Alors qu’il est incarcéré en Algérie depuis six mois, l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal a reçu ce mercredi le prix mondial Cino Del Duca, une prestigieuse récompense littéraire française saluant l’ensemble de son œuvre et son attachement indéfectible à la liberté d’expression. Ce prix intervient dans un contexte de tensions diplomatiques aiguës entre la France et l’Algérie, aggravées par le sort de l’écrivain.
Embastillé, condamné à une lourde peine de prison, Boualem Sansal réussit, au grand désespoir de ses sinistres geôliers, de faire entendre sa voix à l’extérieur. Créé en 1969, ce prix, doté de 200 000 euros par la Fondation Simone et Cino Del Duca, distingue un auteur – français ou étranger – dont l’œuvre véhicule un message d’humanisme moderne, aussi bien dans le domaine littéraire que scientifique.
Boualem Sansal rejoint ainsi un panthéon d’auteurs prestigieux comme Andreï Sakharov, Léopold Sédar Senghor, Jorge Luis Borges, Milan Kundera, et, plus récemment, Kamel Daoud, lui aussi algérien, lauréat en 2019.
L’auteur, âgé de 80 ans, a été arrêté en novembre 2024 à l’aéroport d’Alger. Il a depuis été condamné à cinq ans de prison, en mars dernier, notamment en raison d’une interview donnée au média français d’extrême droite Frontières, dans laquelle il affirmait que l’Algérie avait hérité sous la colonisation française de territoires marocains. Ses déclarations ont suscité la fureur des autorités algériennes. Un procès en appel est prévu le 24 juin.
Cette affaire a ravivé les tensions diplomatiques entre Alger et Paris. Depuis l’été 2024, les relations bilatérales sont au plus bas, marquées par une suspension des coopérations, des rappels d’ambassadeurs et l’expulsion réciproque de fonctionnaires. Tandis qu’Alger défend une justice souveraine et indépendante, Paris appelle à un « geste d’humanité » en faveur d’un homme malade – Boualem Sansal est atteint d’un cancer – et emblématique de la liberté de création.
L’éditeur français de Sansal, Gallimard, a mandaté un avocat pour assurer sa défense. Mais ce dernier n’a jamais obtenu de visa pour exercer en Algérie. Cette entrave judiciaire alimente les critiques des défenseurs des droits humains et renforce l’émotion suscitée par sa condamnation.
Le jury du prix Cino Del Duca, présidé par Amin Maalouf, secrétaire perpétuel de l’Académie française, a salué une œuvre « profondément humaniste » et une voix littéraire qui « continue de s’élever au-delà des frontières et des censures ». Le prix sera officiellement remis le 18 juin, sous la Coupole de l’Institut de France, bien que les modalités de cette cérémonie restent à préciser en raison de la situation de l’écrivain.
Auteur du Serment des barbares (1999), roman inaugural dans lequel il dénonçait la montée de l’intégrisme en Algérie, Boualem Sansal a régulièrement été censuré dans son pays, notamment pour Le Village de l’Allemand, qui compare l’islamisme au nazisme. En France, son œuvre a été largement saluée, couronnée par le Grand prix de la francophonie (2013) et le Grand Prix du roman de l’Académie française pour 2084 (2015), une dystopie inspirée de George Orwell.
À travers cette récompense, la fondation envoie un signal clair : au-delà de la crise politique qui mine les relations entre l’Algérie et la France, la liberté de penser et d’écrire reste une valeur non négociable.
Rabah Aït Abache/AFP
C’est le prochain Nobel de littérature. Qu’à dieu ne plaise.