À la veille d’un basculement économique redouté, alors que les institutions peinent à se remettre en place après les dernières élections, la scène politique algérienne voit émerger des critiques de plus en plus virulentes. Il y a de quoi ! La dernière mesure sur l’économie de cabas peut prêter à sourire n’était la gravité de l’incurie sans fond qui ronge le régime de Tebboune.
Parmi les voix les plus incisives, celle de Soufiane Djilali, président de Jil Jadid, se démarque par un ton frontal et une ironie assumée. “Économie caba, élections caba, institutions caba”, lâche-t-il dans une formule lapidaire, devenue virale. Une manière directe et populaire de dire que tout est à l’arrêt — et que le pouvoir s’enfonce dans le ridicule.
Dans une récente déclaration relayée sur les réseaux sociaux, le président de Jil Jadid, qui se faisait recevoir il y a quelques mois encore au Palais d’El Mouradia, ne mâche plus ses mots : « Après les élections cabas, l’économie cabas, viendra le tour des institutions cabas, le dinar ne tardera pas à s’effondrer. Nous sommes à Silly-Land aujourd’hui ! » (le pays du ridicule).
L’ironie, bien que stylisée, est cinglante. Elle témoigne d’un désenchantement profond et d’une perte manifeste de confiance envers la gouvernance actuelle, en particulier envers le chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune.
Une rupture consommée
Cette sortie publique marque une inflexion majeure dans la posture de Djilali. Longtemps considéré comme un opposant modéré, jouant parfois le rôle de passerelle entre la société civile et les cercles du pouvoir, l’homme politique semble avoir définitivement rompu avec la ligne du dialogue constructif qu’il avait prônée au lendemain du Hirak. Son acceptation d’échanges avec le chef de l’Etat, Abdelmadjid Tebboune avait suscité, à l’époque, autant d’espoirs que de critiques, certains le soupçonnant d’ambitions intégrationnistes.
Aujourd’hui, la donne a changé. Le ton est sec, les formules sont acérées, et les accusations — à peine voilées — visent directement la gestion économique du pays. En évoquant l’effondrement imminent du dinar algérien, Djilali ne se contente pas de lancer une alerte ; il installe un procès en incompétence. Pour lui, le pouvoir semble être arrivé à bout de souffle, incapable d’endiguer la crise financière latente ni de bâtir des institutions solides après un scrutin jugé peu mobilisateur.
Une critique du système, pas seulement du chef de l’Etat
Le discours de Soufiane Djilali dépasse la simple dénonciation des choix présidentiels. Il remet en cause l’architecture même du système politique, qu’il décrit comme figé, inefficace, et déconnecté des attentes populaires. Cette mutation dans sa rhétorique témoigne de la réactivation d’un clivage plus profond entre une classe politique officielle en quête de légitimité et des pans entiers de la société qui peinent à se reconnaître dans les mécanismes institutionnels actuels.
La métaphore de « Silly-Land » (le pays du ridicule), que l’on pourrait facilement appréhender comme une simple moquerie, prend en réalité un sens politique précis : elle désigne un État où l’absurde le dispute à l’incohérence, où les décisions ne sont plus lues à travers le prisme de l’intérêt général mais comme les signes d’un pouvoir déconnecté, en roue libre.
Une stratégie de rupture risquée
Le virage pris par Soufiane Djilali vers une opposition plus radicale soulève une question centrale : peut-il incarner une voix crédible de contestation après avoir longtemps cultivé une posture de dialogue avec le pouvoir, voire une certaine proximité avec les cercles de l’exécutif et du président Tebboune ? Ce repositionnement, marqué par un ton plus offensif et une dénonciation sans détour de la gestion politique et économique actuelle, n’est pas sans risque. Il repose sur le pari d’un réveil de l’opinion publique, malgré la démobilisation post-Hirak et la défiance vis-à-vis de la scène politique.
Reste à voir s’il parviendra à lever les doutes sur la sincérité de sa rupture et à mobiliser l’opinion et fédérer autour de lui d’autres forces politiques, ou s’il se condamnera à prêcher seul dans un désert où dominent l’attente, la prudence et le désengagement.
Une chose est sûre : en décidant de parler « vrai » et fort, Soufiane Djilali se repositionne comme un opposant sans ambages. À la croisée de l’indignation citoyenne et de l’analyse politique, il tente de réinvestir le terrain d’un débat public qui, depuis des mois, tourne à vide.
Samia Naït Iqbal