Boualem Sansal vient de passer dans la machine à laver. Cette redoutable règle du système, cette loi du linge sale, impose de régler ses comptes en famille.
Critiquer l’Algérie, ses tabous, son système, cela passe tant que cela reste entre nous. Mais dès qu’un écrivain ose exprimer ces critiques sur une scène internationale, dès qu’il parle à d’autres, avec d’autres – surtout ceux que l’on accuse de nous détester – la sentence tombe : c’est l’isolement, la répression, et parfois pire. Sansal en est la dernière victime : emprisonné, silencié. Tandis que Daoud avait été pris pour cible par des campagnes de dénigrement.
Critiquer entre nous : acceptable. Critiquer devant le monde : un crime
L’Algérie a toujours eu cette contradiction : glorifier ses écrivains tant qu’ils restent confinés à dénoncer « en interne ». Kamel Daoud, dans Le Quotidien d’Oran, était une star, un génie national, la voix de ceux qui se taisent ou n’osent penser. Mais lorsqu’il a franchi les frontières de la scène algérienne, ses mots ont été jugés comme une trahison. De la même manière, Boualem Sansal, avec des propos pourtant mesurés, devient le bouc émissaire. Les critiques s’acharnent, comme si on traquait des poux dans la peau d’un mammouth. On ne célèbre pas leurs succès, on les démonte.
Plumes sous haute surveillance
Pourquoi ces plumes dérangent-elles autant ? Parce qu’elles pointent un mal profond : l’état d’une nation en déliquescence. Boualem Sansal, Kamel Daoud et d’autres dénoncent des vérités que beaucoup veulent taire.
Ils évoquent une société où l’effervescence intellectuelle et politique post-indépendance a été étouffée par la marginalisation et la répression. Leurs critiques ciblent les tabous sociaux, les préjugés, et surtout l’incapacité de l’État à se réformer.
Le tort de ces écrivains ? Ils refusent de jouer le jeu. Une règle tacite qui tolère tout à condition que cela reste discret, invisible, enfoui. Eux écrivent au grand jour, avec des mots pesés, des idées claires. Et pour cela, ils sont condamnés. Pourtant, ces plumes sont précieuses. Elles alertent, elles empêchent les dérives autoritaires de se transformer en habitudes. Mais au lieu de les écouter, le régime s’enferme dans une paranoïa étouffante.
De Beni 3amisme à 3ami Tebboune
C’est un éternel recommencement : après le règne du « Beni 3amisme » de Bouteflika, voici venu celui du « 3amisme » de3ami Tebboune. Une gouvernance gonflée de promesses pompeuses, alimentée par une embellie financière temporaire. Mais comme toujours, cette montgolfière finira par se dégonfler. Et alors ? Alors, l’Algérie reviendra à ses vieux réflexes : demander l’aumône, blâmer l’histoire, répéter les mêmes erreurs.
Boualem Sansal n’a fait qu’écrire ce que d’autres pensent tout bas. Il met en mots une Algérie où les urnes transparentes deviennent opaques en deux heures, où la réalité est tordue par des tours de passe-passe. Une Algérie où, dans les stades, les frustrations sociales éclatent en chaises volantes. Une Algérie où une partie de la population peine à acheter de la viande, où le dessert est un luxe, où l’alimentation devient un défi.
L’illusion du « vivre d’amour et d’eau fraîche »
Et que répond le régime ? L’amour inconditionnel de 3ami Tebboune. Une illusion digne d’un mauvais sketch : « vivre d’amour et d’eau fraîche ». Une Algérie nourrie de promesses creuses, qui rappelle l’histoire du mari qui, rentrant les mains vides, annonce à sa femme : « On vivra d’amour et d’eau fraîche. » La blague tourne au tragique quand la femme, désespérée, se présente nue, un verre d’eau à la main, pour réaliser le rêve absurde de son mari.
Voilà où mène ce système du Beni 3amisme, du 3amisme de Ta3zam et de l’A3ma. Une Algérie qui se prive de ses meilleurs penseurs, qui réprime ceux qui disent la vérité, et qui préfère la façade aux réformes profondes. Boualem Sansal, comme Kamel Daoud avant lui, est une victime de ce système. Mais leurs plumes, trop lourdes pour être effacées, laissent des traces que l’histoire, elle, ne pourra pas laver.
NB : Pour nos amis francophones : Beni 3amisme désigne l’esprit de clan (issu de l’expression Beni 3ami, les fils de mon oncle). 3amisme évoque une relation paternaliste ou protectrice (de 3ami, mon oncle). Ta3zem fait référence à la magie, et La3ma symbolise l’aveuglement.
Za3im