7 janvier 2025
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Aziz Cheboub : « La littérature a le pouvoir de transformer les individus»

Aziz Cheboub est docteur en littérature de l’Université de Strasbourg, il est un chercheur et enseignant en lettres modernes. Depuis son master, il explore les thématiques de la dystopie et de l’utopie dans la littérature contemporaine dans une analyse de la littérature et sa relation étroite avec les interactions et influences de la société.

Cette société où les lobbys semblent tirer les ficelles, celles qui nous éloignent du ciel, entre utopie, propagande et idéologie, le commun des mortels semble perdu.

Aziz Cheboub tente une approche subtile, éclairée afin de dénouer les nœuds et écarter les brumes pour mieux voir les protagonistes, les acteurs et la scène.

Aziz Cheboub publie un essai intitulé Littérature et idéologie aux éditions Persée, en approfondissant ses recherches sur les rapports entre la fiction et les constructions idéologiques de cette époque écorchée, écartelée par la dystopie.

Dans ce livre thèse courageux, il tente de démêler ce qui est de l’idéologie, de l’utopie, de la dystopie pour mieux comprendre les enjeux et les intérêts qui luttent et s’allient pour fracturer le monde déjà fragilisé et la société.

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Aziz Cheboub mène cette quête et analyse à travers cinq livres, cinq romans emblématiques, La tentation de la défaite, d’Antoine Vitkine, 2084, de Boualem Sansal, Jihad, de Ligny Jean-Marc, Soumission, de Michel Houellebecq et 2028 de Thérèse Fournier, c’est une étude comparative, politique par le prisme de la littérature, mettant en exergue les tensions, articulations, soubresauts socioculturels contemporains.  

Même si les concepts se bousculent à bout de souffle, page après page, on en sort néanmoins un peu plus avertis. On se réapproprie son libre arbitre et sa propre vision.

Le Matin d’Algérie : Vous êtes docteur en littérature, vous êtes un passionné des livres, qui est Aziz Cheboub ?

Aziz Cheboub : Je suis avant tout un passionné des mots et des idées qu’ils portent. Mais, au fond, qui suis-je ? Un explorateur des mondes littéraires, un chercheur de vérités enfouies entre les lignes, et un fervent défenseur de la liberté de pensée.

Mon intérêt se porte particulièrement sur les œuvres littéraires qui interrogent les enjeux politiques et sociaux, transmettant, parfois avec justesse, parfois de manière discutable, des idéologies qui agissent comme un miroir de notre réalité.

Le Matin d’Algérie : Vous venez de publier un livre courageux, Littérature et idéologie, chez les éditions Persée, racontez-nous la genèse de ce livre ?

Aziz Cheboub : La genèse de mon ouvrage remonte au début de mon doctorat à l’université de Strasbourg en 2018. Les questions soulevées par mon corpus étaient d’actualité et elles le sont toujours.

Ces questions ont le mérite d’être posées, décortiquées et étudiées. J’ai constaté que des idéologies comme l’islamisme et l’extrême droite, bien qu’apparemment opposées, partagent des dynamiques et des mécanismes similaires dans leur ascension et leur impact sur les sociétés contemporaines.

On n’a jamais vu une extrême droite aussi victorieuse en Europe. En Afghanistan, malgré l’intervention des États-Unis, après leur retrait militaire en 2021, les Talibans sont réapparus et se sont accaparés le pouvoir. Nous assistons à une politique ankylosée et incapable de répondre véritablement aux préoccupations de la population en termes de justice sociale.

C’est ce constat qui m’a poussé à approfondir cette thématique et à en faire le cœur de mon livre. Le but de cet ouvrage est de comprendre comment ces idéologies se construisent, se propagent et influencent la littérature ainsi que la pensée collective.

Le Matin d’Algérie : Votre livre et un essai, mais c’est plutôt un livre thèse, qu’en pensez-vous ?  

Aziz Cheboub : Certes, on pourrait dire que mon livre est un essai, mais je le considère plutôt comme un « livre-thèse ». Pourquoi ? Parce qu’il ne se contente pas d’exposer des idées, il les analyse, les dissèque à travers des récits fictifs et tente de proposer une vision globale et argumentée des rapports entre la littérature et l’idéologie.

Je n’ai pas uniquement concentré mes efforts sur l’aspect politique de ces œuvres, mais aussi sur leur littérarité et leur esthétique. Les romans de mon corpus restent des fictions, des fictions qui, cependant, abordent des enjeux contemporains et nous permettent de réfléchir sur notre réalité actuelle.

Le Matin d’Algérie : J’avoue qu’on se perd un peu dans les concepts, là où se mêlent littérature et philosophie, pouvez-vous nous éclairer ?

Aziz Cheboub : Il est vrai que les concepts abordés dans « Littérature et idéologie » peuvent paraître complexes, car ils se situent à l’intersection de la littérature, de la politique, de la philosophie et même de la théologie. Cette convergence des disciplines est essentielle à l’ouvrage, car elle permet d’explorer des questions profondes sur la nature humaine, la société et les idéologies qui nous gouvernent.

Ce vocabulaire est crucial pour comprendre non seulement ces romans, mais aussi toute œuvre dystopique (monde futuriste fictif cauchemardesque) ou utopique (monde futuriste paradisiaque), son opposée. Ces œuvres ne peuvent être réduites à de simples fictions ; elles interpellent les lecteurs sur la nécessité de comprendre le monde dans toute sa complexité et d’éviter les simplifications à outrance.

Dans mon livre, au début de chaque chapitre, je remonte à l’étymologie de chaque concept pour mieux le cerner. Ainsi, tout lecteur, même non-initié, peut y trouver des explications claires de chaque concept abordé. Cette approche permet de démystifier des idées souvent perçues comme abstraites et de les rendre accessibles à un public plus large.

Le Matin d’Algérie : On a vu ces dernières années la littérature empêtrée dans la politique, ne risque-t-elle pas de perdre son sens ?

Aziz Cheboub : Certes, il existe un risque que la littérature perde son essence si elle se transforme en simple outil de propagande ou de militantisme. Cependant, la véritable force de la littérature réside dans sa capacité à transcender les idéologies et à offrir des perspectives nuancées et critiques.

Elle incite à la réflexion, à l'empathie et à la compréhension des complexités de notre monde.

La littérature ne doit pas être perçue comme un domaine isolé de la politique, mais plutôt comme une composante essentielle de notre discours sociétal. En confrontant les lecteurs à des idées et des réalités souvent dérangeantes, elle joue un rôle crucial dans la formation de citoyens éclairés et engagés. La clé réside dans le maintien d’un équilibre entre l’engagement politique et la richesse narrative pour préserver la puissance transformative de la littérature.

Le Matin d’Algérie : Quelle est d’après-vous la limite entre l’idéologie, l’utopie, la dystopie et la littérature ?

Aziz Cheboub : La frontière entre l’idéologie, l’utopie, la dystopie et la littérature est souvent subtile. La littérature peut refléter une idéologie, critiquer une utopie ou mettre en garde contre une dystopie, comme George Orwell l’a fait dans « 1984 » pour dénoncer le stalinisme.

Cependant, cette idéologie représentait le début d’une utopie pour les bolcheviques, tandis que le règne de Staline était perçu comme une dystopie par les mencheviks. Tout dépend de notre perspective idéologique. Ainsi, la littérature nous aide à naviguer entre ces concepts et à en saisir les nuances et les implications profondes.

Un lecteur avisé est encouragé à exercer son esprit critique, à distinguer l’anecdotique du fondamental, et à se concentrer sur ce que Edgar Morin appelle « l’urgence de l’essentiel ». Cela signifie reconnaître les enjeux majeurs et comprendre la complexité du monde sans tomber dans des simplifications excessives

Le Matin d’Algérie : Votre analyse comparative des cinq romans emblématiques est pertinente, on s’approche des problématiques de la sociologie, est-ce qu’on ne s’éloigne pas de la littérature ?

Aziz Cheboub : L’analyse comparative des cinq romans vise à montrer comment la littérature peut éclairer des problématiques sociopolitiques. On pourrait craindre de s’éloigner de la littérature en abordant ces questions, mais au contraire, je pense que cela enrichit notre compréhension des œuvres et de leur impact sur la société.

Par exemple, « Soumission » utilise une prose froide et détachée pour refléter l’aliénation du protagoniste, François, dont la trajectoire spirituelle rappelle celle de l’écrivain français du XIXe siècle Joris-Karl Huysmans. Quant à « 2084 », il emploie une langue riche et imagée pour dépeindre un futur dystopique. Ces choix stylistiques ne sont pas anodins ; ils renforcent les thèmes et les messages des romans, tout en offrant une expérience de lecture immersive et stimulante.

En analysant ces œuvres sous l’angle esthétique, nous pouvons mieux comprendre comment les auteurs utilisent les techniques littéraires pour enrichir leur propos et captiver leurs lecteurs. Cela démontre que la littérature, même lorsqu’elle aborde des questions sociopolitiques, reste avant tout un art, capable de toucher et de transformer ses lecteurs par la beauté et la puissance de son écriture.

Le Matin d’Algérie : Votre passage au café littéraire de l’Impondérable de l’écrivain journaliste Youcef Zirem a été un succès, il y a encore un public pour la vraie littérature malgré ce qu’essaient de promouvoir les médias lourds répondant à des intérêts, ce que j’appellerais une pensée unique de l’évènementiel, qu’en pensez-vous ?  

Aziz Cheboub : Mon passage au café littéraire de l’Impondérable, organisé par Youcef Zirem, a été une expérience incroyablement enrichissante, tant sur le plan humain qu’intellectuel. Cet espace de rencontre pour les amateurs de littérature favorise l’échange d’idées et la discussion autour des livres, stimulant ainsi la créativité et l’intérêt pour la lecture.

Cela démontre qu’il existe encore un public avide d’une littérature plurielle, malgré l’omniprésence des médias de masse et de leur promotion de la pensée unique.

De nos jours, on assiste à la prolifération des médias alternatifs car la plupart des médias mainstream ont perdu leur crédibilité. Ces médias, souvent accusés de promouvoir une pensée unique et de répondre à des intérêts financiers, disposent de moyens considérables qui leur permettent de dominer le paysage médiatique.

En revanche, les médias alternatifs émergent pour offrir des perspectives variées et souvent contre-courant. Ils donnent la parole à des voix marginalisées et couvrent des sujets négligés par les grands médias. Cependant, il est crucial de soutenir ces médias alternatifs pour éviter une homogénéité des discours et préserver la diversité des idées. En enrichissant le débat public, ces médias contribuent à une réflexion plus nuancée et à une meilleure compréhension des enjeux contemporains.

Il est également important de reconnaître que les médias mainstream, grâce à leurs vastes ressources, ont la capacité de toucher un large public et de mener des enquêtes approfondies. Il faut encourager ces médias à diversifier leurs perspectives et à offrir un contenu plus équilibré. En soutenant à la fois les médias alternatifs et en incitant les médias mainstream à évoluer, nous pouvons préserver la richesse du débat public et garantir une information de qualité, diversifiée et accessible à tous.

Le Matin d’Algérie : Avez-vous des projets en cours ou à venir ?

Aziz Cheboub : Absolument. En ce moment, je travaille sur un roman que je dois encore peaufiner. Parallèlement, je prépare des communications pour des colloques futurs, où je prévois de parler des recherches connexes aux thèmes abordés dans « Littérature et idéologie ».

Ces projets s’inscrivent dans la continuité de mes travaux et de mon engagement à promouvoir la réflexion critique à travers la littérature.

Le Matin d’Algérie : Un dernier mot peut-être ?

Aziz Cheboub : Dans un monde en perpétuelle mutation, il est essentiel de défendre et de promouvoir la diversité des voix et des idées. Je suis profondément convaincu que la littérature a le pouvoir de transformer les individus et les sociétés, et je continuerai à œuvrer pour qu’elle occupe la place qu’elle mérite dans nos vies.

Je tiens à vous remercier chaleureusement Brahim pour cet échange riche et ses questions pertinentes. Merci également à tous les lecteurs et aux amateurs de littérature pour leur soutien indéfectible. Continuons à lire, à réfléchir et à échanger.

Entretien réalisé par Brahim Saci

Livres publiés :

Littérature et idéologie, éditions Persée

Utopie et dystopie, Edilivre   

2 Commentaires

  1. Je cite: « Quelle est d’après-vous la limite entre l’idéologie, l’utopie, la dystopie et la littérature ?

    La reponse: « Le Reel. » – Est biensur trop courte pour les literaires. Cela dit, la literature politique a tout de meme le merit d’exposer les dessous des narratives politiciennes… les eplucher. En quelque sorte de de-emballer le concret envelope’ dans les talking points politiciens, et ce faisant, envahir la paisibilite’ de ceux qui l’ont Khabza, faisant des participants au jeu politique. Une espece de jeu de cartes Black Jack, dans lequel la Maison Gagne toujours. Un bel exemple de ca est la Marechal Croyon et Le Harague Zemour. Au moment de compter, elle lui rappele que c’est elle qui est de la maison(qui gagne toujours). Il parle de trahison et elle lui rappele qu’elle soutient/partage ses ide’es/aboiemments – juste qu’il doit aboyer a la cour pas a l’interieur. Une espece de dispute sur le week-end. Lui dit que c’est Samedi et que Dimanche n’est qu’un Samedi n’est qu’une accomodation du grand jour de DImanche. Ils sont d’accord que c’est 1 jour et demi, et en desaccord de quel jour et de quel demi? Mais sont sont en accord qu’il est hors-question que se soit 3 ! Vendredi n’est ni sacre’ ni ferie’ – Faut travailler ! Helas pour les 2, Vendredi, ca s’agenouille, s’alonge et ca ronffle . . . Fin de compte, le Melanchon leur explique le kifkif de Plat-vendtre et plein-vendre.

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