu’il sait. Il l’exprime par ramonant les cheminées des « ça » de son propre clan en prévision d’hivers rigoureux.
Il sait d’abord que la démission de Bouteflika dont il s’est attribué le butin de la rébellion citoyenne ne signifie pas la fin du bouteflikisme ; qu’avec le départ de Tayeb Belaïz, ex-président du Conseil constitutionnel, sa solution légaliste par l’article 102 de la constitution se fragilise et ne peut être coordonnée, suivie et surtout officialisée, dans la logique constitutionnaliste même, par un substitut désigné par un chef de l’Etat dont les prérogatives sont drastiquement réduites; que le gouvernement d’un Bédoui, incompétent, habit d’Arlequin, est insignifiant dans la crise ; que les jours de Bensalah, le chef de l’Etat du 102 qui veut sauver les meubles en entamant un « dialogue Taïwan » avec d’anciens FLN ou FLN/FIS recyclés à la faveur des luttes intestines de l’ex-« alliance présidentielle » sont comptés ; que les élections présidentielles à mesure que s’approchent leurs échéances, elles s’éloignent en raison d’abord de nombreux refus signifiés par nombre de concernés chargés de superviser les listes et l’organisation du scrutin ; puis, en raison d’une crise dont les solutions ne sont pas dans le système, ni avec le système.
La solution, il le sait, est dans le départ sans dialogue, sans concession, de ce système dans sa totalité, ses fondements, ses appareils, ses institutions, sa constitution.
Ahmed Gaïd Salah dont le mouvement de la contestation du 22 février demande la tête symboliquement, sait tout cela et il l’a dit de cette manière brutale, frontale, d’un chef de guerre acculé à ses derniers retranchements. S’attend-il qu’en mettant sur la place publique les attaques dont il est la cible des clans dont il a partagé le pain et le sel mais aussi des secrets bien gardés, qu’en dénonçant les souricières qui lui sont tendues dès lors qu’il s’agit d’enclencher des poursuites judiciaires contre la faune des corrupteurs et des corrompus, comme si le Système était un produit lavable, il susciterait des Algériens un élan sinon de sympathie du moins de pitié pour celui qui, depuis, le 22 février, d’un discours à l’autre, s’affirme comme le « garant de la protection du peuple ».
Il sait que sa solution constitutionnelle ne tient pas dans ce chaos systémique. Après Bouteflika, Tayeb Belaïz a démissionné, le chef de l’Etat du 102, Bensalah, le 3e B en instance de départ, est isolé, fragilisé par un pseudo chef de gouvernement nommé par un l’ex-Président de la République dont les clans activent encore à El Mouradia, incompétent et amorphe, ayant, de surcroit, des prérogatives drastiquement réduites. Gaïd Salah sait qu’avec ce médiocre personnel politique de « porte de secours » sa solution constitutionnelle pour une sortie de crise ouvrant la route, plutôt un raccourci aux Présidentielles, ne faisant même pas l’unanimité dans les arcanes du système, précipite doublement sa chute. Du système lui-même et de la rue. Ahmed Gaïd Salah voit tout cela car il en est à la fois acteur et observateur.
Est-ce la raison pour laquelle que, cet autre discours, de ce mercredi, toujours de Ouargla, est la négation même de celui de la veille, mardi, émis de la même 4ème région militaire. A 24 h d’intervalle, les médias n’ont pas plutôt fini d’interpréter celui de mardi qu’il en tient un autre le lendemain, plat, vide, ronronnant. Un discours de la méthode militaire, qui fait l’éloge de son institution. Il ne parle pas du 102, ni de la phase de transition, ni des Présidentielles, ni des complots ourdis contre lui, ni même des Algériens. Il soliloque parfois, s’adressant à ses soldats, se réfugie dans la défense de la sécurité des frontières du pays.
«Tous les résultats probants que l’ANP a réalisés et ne cesse de réaliser au niveau de nos frontières Sud-Est, à l’instar des autres frontières nationales, voire au niveau de l’ensemble du territoire nationale, a-t-il souligné, dans une surprenante tautologie, sont la résultante d’une vision globale du concept de sécurité adopté par le Haut Commandement de l’ANP… » avant d’aller se ressourcer, pensait-il, à la stèle de Chihani Bachir, principal adjoint de Mostefa Ben Boulaïd, mais même l’Histoire n’a pas réglé sa « phase de transition » hors du système de ses faussaires. Car Chihani Bachir a été assassiné par ses pairs, à la suite d’un complot de deux de ses adjoints Abbas Laghrour et Adjoul Adjoul.
Un phénomène d’usure frappe désormais les discours de Gaïd Salah qui ne débouchent sur aucun acte politique réel. Autant dire que « sa » phase de transition a d’ores et déjà échoué et que les Présidentielles n’auront pas lieu. C’est tout le système qui, sous la détermination pacifique et révolutionnaire des Algériens de toutes les régions du pays, de tous ses drapeaux, de toutes ses langues, ses religions, ses athées, qui se lézarde de jour en jour, doucement mais sûrement. Est-ce cela que veut dire un Gaïd Salah aux frontières du pays ?