22 novembre 2024
spot_img
AccueilIdéeAutopsie d’un message

Autopsie d’un message

DISSIDENCE CITOYENNE

Autopsie d’un message

Fantastique journée en ce premier jour du mois de mars. 25 degrés, ciel bleu lumière blanche, éclatante. Alger s’est parée de ses plus beaux habits de printemps pour danser, pour accueillir ses enfants pour les prendre dans ses bras et les faire  virevolter. Alger a le cœur qui bat la chamade. Elle est belle quand elle est en transe.

Elle a été révoltée pendant les manifestations de décembre 1961, euphorique le jour de l’indépendance, violente en octobre 88, angoissée lors des évènements de juin 91, résistante le 2 janvier 1992 et fière en cette merveilleuse journée du 1er mars 2019. Oui fière enfin de faire entendre sa voix, celle de ses marcheurs pour la plupart ne dépassant pas la trentaine. Les plus âgés , les « midele aged » , la génération postindépendance, celle que Yasmina Khadra décrit comme une génération brillante à laquelle on n’a pas laissé le temps de dire bonjour était à l’image d’Alger  fière de voir ses jeunes enfants, frères voisins et cousins battre le pavé comme elle l’avait fait auparavant.

Dieu merci, Dieu est grand l’espoir est toujours là  le rêve aussi. Heureusement pour nous tous nous pouvons encore rêver. Le coordinateur du FLN reproche aux jeunes de rêver d’avoir de l’espoir, de vivre. Quelle perspicacité ! Ils rêvent, ils espèrent, ils vivent n’en déplaise à  monsieur le coordinateur. Quel intérêt de vivre sans rêver ? Ils l’ont exprimé haut et fort, ils ont scandé leurs slogans à tue-tête : ils se sont fait plaisir.

«Makach el khamsa ya Bouteflika djibou el BRI ou djibou essa3ika » (Il n’y aura pas de cinquième ramenez la BRI ou ramenez Essaïka) tonnait sans relâche.

- Advertisement -

Voilà notre vieux président rattrapé par l’histoire. La  capitale se venge du député de Tlemcen et du plus illustre représentant de ce qu’on appelle le groupe de Tlemcen qui, un jour de septembre 62, pénétrait Alger avec l’état-major de Boumediene sous le regard médusé de ses enfants pour lui voler son âme et ses rêves, pour la prendre en otage pendant 57 ans. L’émissaire de l’état-major à Aulnoy en 1961, l’instigateur du coup d’Etat de 1965, le bidouilleur de la constitution de 2008, le récidiviste malade et entêté de 2014, l’homme aux quatre mandats et aux quatre coups d’Etat victime à son tour d’un coup de force populaire, pacifique, subtil et nécessaire  : l’ironie de l’histoire ou comme on dit chez nous kama toudinou toudan (on récolte ce que l’on sème). Non Monsieur le président il n’y aura ni cinquième mandat ni cinquième coup d’Etat.

« Bouteflika ya lmaroki makach 3ohda khamsa » (Bouteflika le Marocain il n’y aura pas de cinquième mandat) se répercutait le long de cette marée humaine. Comme disent les Anglo-Saxons a little bit rude. Mais l’impertinence n’est-elle pas l’un des principaux  privilèges et caractéristiques de la jeunesse ? Le président a subi les désagréments  de son lieu de naissance et probablement le retour de manivelle de sa fameuse réplique « je laisse les algériens à leur médiocrité et je retourne chez moi ».

« Echaab la yourid Bouteflika oua said » (le peuple ne veut ni de Bouteflika ni de Said)

Ce slogan surfait sans cesse sur cette vague humaine. Oui le célèbre frère et apprenti conspirateur du président en a pris pour son grade. Décrit comme un personnage doté d’une intelligence supérieure et à l’origine de toutes les manigances le voilà pointé du doigt démasqué. Il ne semble pourtant pas avoir compris la principale leçon transmise par son  frère aîné : garder ses ennemis près de soi. Il aura pêché par excès d’assurance par faiblesse ou peut être par vanité en écartant et en sous estimant le fameux Général Toufik. Il faut dire aussi que ses fréquentations ne sont pas très recommandables : de Haddad à kouninef en passant par Sidi Said il fallait s’y attendre

« Ya Ouyahia plastak flharrach » « ouyahia serak , ouyahia serak» « ouyahia dégage » (Ouyahia ta place est à la prison d’El Harrach, Ouyahia voleur, Ouyahia dégage)

Ouyahia : Premier ministre

El harrach : commune de la wilaya d’Alger

chantaient les manifestants avec conviction. Il paye sa facture pour une fois. A travers toute l’Algérie et au sein même de l’APN  Ouyahia a été vilipendé insulté honni. Il aura fait l’unanimité dans l’impopularité. C’est le sort des caporaux dans les corps constitués. Bravo pour notre premier ministre le voilà définitivement hors course. Haï à jamais

« Les Algériens, les algériens » revenait comme un refrain, comme pour dire nous ne sommes pas encore morts et nous avons notre propre façon de faire.

« silmia, Silmia »

Pacifique, Pacifique

se répétait à intervalle réguliers comme pour rappeler à tout le monde de rester calme et de ne pas succomber à la tentation de la violence.

«Chaab djeich khaoua khaoua »

Peuple armée frères frères

s’entendait durant tout l’après-midi, une façon bien algéroise de tranquilliser les forces de l’ordre et de gagner leur sympathie

« warahi essahafa warrahi »

Où est la presse où ?

grondaient les jeunes excédés par l’attitude servile de nos médias, leur parti pris et leur silence honteux.

« Sa3at lfdjer ou madjani noum, rani ncounsomé ghir bechouia, chkoun essaba ou chkoun elloum, melina mlm3icha hadia…. La Casa d’El Mouradia… »,

C’est l’aube et je ne trouve pas le sommeil,  je me dope doucement, quelle est la raison et à qui la faute, nous en avons marre de cette vie… la casa d’El Mouradia

El Mouradia : ex-Golf siège de la présidence

Cette merveilleuse chanson de l’USMA écrite par un parolier de talent est interprétée magistralement par les jeunes supporters du club algérois parsemés çà et là à travers le parcours

« Djazair houra democratia » (Algerie libre et démocratique)

ce vieux slogan datant des années 1990 et connu de tout un chacun répété incessamment est comme le trait d’union entre les différentes générations de manifestants. Il est agréable à entendre.  

«Ya sarakin klitou lablad, ya sarakin  klitou lablad» (espèce de voleurs vous avez pillé le pays) crié à l’unisson sans cesse par les marcheurs pour dénoncer la mafia de l’argent au pouvoir

« Fi l3asima makach el cachir» (Dans la capitale il n’a pas de cachir) martèlent sans répit les manifestants à l’adresse de tous les figurants transportés et nourris au cachir par le coordinateur du FLN le jour du meeting organisé pour l’annonce de la candidature du président sortant. Les partisans  du FLN n’ont pas profité de la leçon de 1988. Décidément le FLN aussi se fait vieux et devrait prendre sa retraite ô combien méritée au musée.

« Djoumhouria machi mamlaka » (République et pas royaume) résonne de temps à autre pour protester contre l’accaparement et la mainmise des frères, de la famille, de la cour de Bouteflika sur la prise de décision.

«Echaab yourid soqout ennidam » (Le peuple veut la chute du régime) rappelé à intervalles réguliers d’une manière sereine et résolu précise la nature de la revendication : elle ne s’arrête pas au cinquième mandat.

Les Algériens ont hurlé, ils ont hurlé  leur indignation, leur lassitude, leur exaspération.

Leurs parents grands-parents ont crié un certain 29 août 1962 effrayés alors par le spectre de la guerre civile sab3a snin barakat (sept ans ça suffit). Eux aussi ont dit à leur manière sab3a ou khemsin snaa barakat (cinquante-sept ans ça suffit) .

De 1962 à 2019 cse sont écoulés 57 ans. 57 années de spoliation, de mensonge d’usurpation. L’espoir, les rêves des Algériens leur ont été volés. Oui l’espoir leur a été subtilisé. Leur FLN, l’authentique monsieur le coordinateur, plongé dans un coma artificiel, le MALG (services secrets algériens durant la révolution) liquidé, le GPRA anéanti par un clan  qui réserve le rêve pour ses enfants et la vie pour les siens.

Le 1er mars les marcheurs eux ont fait leur choix : ils sont passés de la harga (émigration clandestine le plus souvent par voie maritime) à la résistance pacifique. Bel exploit !

Djalal Larabi

Consultant. Universitaire

BRI : corps d’élite de la police

ESSAIKA : Corps d’élite de la gendarmerie

Auteur
Djalal Larabi Consultant. Universitaire

 




LAISSEZ UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici

ARTICLES SIMILAIRES

Les plus lus

Les derniers articles

Commentaires récents