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Bricolage et précipitation dans l’introduction de l’anglais au primaire 

Ecole

Aujourd’hui, la décision précipitée d’introduire l’enseignement de la langue anglaise dès le primaire sera une excellente initiative si tous les moyens nécessaires et indispensables sont rassemblés. 

Je tiens tout d’abord à donner mon avis en tant que pédagogue, enseignant de mathématiques ayant vécu la même expérience lors de l’arabisation générale de l’enseignement en 1987. Cette décision n’a pas été prise dans un objectif scientifique mais surtout idéologique. Aujourd’hui après 60 ans d’indépendance, je me pose toujours la question pourquoi l’opération d’arabisation et de remplacer la langue du colonisateur par l’anglais n’a pas été prise en 1962. Aujourd’hui, on ne serait pas là à se poser la question:

Dans quelle langue doit-on enseigner pour que nos enfants aient les mêmes chances de réussir dans leur pays ou à l’étranger ?

Est-ce que tous les révolutionnaires de l’époque étaient au service de la France comme le prétendent certains pseudos syndicalistes, car ils ont laissé leur butin de guerre linguistique dans l’éducation alors qu’ils avaient les moyens d’effacer la langue française de l’éducation ?

J’ajouterai suivant cette logique, les pays anglophones colonisés devaient aussi, changer leur première langue d’enseignement pour montrer qu’ils ne sont pas colonisés.

En tant que pédagogue, je conçois qu’aujourd’hui, que celui qui ne maîtrise pas l’anglais est un analphabète scientifique, mais comment y remédier sans faire encore plus de mal à l’éducation qu’on en a fait depuis 1987.

Nous devons éviter de refaire les mêmes erreurs que celles qui ont été commises lors de l’arabisation aveugle.

Notre objectif est de voir nos enfants réussir dans les matières scientifiques grâce à la langue de Shakespeare, qui est désormais celle du futur car elle donne plus de perspectives de recherches scientifiques.

Nous ne devons pas nous cacher la face, ce n’est pas la langue française qui a échoué en Algérie dans le domaine scientifique, mais c’est la langue arabe.

Je dis cela car beaucoup de scientifiques algériens, je citerai entre autres Elias Zerhouni, Taha Merghoub, Abdelkader Mohamed, etc., ont bien été formés avant l’arabisation dans l’école algérienne et font le bonheur des Etats-Unis. Ces noms ont étudié en Français comme première langue alors où est l’erreur.Pour ceux qui ont vécu le bilinguisme avant 1987, et qui sont restés au pays en enseignant les matières en langue arabe, vous diront les difficultés auxquelles ils furent confrontés et comment ils ont réussi, mais il ne faut pas mentir, l’enseignement se faisant à 50 % en « Daridja » qui la langue maternelle de la plupart des enseignants, ceux qui ne maitriser ni l’une ni l’autre durent quitter le pays pour s’installer en France et enseigner là-bas. Les victimes de ces décisions idéologiques et politiques furent les élèves qui sont toujours des cobayes. L’arabisation aveugle, sans études, poussèrent les décideurs à obliger les enseignants à ne plus utiliser les lettres latines en mathématiques, là aussi sans raison et sans études. Les élèves subirent les erreurs linguistiques et l’application de la « Daridja » dans les matières scientifiques pendant tout le cycle moyen et secondaire, pour qu’à l’université, ils doivent se plier à l’obligeance de suivre la plupart de leurs cours scientifiques en langue française.

Il a fallu plus 20 après, pour revenir à l’arabisation avec l’application des lettres latines en mathématiques. Aujourd’hui, le bilan est devant nous et l’échec de cette politique de décisions dans la précipitation continue sans études puisque la décision de changement linguistique a été prise.

Aujourd’hui, 99 %, des enseignants ayant assisté à l’arabisation aveugle, sont sortis en retraite et leur vécu de celle-ci, devrait inciter les décideurs à préparer soigneusement ce passage linguistique.

Cette nouvelle orientation de la politique linguistique du pays soulève quelques interrogations notamment sur le degré de préparation de l’école algérienne pour intégrer et réussir l’enseignement d’une nouvelle langue dès le primaire.

Les décideurs devraient expliquer les fondements de cette décision. La société dans sa globalité doit connaître toutes les modalités et les raisons de cette décision, car si celle-ci est politique, elle a son aspect pédagogique.

L’Etat a décidé de passer à l’anglais comme première langue d’enseignement à la place du français, dès la 3e année primaire, cette action politique a ses arguments auxquels nous ne pouvons, nous opposer.

Mais, sur l’aspect pédagogique, nous avons notre mot à dire.

Cinq paramètres essentiels qui caractérisent tout système éducatif, qu’on appelle base pédagogique : les enseignants, les programmes (les contenus), les moyens (locaux, ateliers pour des groupes restreints avec des instruments sonores pour améliorer la phonétique), la formation et les élèves doivent être étudiés soigneusement en absence de toute euphorie et précipitation. Ce qui n’est pas le cas.

Des interrogations doivent être posées aux responsables de cette action :

  1.  Le ministère, a-t-il dit combien il y a d’enseignants d’Anglais, compétents, cela s’entend ? Sont-ils suffisants dans les 58 wilayas ?
  2. Le ministère a-t-il conçu les programmes et leurs volumes horaires depuis longtemps ?
  3. Le ministère a-t-il prévu tous les moyens nécessaires à cette entreprise (locaux adaptés et matériel pour les travaux de groupes) ?
  4. Le ministère a-t-il prévu la formation des enseignants du collège et du secondaire pour enseigner les matières scientifiques en anglais ?
  5. Le ministère a-t-il préparé les élèves et leurs parents à cette entreprise?

On laissera les réponses au ministère et aux politiciens de cette décision, pour nous répondre. Nous, on se contentera de voir la réalité du terrain.  

Ces 20 000 enseignants, sont supposés maîtriser l’enseignement de l’anglais et ne pas être de simples traducteurs. Ils doivent obéir à une formation en parallèle pour ne pas jouer avec l’avenir des enfants qui doivent connaître les abc de langue de Shakespeare. L’autre problème est celui de l’hébergement, car il faut couvrir les 58 wilayas.
Nous aurons besoin de près de 3 000 000 de manuels prêts à être imprimé ou bien va-t-on importer ces livres. Ces 3 millions de livres, doivent être livrés dès septembre. Et d’autres millions de livres devront être livrés, pour la rentrée scolaire 2025-2026, pour le cycle moyen pour la première année moyenne non pas, uniquement en Anglais mais aussi en mathématiques, en sciences physiques et en sciences naturelles. C’est pour voir comment le marché est juteux pour celui ou ceux qui en profiteront.

Cette situation est du déjà vu et représente des sommes colossales, qu’il faudra investir et nous avons assisté à ce scénario en 1987 lors de l’arabisation et dans les années 2 000, lors du passage vers les lettres latines en mathématiques, ce qui coûta des milliards aux caisses de l’état et qui rapporta de grands bénéfices aux imprimeurs et aux éditeurs de ces livres sans qu’aucune enquête ne soit ouverte, sur le comment ont été ces marchés et à qui ils ont profité.

Nous aurons besoin aussi d’infrastructures disposant d’assez de locaux pour des travaux de groupe.

Nous continuons à bricoler, à nous précipiter dans les décisions sans études ni arguments convaincants et à avancer la charrue avant les bœufs. Cela ne s’arrêtera jamais, surtout si cela rapportera des milliards. Vu l’expérience de l’arabisation, beaucoup de pédagogues restent pessimistes sur la réussite de cette décision.

Au moment où les enseignants attendaient cette année la réforme de l’éducation, celle du baccalauréat, le retour à l’enseignement technique, celui de la formation professionnelle et l’établissement d’un nouveau statut des travailleurs, voilà qu’on annonce le changement linguistique qui nous occupera et qui cette fois opposera francophones, arabophones et anglophones. Ce débat stérile, divisera encore une fois la famille de l’éducation après les avoir divisé par la création de multitudes de syndicats, certains parmi eux ne représentent qu’un cachet.

Déjà certains syndicalistes qui n’ont peut-être que peu enseigné, ont commencé à donner leurs avis sur le sujet et qui accusent les défenseurs de l’école algérienne d’être au service de la France alors que leurs propres enfants vont étudier en France. Le débat ouvert est beaucoup plus accusateur que constructif ou pédagogique, il permet à ces beaux orateurs, habitués à créer de telles polémiques de faire reculer le pays au lieu de le faire avancer. Je pense qu’il ne faut plus leur répondre, car le sujet, aujourd’hui, est de peser le bon et le mauvais de cette décision et avons-nous les moyens de notre politique.

Si on veut introduire l’anglais pour uniquement effacer la langue française quels que soient les moyens même si cela est néfaste pour l’avenir de l’enfant, je dirai non. Par contre si tout est étudié, si tous les moyens sont mis pour la réussite de cette entreprise en évitant les erreurs du passé alors nous seront tous ensemble.

L’entreprise de cette décision est risquée, ne nous permet pas d’hypothéquons encore une fois l’avenir de l’enfant algérien prenons les bonnes décisions pédagogiques en dehors de toute idéologie ou politique et évitons de faire de nos élèves des cobayes comme par le passé.

Bachir Hakem
Professeur de mathématiques à la retraite

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