Mercredi 28 avril 2021
Au revoir, maître Ali Yahia !
Nous ne nous sommes pas vus très souvent mais il faut reconnaître que ce fut, à chaque fois, avec une grande fraternité.
Tu nous as quittés et j’en suis très triste. Mais ton nom résonnera pour toujours comme un artisan acharné des droits de l’Homme. Soit assuré que cette place, tu ne la quitteras pas, aux yeux de nous tous.
Je t’ai connu lors de mon passage en politique, dans l’opposition, il y a fort longtemps. Tu étais plus jeune de trente ans mais on voyait déjà poindre le poids de l’âge et la courbure du dos que les années ont marqué de leur empreinte.
Né dans les années 20 du siècle dernier, notre relation ne pouvait être autrement que cordiale et sincère mais nous ne pouvions pas aller plus loin dans le rapport amical. Cela n’était d’ailleurs pas le but ni conforme aux circonstances du moment.
Tout ne devait pourtant pas se passer de cette manière pour que me soit arraché une sensibilité amicale envers toi. Le parcours initial qui fut le tien ne me porte en général pas à l’enthousiasme. Rejoindre Ben Bella puis le gouvernement du colonel Boumédiene, franchement, difficile à convaincre ma grande réticence.
Mais l’histoire des Hommes ne compte que pour ce qu’elle a entraîné de positif et de remises en question. Et puis, si nous devions écarter tous les profils identiques après l’indépendance, il ne resterait pas grand monde.
Mon cher Ali Yahia, si je commence par ce début peu élogieux, très surprenant, c’est que l’hommage qu’on doit rendre à un grand homme se doit de ne jamais être aveuglé par la dévotion. Or, je n’ai pas de dévotion envers toi mais une sincère reconnaissance et tendresse.
Ce qui compte c’est ton sursaut et, de ce côté, il faut dire qu’il a été lumineux. Tu as fait preuve par la suite d’une attitude qui honore tes études de droit et ton éducation humaniste. Ce ne fut pas le cas de bien d’autres.
Tu as été un combattant acharné, inlassable et fougueux de la lutte pour les droits de l’Homme. Cela est l’important pour éclairer ton départ d’un hommage digne de ta stature et de ton courage.
Tu donnais toujours l’image du « père tranquille ». C’était mal te connaître de la part de ceux qui le pensaient. Dans ton attitude, presque humble, le ton très réservé, le début de tes interventions ne présageait jamais d’une explosion orale finale qui restera la marque de ta personnalité.
Ma dernière rencontre avec toi, une des rares, fut l’occasion d’entendre une vérité profonde de ma personnalité et de mon militantisme que seule une autre personne, avant toi, avait exprimé avec cette justesse.
Suite à l’un de mes articles sur El Watan, tu t’étais approché de moi et avais dit « Tu leur a mis une sacrée branlée » (véritablement ses propos). Mais surtout, de rajouter « Boumédiene, au fond, tu t’en fiches éperdument des langues algériennes. Ton combat est pour la liberté des gens qui les parlent ».
Rien ne m’a fait plus plaisir que ton analyse car elle était pertinente et juste.
Et lorsque tu seras au paradis et que, sans aucun doute, tu seras leader pour organiser des groupes de parole, ne t’emporte pas dans des « hurlements » comme tu avais l’habitude de le faire dans tes interventions.
Et même si tu faisais émerger une grande clarté dans les propos, nous en rigolions avec les camarades et nous disions, à chaque intervention devant les journaliste « Aie, il va exploser, ça va arriver, l’eau monte et va bouillir ! ».
En ce jour de départ, c’est une explosion de tendresse qui t’accompagne.
Au revoir, maître. Au revoir, mon ami, un qualificatif que je ne pouvais revendiquer à cette période vu l’écart en âge. Mais qu’importe la sémantique d’usage, tu resteras notre ami éternel.