19 janvier 2025
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AccueilA la uneBoualem Sansal, l’idéal tri-national (*)

Boualem Sansal, l’idéal tri-national (*)

Récemment naturalisé au sein de l’Hexagone, l’écrivain Boualem Sansal est, pour reprendre ici la formule présomptive du Rassemblement national (RN), devenu un « Français de papier » et, par là-même, la figure tri-nationale sur laquelle misent la France, le Maroc et l’Algérie pour défendre respectivement la sacro-sainte liberté d’expression, l’annexion anti- Front Polisario du Sahara occidental et des frontières territoriales ou culturelles prétendument menacées.

Surfer sur les ressacs de la nouvelle vague patriotique demeure en Algérie l’exercice préféré des traceurs de feuilles de routes. Ces capitaines au long cours naviguent fanion hissé dès lors qu’il s’agit de maintenir à flot leur légitimité historique mais plongent en eaux troubles et disparaissent des radars quand, prenant le relais de leurs intraçables écoutes, les magistrats d’une justice enténébrée prononcent d’arbitraires et déclaratifs chefs d’inculpation.

Ceux visant Boualem Sansal (incitation à la division du pays, atteinte à l’intégrité territoriale et stabilité de la nation, aux symboles de la République ou à la sûreté de l’État) servent de justifications prédicatives aux commanditaires installés dans les certitudes tutélaires du syndrome d’hubris.

Réfractaires à toute forme de transparence (notamment celle des débats démocratiques et des transferts capitalistiques), ils convoquent également en sous-main les laborantins de la manipulation chargés de mettre en ondes les éléments de langage inhérents aux frictions algéro-marocaines et répliques anti-France.

À leurs yeux, le célèbre dissident, dont la détention alterne entre une unité de soins de l’hôpital Mustapha (située à Sidi M’hamed, près d’Alger) et les bas-fonds carcéraux, incarne autant l’opportun visage trifide que le socio-type du traître, deux images à partir desquelles peut facilement s’implémenter en Algérie la chaîne causale des filandreux ajustements compulsifs et rétroactifs.

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Repère emblématique, l’auteur du Serment des barbares (Gallimard, 1999) concentre l’attention comminatoire des services de sécurité, provoque chez eux un tel raidissement urticant qu’ils le clouent au pilori ou au ban de la société avec le souci de capitaliser, au creux des tautologies soustractives, les retombées populo-affectives issues des postures adversatives et propagandistes, souverainistes et testimoniales.

Ainsi, profitant d’un discours à la nation prononcé le 29 décembre 2024 devant les deux chambres du Parlement algérien, Abdelmadjid Tebboune qualifiait Boualem Sansal d’« imposteur envoyé par la France qui ne connait pas son identité (ni) son père et vient dire que la moitié de l’Algérie appartient à un autre État ».

Puis, s’adressant directement aux anciens ou descendants de colons, il ajoutait : « Ceux qui disent que nous avons laissé un paradis à l’Algérie devraient savoir que 90% du peuple algérien était analphabète au moment de l’indépendance (…), que la colonisation a laissé l’Algérie en ruines (…), doivent admettre qu’ils ont tué et massacré des Algériens ».

En vertu d’une radicalité postrévolutionnaire à cristalliser et exalter contre l’ancien occupant, donc d’une mémoire victimaire, concurrentielle et de revanche, il faut en permanence aux boursicoteurs du processus de contrition glisser une pièce dans la machine des symbolisations conflictuelles, thésauriser sur les valeurs sacrificielles ou identito- originelles pour soutirer l’adhésion communautaire leur garantissant le maintien aux commandes de l’État.

Un tel enjeu oblige le pouvoir militaire à constamment orchestrer les narratifs du roman national, ou souvenirs magnétoscopes du traumatisme colonial, sous la baguette de la rédemption assertorique.

Totem-triptyque d’une guerre des maux, Boualem Sansal caractérise parfaitement cette prise triphasée sur laquelle se branchent, conformément au plaidoyer pro domo émis en faveur des droits humains, les circuits médiatiques d’une intelligentsia parisienne conviant le 16 décembre 2024 au « Théâtre Libre » la Revue politique et parlementaire, du Laboratoire de la République, du Comité Laïcité République, des éditions du Cerf et Gallimard, des hebdomadaires Le Point et Marianne.

Composé aujourd’hui de plus de 1000 adhérents, le Comité international de soutien à l’incarcéré électrise une réprobation générale, multiplie les arguments moraux, invoque la « Non-assistance à personne en danger », argue que les autorités algériennes prennent « le risque d’une altération irréversible de la santé de notre compatriote » qui n’a fait « qu’exercer sa liberté d’écrivain et de penseur ».

Réprouvant l’aléatoire enfermement de «l’un de nos plus grands romanciers francophone » et regrettant que les décideurs algériens préfèrent « porter à leur comble les tensions entre les deux pays », les plus influents appelleront concomitamment Emmanuel Macron à prendre des mesures décisives « pour obtenir dans les plus brefs délais, à titre humanitaire », la remise en liberté d’un « prisonnier politique otage d’un pouvoir policier ».

C’est lors de la Conférence des ambassadeurs tenue le 06 janvier 2025 à l’Élysée que, sortant de sa réserve, et saluant parallèlement l’ambition inédite du partenariat Franco-marocain, le 1er locataire des lieux vilipendait l’entêtement d’une Algérie qui se déshonore en empêchant « un homme gravement malade de se soigner ».

Arrivée à leur paroxysme, les controverses surgies à la suite du revirement diplomatique français adoubant la résolution du Royaume chérifien sur le Sahara occidental (ex-colonie espagnole que réclame le Makhzen) n’en finissent pas de pourrir une situation de laquelle rien ne ressortira de positif.

Arcbouté sur le pré-carré de la martyrologie, le régime algérien ne cèdera sur ce sujet pas de terrain tant ce recours à la mythologie martiale reste une question de survie, notamment pour la nomenklatura de la « Famille révolutionnaire » qui prend un soin particulier à fossiliser les sédiments de la criminalisation coloniale et à alimenter l’historique conflit frontalier avec le proche voisin de l’Ouest.

Elle instrumentalisera à fortiori l’entretien que Boualem Sansal accorda le 02 octobre 2024 au site d’extrême droite Frontières. Membre de son comité stratégique, il y soutiendra la version selon laquelle des chefs de wilayas du Front de libération nationale (FLN) avaient promis au roi Mohammed V de restituer les zones géographiques spoliées par l’Empire Ottoman et que la France attribuera au XIXe siècle à l’Algérie.

Une fois l’İndépendance acquise, le haut commandement militaire de cette dernière n’entérinera pas l’engagement précédemment conclu (d’autant moins d’ailleurs que Hassan II admettra le tracé des actuelles délimitations territoriales) et créera d’autre part « le Polisario pour déstabiliser le Maroc ».

Contrairement à ce qu’affirma le magazine L’Express du 28 décembre 2024, le Franco-Maroco-Algérien n’est pas à ce jour privé de ses libertés fondamentales à cause de ses antérieurs écrits littéraires mais en raison d’une mise au point d’ordre politique. Correspondant chronologiquement au volte-face diplomatique d’Emmanuel Macron, elle sembla trop circonstanciée pour paraître fortuite et hasardeuse du côté de gardiens du temple ordonnant d’interpeller l’incriminé le 16 novembre 2024 à l’aéroport d’Alger.

Menée par des agents de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSİ), l’arrestation manu militari avait pour principal grief le motif d’ « intelligence avec l’ennemi », un soupçon justifié eu égard au rôle de topographe-espion que jouaient au XIXe siècle des peintres et écrivains romantiques enrôlés par une armée d’occupation.

Les relevés cartographiques ou contre-rendus apodémiques et viatiques de ces avant-corps ayant eu une incidence directe sur la pénétration des troupes coloniales, les maîtres des horloges ne prendront pas à la légère les assertions d’un individu auquel on impute aussi d’être un « imposteur envoyé par la France », rien de moins qu’un Cheval de Troie venu en quelque sorte foutre la zizanie dans le pays.

Bien que la préméditation reste outrancière, l’adhésion de Boualem Sansal aux thèses marocaines a malgré tout mis de l’huile sur les braises d’une situation déjà passablement fiévreuse, réactivé la flamme ultrapatriotique en faisant fonctionner à plein les moulins à vent de la discorde et ainsi donné du grain à moudre à des entremetteurs professionnels qui n’en demandaient pas tant pour enrégimenter la population autour des constantes nationales.

Exagérément qualifié de « combattant de la liberté », Boualem Sansal ferait à ce titre mieux de tourner plusieurs fois sa langue dans la bouche avant de bêtement s’impliquer au cœur d’un bocson généralisé. Loin de laisser entendre une quelconque justification de son arrestation (qui n’a que trop duré), notre approche analytique ne le dédouane simplement pas de ses responsabilités manifestes et ne partage pas davantage l’article à charge que publia le 26 décembre 2024 la revue Télérama accusée (là aussi bêtement) de faire preuve d’obsessions islamo-gauchistes ou de wokisme. Nous nous en détournons d’autant plus que son auteur affirmait faussement que Kamel Daoud et Boualem Sansal sont «issus de la gauche laïque algérienne ». Non, aucunement car le premier est un ancien islamiste et le second n’a jamais été encarté au Parti communiste algérien (PCA) ou au Parti de l’avant-garde socialiste (PAGS).

Par contre, si leur critique de l’islam fondamentaliste a fait d’eux « des héros de la droite et de l’extrême droite », ils n’ont pas à en subir l’entier fardeau car ne faisant après tout que profiter d’une notoriété en poupe ainsi que des évidents retours publicitaires et financiers que génère le juteux fonds de commerce.

İl est de bon ton de taper aujourd’hui sur une religion présentée, par raccourci, dialectique, volontiers en conflit constant avec l’Occident chrétien. C’est là un facile procès d’intention dans lequel s’est surtout engouffré l’ex-fonctionnaire du ministère algérien de l’İndustrie (Sansal), cela de manière à se faire valoir comme l’esprit contemporain des Lumières, le chantre de la liberté de conscience, d’être et de création. Ce culte, bien français, est effectivement à partager au nom de l’éthique de singularité, des garde-fous qui protègent des délits d’opinion, de la police des mœurs et de la pensée (de surcroît du contrôle oppressif des corps et cerveaux).

Cependant, la lettre ouverte « Libérez notre ami Boualem Sansal, au nom de l’humanité » qu’adressaient (le 09 décembre 2024, via le journal Marianne) 64 personnalités françaises à Abdelmadjid Tebbounne était d’une confondante naïveté tant elle implorait un coopté incapable d’assumer de son propre chef la relâche de l’essayiste puisque exerçant des prérogatives redevables aux Grands commandeurs de l’armée.

Or, et encore une fois, ceux-ci fonctionnent à partir du vieux logiciel des purges, d’un système d’appareils fondé non sur la méritocratie mais l’allégeance repoussoir. Aussi, dictent- ils allègrement leurs conduites coercitives là où germe le suivisme rampant, là où s’éteint l’engagement contestataire et intellectuel, là où les nébuleux tripotages idéologiques verrouillent la société algérienne, font peser sur elle la chape d’un autoritarisme diffusant partout le sentiment de culpabilité, en l’occurrence chez le supposé « takfir » (infidèle) Sansal.

Saadi-Leray Farid, sociologue de l’art et de la culture

(*) Si Boualem Sansal possède assurément les passeports français et algérien, il devrait aussi pouvoir obtenir celui du Maroc puisque son père fut un ressortissant de ce pays.

(*) Accolé au terme « National », le préfixe numérique « Tri » devient aussi l’homophone du vocable Tri (issu du verbe trier), de sorte que « Tri-National » peut aussi vouloir dire que Sansal permet d’opérer une sélection entre les Bons et Mauvais patriotes.

4 Commentaires

  1. Je ne vous dis pas comment il l’a harnaché : Tavarda achwari, tineqalines ! Trinational ! Même moua je ne charge pas mule Farida comme ça.

    Si ce n’est pas une façon de remettre les pendules à leurs places. Avec Saadi-Leray Farid, sociologue de l’art et de la culture Sansal et KD sont mieux où ils sont.
    Safi Sansal n’a jamais été de gauche et KD était un tango ? Pourtant au Matin-Dized on jure que c’était un ancien combattant.
    Quand je vous disais que si Sansal n’était pas arrêté qu’est-ce qu’il aurait morflé.
    S’il n’est pas complètement idiot, ni trop rusé, ce serait quoi exactement ?
    J‘ai comme l’impression que celui qui a été piégé dans cette histoire ce n’est pas celui qu’on croit. Je vais finir par penser que c’est pour se sauver de ses égarements qu’il s’est fait arrêter. Tout de même il a été trop loin dans ses acoquinements.
    Ce n’est pas parce qu’il ‘’n’’est défendu ‘’que’’ par la fachosphère et persécuté par le pouvoir que Sansal est coupable, ce n’est pas non plus pour les mêmes raisons qu’il est tout à fait innocent. Ce n’est pas en instruisant à charge ou à décharge que je situe mon opinion.
    Alors qu’il soit un héros ou qu’il ait tourné casaque ça ne vaut pas un enfermement.
    Où te situe-donc ? me demandait un commentateur pour qui en dehors des soutiens et des critiques du pouvoir il n’y a point de place pour une autre opinion.
    Je suis sans paroisse : le pouvoir, la société, les opposants, je m’en tamponne allègrement. Complètement en marge, je suis le troisième larron.
    Ce mec, a une plume comme un sabre, quand il y va c’est à la Pyrrhus : sans égards, sans ménagement , las de prêcher dans le vent dans son pays il s’en est allé se faire des bigots sous des cieux plus compliants, mais moi de ce qu’il dit je ne n’ai à m’en faire qu’une religion. Des brobros, des indépendantistes, des réfugiés, de ses compatriotes il s‘en tape mais je ne dois que m’incliner devant son savoir et me pâmer d’admiration.
    A sa décharge plus de justes qu’à Sodome, des témoins de moralité à l’intégrité irréfutable : Philippe de Villiers, Zemmour, Knafo, Goldnadel, Praud, Finkielkraut, Retailleau qui voudrait dégager ses compatriotes pour lui faire de la place.

    • Une vraie ordure. Un Kds docile, une raclure de bidet voilà ce qu’est cette pouf…..sse de hend El kouchi.
      Même les catins ont plus de nif ,qu’une grosse Me…de comme Toi. As tu un jour critiqué tes maîtres? Non jamais.
      Comme disait un posteur, pour ne pas avoir une ISTN tu es prêt à mettre des portes jarretelles.

    • Je cite: Des brobros, des indépendantistes, des réfugiés, de ses compatriotes il s‘en tape mais je ne dois que m’incliner devant son savoir et me pâmer d’admiration.
      Particulierement ce truc « il s’en tape ». Mais vous dites du n’importe quoi.
      Brobros, Independentistes ou refugie’s . . . qu’ont-ils de commun, sinon l’aleatoire? celui-la meme qu’il vient de subir.
      Cet aleatoire, il faut faut bien l’etudier, ses causes, ses buts, ses methodes et ses moyens…
      Il n’est pas politicien et combien « d’opposants politicards » lui ont donne’ la parole? Walou !!! Pourtant !
      Pourtant, il est le seul a decortiquer les moyens et les buts ! Avec la clarete’ de ses ecrits, ceux qui accomodent le regime avec des aides genre « Visa Diplomatiques » sont denonce’s et mis en face de leur responsabilite’s et devant leur publique ! Que fait le regime de ces visas, sinon avoir les mains libres d’aller faire du rabattage a l’etranger? Aller infiltrer et identifier ceux-la qui genent « … Brobros, Independentistes ou refugie’s . . …. »incluant les islamistes qui leur font la concurence !
      Meme si ceux qui la menent sont INCOMPETANTS, la methode(qui ne leur appartient) quand a elle est plus sophistique’e que vous ne sembler realiser ou comprendre…
      Votre humano-gauchisme(vous et toute une classe de mesquines algeriens et francais) n’est que de la condescendance drappe’e du khorti « hunisme » qui sombre dans un orientalisme coqu et fini dans un bain de religiosite’ sterile, mais pas que . . . un baton dans les roues de ceux qui disent Niet, et decide’s a en finir, quit a s’accomoder du diable . . . ce que fait la france de gauche a merveille !
      Et bien chacun son acoquinnage et son diable. Le diable Israelien(ce qui vous gene) guagne !!!

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