Mercredi 22 novembre 2017
Bouteflika : Mugabe et putschiste à la fois (3)
Jusqu’en 1979, la stratégie de Bouteflika consistait à faire à la fois le chameau et le renard : attendre son jour, patienter sous l’ombre du chef incontesté Houari Boumediene et ruser pour s’affirmer, au sein du clan d’Oujda, comme le dauphin tout désigné pour la succession, le moment venu. Alors, à son tour, il occuperait le pouvoir jusqu’à la mort, pour ensuite le laisser à un homme du clan ou de la famille, en tout cas pas à un étranger au clan. C’est cette phase que nous vivons aujourd’hui et tous ceux qui, aujourd’hui, en 2017, pensent pouvoir succéder à Bouteflika sans avoir appartenu à la Famille, se trompent lourdement. Bouteflika a verrouillé tous les accès au pouvoir. Personne ne connaît le mot de passe. La guerre livrée au DRS et mystérieusement remportée, lui permet de baliser le terrain en plaçant ses hommes là où ils sont les plus efficaces. A la première défaillance ou infidélité, on est débarqué et remplacé par un homme plus sûr ou par personne !
Parce que, pour Bouteflika, les choses sont très claires : le pouvoir ne se restitue pas. C’est un butin de guerre acquis de façon définitive par le clan des vainqueurs. Le sien. Le clan d’Oujda formé autour de l’état-major général de l’ALN, dirigé alors par le colonel Houari Boumediène et qui avait écarté, à la dernière minute, et par la force, le Gouvernement provisoire de Benyoucef Benkhedda, le GPRA, pour s’emparer des rênes de commande en Algérie. Le pouvoir ne se restitue pas. Il se transmet à l’intérieur de la Famille.
Bouteflika ressuscite, en 2017, les autocrates arabes Hafez El Assad, Kadhafi, Saddam ou leurs copies médiocres comme Ben Ali, rois-roturiers et monarques absolus. ce que fait Moubarak en Égypte, qui en est à son énième modification de la Constitution, Kadhafi en Libye, Hafez El Assad en Syrie, Ben Ali en Tunisie : paver le chemin à l’héritier disponible, sans doute le frère, puisqu’il n’y a pas de fils, le frère qu’il compte fortement impliquer dans l’exercice du pouvoir ou…un ami d’enfance qui pourrait être Chakib Khelil ! Pas question de laisser qui que ce soit fourrer son nez dans les affaires suspectes. Du reste, Sonatrach est verrouillé pour un bout de temps avec la désignation, à sa tête, d’Ould Kaddour, un « fils de la Famille ».
Le pouvoir appartient aux triomphateurs, aux conquérants. Pas au peuple. Mais à ceux qui « se sont battus au nom du peuple ».
Le pouvoir ne s’obtient pas par les élections, mais s’arrache et se conserve par la force. Les élections servent à exercer une espèce de démocratie Le peuple ? Il n’a aucun mérite dans l’avènement de la liberté. Le peuple ne fait pas partie des triomphateurs et des conquérants. Ce n’est qu’une foule à qui une élite a offert l’indépendance. Pourquoi exigerait-elle aujourd’hui le droit de donner son avis ? Le peuple sert de décor, d’argument de campagne. Tout le travail du président et des laborantins de la Famille consiste alors à empêcher l’Algérien de passer de sujet à citoyen, en l’infantilisant, ce peuple, chaque jour un peu plus, en le culpabilisant (besogne dont s’acquittent sans vergogne certains ministres qui accusent les Algériens d’être à l’origine de la crise), en le domestiquant par les torrents de discours religieux…
L’année 1979 et le refus de la Sécurité militaire de cautionner sa candidature à la succession de Boumediene a ajouté la haine à la rancoeur. Bouteflika en veut à ce peuple et à ses amis d’avoir « laissé faire ». L’homme qui devint président en 1999 venait de récupérer « son dû ». Avec vingt ans de retard.
Aussi, quand Bouteflika dit sur Europe 1 devant Jean- Pierre Elkabach : « J’aurais pu prétendre au pouvoir à la mort de Boumediène, mais la réalité est qu’il y a eu un coup d’État à blanc et l’armée à imposé un candidat », il parlait de la succession dans le cadre du clan.
« Boumediène m’a désigné comme son successeur par une lettre-testament qu’il a laissée avant sa mort. Cette lettre se trouvait à un moment donné aux mains d’Abdelmadjid Allahoum. Qu’est devenue cette lettre ? Je voudrais bien le savoir, car je l’ai vue cette lettre ! »
Quand il posa, avec détermination, en octobre 1999, cette question à Khaled Nezzar, le général est resté stupéfait.
« J’ai exprimé ma surprise. Je n’ai jamais entendu parler d’un tel testament », raconte le général. Aucun dirigeant politique algérien n’a jamais entendu parler de cette lettre-testament. Mais l’anecdote est significative de l’état d’esprit qui habitait l’homme à son intronisation : il revenait au pouvoir non pas en tant qu’élu de la nation mais en tant qu’héritier, monarque rétabli dans son « droit » à la succession. Un putsch des « arrivistes » contre les « putschistes historiques », en somme !
Comment imaginer qu’il allait redonner les clés en 2019 ?
Lire aussi : Bouteflika : Mugabe et putschiste (2)