21 novembre 2024
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Arrêt du processus électoral de 1991 : Chroniques d’un procès (V)

Nezzar

La parution du livre brûlot de Habib Souaïdia « La sale guerre » aux éditions La découverte en janvier 2001, précédé de celui de Yous Nasrellah « Qui a tué à Bentalha ? » aux mêmes éditions en septembre 2000 va raviver la polémique du « qui tue qui? » longtemps entretenue dans les milieux islamistes et dans les cercles de la maffia.

« La Sale guerre » entre en scène

Il faut dire qu’en revanche, le silence sur les massacres des populations, l’absence d’une stratégie globale et hardie sur le terrain sécuritaire ainsi que la politique de minimisation sur les capacités de nuisance du terrorisme ont jeté le trouble dans l’opinion publique et contribué, par là, à alimenter le Qui tue qui ? Dès la parution de « La Sale guerre », alors que les médias français l’ont promu en best-seller et multiplié des séries d’émission sur différentes chaînes de télévision sur, notamment, la complicité de l’armée dans les massacres islamistes, les autorités algériennes n’ont pas cru devoir répondre à cette fronde qui allait pourtant secouer rudement l’institution militaire.

Dans une longue interview à Courrier international, Habib Souaïdia reconduit ses accusations contre l’Armée nationale populaire (ANP) et reconnaît appartenir au mystérieux MAOL (Mouvement algérien des officiers libres). Les témoignages contenus dans son livre, ceux notamment relatifs aux massacres de civils, viennent pourtant d’être démentis par une enquête menée sur le terrain par la rédaction de la chaîne télévisée française TF1. Dans l’émission « Sept à huit », diffusée le 8 avril 2001 par TF1, un reportage a été consacré au livre témoignage La Sale guerre, du sous-lieutenant Habib Souaïdia, radié des rangs de l’ANP. Des reporters se sont rendus sur les lieux décrits par l’auteur comme théâtre de torture et de massacres commis, selon lui, par des militaires, pour répondre à la question : « Qui tue vraiment en Algérie ? »

L’équipe de TF1, à laquelle les autorités algériennes ont délivré un visa pour effectuer son reportage, a pu s’entretenir avec plusieurs témoins des massacres. Si les médias français, dont TF1, avaient au départ pris pour argent comptant les « révélations » de Habib Souaïdia dans leur intégralité, il s’agissait notamment, dans le cas de cette enquête, d’en savoir plus sur le chapitre le plus controversé du livre, la prétendue implication de l’armée dans les massacres. Un chapitre que la rédaction de TF1 a revu et corrigé, voire même démenti. L’équipe s’est rendue à Zaâtria, un village situé entre Boufarik et Douéra, où Habib Souaïdia a déclaré qu’en mars 1993 un massacre avait été commis par des « militaires déguisés en islamistes« . Les journalistes ont découvert de visu qu’aucun massacre n’a été commis dans le village à cette date. Le seul massacre rapporté avait été perpétré le 1er mai 1995, et avait fait cinq morts au sein d’une même famille. Le père de famille à qui l’on a tendu le micro a affirmé : « Je connais les auteurs de ce massacre, ce n’est pas l’armée. » En somme, le document tire deux conclusions bien distinctes : « Aucune preuve n’est établie au sujet de l’implication de l’armée dans des massacres de civils« , mais celle-ci a eu recours à « la torture sur des personnes accusées de soutenir les GIA« , voire même « commis des assassinats extrajudiciaires. »

Souaïdia a-t-il été créé ?

Dans cet entretien paru sur le site Internet de « Courrier international« , Souaïdia passe d’une position « réconciliatrice » à une attitude qui frise la science-fiction politique. De nombreuses contradictions émaillent son témoignage et davantage ses interventions médiatiques. Même les médias qui ont pris pour argent comptant ses thèses n’ont pas manqué d’en relever des discordances. En effet, à la question de savoir comment sera dirigée la rébellion contre les généraux, il dit être « en contact depuis dix mois avec le MAOL« . Abordant ses rapports avec la presse algérienne, il l’accuse de magouiller avec l’armée et, ainsi, de faire front contre lui. Cette raison invoquée pour fustiger la presse indépendante montre un Souaïdia plutôt sur la défensive.

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Il est décalé par rapport à l’évolution des événements, notamment des ripostes à sa thèse, qui se sont exprimées tant en Algérie qu’en France. Pour preuve de ces propos fantaisistes, voire farfelus, dénués de tout fondement, ce deuxième constat qu’il fait sur la presse : « Même quand il y a des massacres dans les rues, la presse n’en parle généralement pas. Personne n’en parle. Parce que toute cette presse sait que ces gens-là soutiennent les groupes armés. Tout le monde sait ce qui se passe et personne n’a osé dire non. Chaque matin, quand les gens sortent, ils trouvent des douzaines de cadavres. Éparpillés un peu partout, à Alger, à Oran, à Médéa. Les gens du quartier, ils savent que c’est l’armée qui a tué. Ils ont peur. » Pour lui, les journalistes qu’il considère comme « honnêtes« , et qu’il dit ne pas connaître, doivent se convaincre de sa thèse, et tous les autres feraient une presse qui ne se vend pas. Souaïdia a-t-il été créé ? La question mérite d’être posée. Illustre inconnu avant La Sale guerre, il déferle d’un seul coup sur les médias français et c’est avec une facilité déconcertante, grâce aux éditions La Découverte, qu’il occupe les devants de la scène politique algérienne dans l’Hexagone.

Dans sa réponse apportée une année après la publication de La Sale guerre, Mohammed Sifaoui, dans La Sale guerre, histoire d’une imposture relève quelques traits du personnage qui ne le prédestinaient nullement à être l’auteur d’un best-seller. La création de Souaïdia vient-elle de François Gèze, directeur des éditions La Découverte et des milieux de l’Internationale socialiste. En tout cas, un fait probant : Sifaoui accuse le directeur des éditions La Découverte d’avoir réécrit sur le fond le manuscrit qu’il a rédigé en recueillant les témoignages de Souaïdia qui, à l’origine, selon Sifaoui, n’abondaient pas du tout dans l’accusation de l’armée algérienne d’être l’auteur des massacres.

C’est, dans ce contexte, que François Gèze, éditeur français du livre La Sale guerre poursuivait en diffamation le journaliste algérien Mohamed Sifaoui. Il reprochait à M. Sifaoui d’avoir dit qu’il avait remanié le contenu du livre afin de mettre à la charge de l’armée, plutôt que des islamistes, la responsabilité des événements sanglants. M. Sifaoui avait exprimé cette opinion lors d’une réunion en janvier 2001, dans un communiqué de presse du 8 février et une interview au magazine Marianne le 18 février de la même année. Réfugié politique en France, M. Sifaoui avait expliqué à l’audience du 5 septembre 2001 avoir signé un contrat d’édition avec M. Gèze le 6 juillet 2000 pour écrire avec Habib Souaïdia, ex-militaire algérien également réfugié, un livre qui serait un témoignage commun. Selon l’éditeur, M. Sifaoui n’avait pas compris que même si le contrat le qualifiait d’ »auteur« , comme Souaïdia, il n’avait pas pour commande d’apporter son propre témoignage mais seulement de mettre en forme celui du militaire qui parlait mal le français. Le conflit était apparu lorsque M. Gèze avait refusé les manuscrits de M. Sifaoui qui ne faisaient pas uniquement état du témoignage du militaire. Devant la résistance de M. Sifaoui, M. Gèze avait pris « la décision de faire lui-même le travail de réécriture et de publier le livre sous la seule signature de Habib Souaïdia. » Le tribunal du TGI de Paris a estimé que « du fait du itige éditorial l’opposant à La Découverte, Mohamed Sifaoui était fondé à s’exprimer publiquement, et il convient de retenir que son expression n’a pas dépassé les limites admissibles en la circonstance. »

Bouteflika alimente le « qui tue qui ?« 

Dans un discours du 9 octobre 2001, le président Bouteflika a demandé aux familles des « disparus » de « faire confiance à l’administration » et de ne rien faire qui « puisse ternir l’image du pays ou des Algériens ». Les représentants du gouvernement ont continué à fournir des statistiques sur les affaires que le gouvernement affirme avoir « élucidé« , sans jamais donner, malgré ces assurances et promesses, la moindre information utile aux familles. Dans son rapport publié en juin, la parlementaire européenne Hélène Flautre signale que le ministre de la Justice, Ahmed Ouyahia, lui a déclaré que sur les trois mille dossiers de disparition traités par la justice, « la clarté a été faite sur mille cas : 833 [disparus] étaient des terroristes quatre-vingt-treize ont été abattus, quatre-vingt-deux sont détenus, soixante-quatorze sont rentrés chez eux et sept repentis bénéficient de la grâce amnistiante de la Concorde civile. »

Les autorités n’ont cependant fourni aux familles aucun élément concret prouvant que certains des disparus avaient rejoint les groupes armés. Sur les milliers de membres des groupes armés qui se sont rendus, on n’aurait retrouvé pratiquement aucun « disparu ». Ces repentis n’auraient pas quant à eux fourni la moindre information corroborant l’hypothèse du gouvernement, selon laquelle de nombreuses personnes présumées « disparues » étaient à leurs côtés dans le maquis.

Il n’y a eu par ailleurs aucun progrès pour retrouver des individus figurant parmi les milliers de civils algériens présumés enlevés par les groupes armés. Très peu de familles ont eu la moindre nouvelle de leurs parents enlevés, malgré la découverte de plusieurs charniers censés être liés au conflit, et la reddition de plusieurs milliers de militants, dont certains auraient pu être au courant des enlèvements.

Selon les avocats des droits de l’Homme, les forces de sécurité auraient continué à torturer les détenus soupçonnés d’avoir participé aux actions des groupes armés ou d’en avoir eu connaissance.

Habib Souaïdia, dans La Sale guerre, ouvrage qui constitue, à ce jour, même après celui de Lyès Laribi Dans les geôles de Nezzar (Ed. Paris Méditerranée 2000) le réquisitoire le plus accablant sur le comportement de l’armée y décrit les méthodes de torture et d’exécution sommaire qui auraient été employées par les unités anti-terroristes à l’encontre des islamistes présumés ainsi que d’autres abus auxquels il affirme avoir assisté, entre 1993 et 1995: « J’ai vu des collègues brûler vif un enfant de quinze ans. J’ai vu des soldats se déguiser en terroristes et massacrer des civils. J’ai vu des colonels assassiner, de sang-froid, de simples suspects. J’ai vu des officiers torturer, à mort, des islamistes. J’ai vu trop de choses (…) Je venais de participer à un massacre. C’était la première fois que je me sentais complice d’un crime Des gens qu’on arrête, qu’on torture, qu’on tue et dont on brûle les cadavres. Un cycle infernal : depuis mon arrivée (…), J’avais vu au moins une centaine de personnes liquidées. »

Dans l’édition du quotidien Le Monde du 8 février 2001, Habib Souaïdia affirme que des militaires déguisés en terroristes ont massacré des civils et que de simples suspects ont été exécutés par des soldats. Il passe donc à une autre échelle en accusant l’armée dans les massacres de populations. Jamais jusqu’ici un officier n’avait livré un témoignage aussi accablant contre l’armée algérienne. Et jamais les chefs de l’armée n’avaient été mis en cause nommément. Les associations de défense des droits de l’homme, principalement Human Right Watch s’en saisissent. Dans son rapport intitulé « Vue d’ensemble sur la situation des droits de l’Homme en Algérie« , l’ONG relèvait qu' »aucun progrès n’a été fait pour localiser ou élucider le sort des milliers d’Algériens enlevés par les forces de sécurité, essentiellement entre 1994 et 1996. Bien qu’il n’y ait eu en 2001 aucun nouveau cas de détention par les forces de sécurité, suivie de disparition prolongée, plusieurs familles se sont manifestées pour signaler des disparitions remontant aux années quatre-vingt-dix. » L’Association nationale des familles de disparus a pour sa part déclaré qu’elle avait enregistré plus de sept mille cas avérés de disparition. Les responsables algériens ont fini par considérer que La Sale guerre s’inscrivait dans une campagne visant à salir le gouvernement.

Le 22 août 2002, Khaled Nezzar annonce dans une conférence de presse à la maison de la presse Tahar-Djaout d’Alger avoir chargé ses avocats du barreau de Paris et du barreau (Alger) de déposer plainte devant la juridiction française compétente pour défendre ses droits et intérêts contre ce qu’il qualifie d' »orchestration médiatique« .

Nezzar contre-attaque

« Qui tue? » Cette question, on s’en souvient, fut posée après les massacres qui avaient ensanglanté l’Algérois à l’automne 1997, que les médias nationaux avaient présenté comme un fait divers trop important pour passer sous silence comme le furent les massacres précédents. À l’époque, de nombreux observateurs évoquèrent la responsabilité de l’armée. Ce faisant, ils s’attirèrent les foudres des autorités d’Alger, mais aussi celles d’intellectuels français qui volèrent au secours du régime algérien avec force reportages et documentaires destinés à prouver que seuls l’islamisme et son bras armé se rendaient coupables de tels crimes. Près de quatre années plus tard, les deux ouvrages publiés en France par le même éditeur, La Découverte, relancent une polémique qui en réalité n’a jamais cessé. La question est simple : le régime algérien a-t-il, oui ou non, manipulé la violence afin de se maintenir au pouvoir ? Pour justifier sa politique de répression vis-à-vis des islamistes, a-t-il encouragé ses propres forces de sécurité à endosser l’habit de groupes armés afin de mieux couper les GIA de la population, mais aussi de recevoir, dans le même temps, un plus franc soutien de la part de l’Occident ?

Toutes ces questions, suscitées il est vrai par la minimisation de la capacité de nuisance par les autorités algériennes, allaient occuper l’opinion public dans un schéma fort simplifié : puisque c’est le système qui a créé l’islamisme et le terrorisme pour se maintenir au pouvoir, la complicité de ce même pouvoir avec le terrorisme est évidente, pensait-on.

Rescapé du massacre de Bentalha, qui, le 22 septembre 1997, fit plus de 400 victimes dans la banlieue d’Alger, Nesroulah Yous apporte un témoignage saisissant sur ce que fut le quotidien de ces dizaines de bourgades entourant la capitale algérienne aux heures les plus noires de la violence. L’auteur, à la différence de Habib Souaïdia qui accuse ouvertement l’armée dans les massacres, le suggère par ses interrogations quant aux auteurs du massacre. Pourquoi, demande-t-il, les populations de Bentalha n’ont-elles pas été protégées ou armées comme elles le demandaient ? Pourquoi, ajoute-t-il, l’armée, pourtant si proche, n’est-elle pas intervenue, alors que le massacre a duré toute une nuit et qu’un hélicoptère a survolé la zone durant le massacre ?

R. M.
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