Le projet de résolution américaine sur le Sahara occidental marque une rupture diplomatique majeure. Pour la première fois, un texte soumis au Conseil de sécurité revendique explicitement « le leadership du président Trump » dans le règlement de ce conflit, transformant un dossier multilatéral en instrument d’affirmation hégémonique.
Cette personnalisation du texte consacre une tentative d’américanisation du processus onusien et vise aussi à complexifier le vote, en le faisant porter moins sur la question de la décolonisation que sur la figure du président américain et sa prétendue action pacificatrice, la « Pax trumpana ».
La démarche tend à écarter le multilatéralisme comme cadre de règlement des différends pour le transformer en arène où se rejoue la hiérarchie des puissances. L’inclusion du plan d’autonomie marocain comme « base la plus crédible » opère un renversement de la logique historique des résolutions précédentes, qui, jusqu’ici, maintenaient la référence au droit du peuple sahraoui à l’autodétermination.
Derrière les mots policés de la diplomatie se dessine un basculement stratégique : celui de l’institution onusienne elle-même, happée par la tentation unipolaire ressuscitée.
La complexité du vote prévu pour demain (jeudi 30 octobre, Ndlr) sera accentuée par plusieurs facteurs. La position chinoise, longtemps prudente, laisse filtrer les signes d’un réalignement partiel. Le commerce bilatéral sino marocain a bondi de 16,6 % sur les cinq premiers mois de 2025, preuve que l’économie prépare souvent le terrain idéologique. La visite du ministre Bourita à Pékin, en septembre, a débouché sur la création d’un dialogue stratégique permanent : une formule en apparence technique, mais qui institue une continuité d’échanges où le Maroc devient un partenaire de confiance dans l’espace africain. L’exclusion du Polisario des récents forums sino-africains n’est pas anodine ; elle constitue un signal implicite de préférence diplomatique.
Pourtant, Pékin ménage toujours ses principes : l’entretien du 29 octobre entre Wang Yi et Ahmed Attaf réaffirme « la constance » de la position chinoise, appuyée sur la « justice et l’équité ». En langage diplomatique, cette constance équivaut à une latitude : la Chine se prépare à s’abstenir, ce qui, dans le calcul des équilibres, revient à ne pas contrarier Washington sans humilier Alger, qui se contente d’une rhétorique de façade.
Du côté russe, la logique transactionnelle prévaut. L’accord de pêche signé avec le Maroc, incluant les eaux sahraouies, vaut reconnaissance implicite de la souveraineté marocaine — un geste hautement symbolique pour un pays qui, jusqu’ici, avait maintenu une neutralité prudente. Serguei Lavrov parle désormais d’une solution « équilibrée », terme qui, dans le langage moscovite, remplace la référence à « l’autodétermination ».
Mais la Russie n’agit jamais sans calcul global. Les diplomates marocains eux-mêmes admettent que Moscou pourrait user d’un « vote sanction » contre Washington, non pour défendre le Polisario, mais pour négocier ailleurs : en Ukraine, en Syrie ou dans le Sahel.
Dans cette optique, le vote russe au Conseil de sécurité devient un levier de troc, un instrument d’échange dans la diplomatie du donnant donnant entre grandes puissances. L’entretien du 21 octobre entre Attaf et Lavrov relève davantage d’une logique de manœuvre que de partenariat : le Sahara y apparaît comme une monnaie d’ajustement dans un rapport de forces mondialisé, où chaque geste diplomatique s’inscrit dans une stratégie de compensation et de calcul plutôt que dans une réelle coopération. Il reste à s’interroger sur la possibilité que Moscou aille jusqu’à bloquer la résolution, même si, au regard des signaux actuels, l’option la plus probable demeure celle d’une abstention, évitant la confrontation directe avec Washington.
L’enjeu du vote dépasse donc largement la question sahraouie. Il s’agit de savoir si le Conseil de sécurité demeure un organe d’équilibre ou s’il entérine la transformation de l’ONU en prolongement de la diplomatie américaine. La règle est claire : neuf voix favorables suffisent, à condition qu’aucun des cinq permanents ne s’y oppose par un veto. Les États-Unis, confiants, comptent sur l’abstention chinoise et l’absence d’obstruction russe.
Si ce scénario se confirme, la résolution consacrera le plan d’autonomie marocain non plus comme hypothèse, mais comme cadre de référence officiel du règlement.
En un sens, cela reviendrait à enterrer définitivement la perspective du référendum d’autodétermination. Cette évolution placerait l’ONU dans une contradiction institutionnelle : le Conseil de sécurité, dont la responsabilité première est l’établissement et le maintien de la paix, empiéterait sur les prérogatives de l’Assemblée générale. En passant outre l’inscription de la question sahraouie à l’agenda de la Quatrième Commission, en référence aux résolutions 1514 et 1541, il consacrerait un détournement du cadre de décolonisation initialement prévu par la Charte des Nations unies.
Ce basculement signerait la fin d’une époque : celle où l’ONU, malgré ses faiblesses, représentait encore une scène où la légalité internationale pouvait tempérer la puissance. Le texte américain transforme cette scène en tribune ; il ne cherche plus le compromis (diplomatique), mais plutôt, par la logique transactionnelle, un compromis cynique qui consacre les hégémonies régionales, un genre d’établissement d’un féodalisme planétaire.
Si la résolution passe, l’histoire retiendra moins la question sahraouie que le précédent institutionnel : la reconnaissance d’une solution imposée par la diplomatie d’un seul État, au nom d’un réalisme supposé. Ce réalisme là, fondé sur la transaction et la hiérarchie des forces, éloigne un peu plus le droit international de sa raison d’être : servir de rempart contre l’arbitraire des puissants.
Mohand Bakir

