Les orientations que prennent les membres des BRICS+ pourraient créer un futur réunissant les meilleurs ou les pires côtés de l’ancien et du nouvel ordre mondial.
Terminé le 24 octobre, le 16e Sommet annuel de trois jours à Kazan en Russie des BRICS+, représentant près de la moitié de la population mondiale et le tiers du PIB de la planète, a réuni une quarantaine de chefs d’État ou de gouvernement, incluant ceux de ses neuf pays membres. L’objectif de ce regroupement est d’augmenter son influence dans des négociations économiques internationales dominées par l’Occident.
Politiquement, ils veulent créer une alternative économique à l’ordre existant en faisant émerger un monde multipolaire. Ces pays font partie d’un phénomène plus large, soit l’émergence de nations qui n’avaient pas de pouvoir économique et politique au XXe siècle.
Victoire et tentative de manipulation
Cette rencontre a prouvé que, pour les pays membres des BRICS+, la guerre en Ukraine n’a pas l’importance qu’elle a pour les Occidentaux. Pour beaucoup de pays du tiers monde, l’Ukraine est une guerre de blanc qu’ils ont peur de devoir payer comme cela a été le cas dans les deux premières Guerres mondiales. La Russie a aussi démontré qu’elle a hérité de plusieurs des liens qu’avait créés l’URSS alors qu’elle était une grande puissance anticoloniale. Elle a encore des milliers de coopérants dans le monde et reste une référence pour ceux qui contestent l’Occident.
Le président de la Russie, Vladimir Poutine, qui est soumis à des sanctions depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022, a aussi voulu faire de ce sommet une arme contre les Occidentaux et leur vision du monde, mais l’Inde et le Brésil ont insisté pour qu’il soit plutôt un levier de puissance pour ses pays membres qui veulent moins contester l’ordre occidental que de le récupérer à leur profit.
L’unité des BRICS+ n’a jamais paru aussi fictive que durant cette rencontre pendant laquelle la Russie a tenté de masquer des différences fondamentales. Si l’Inde et le Brésil fonctionnent démocratiquement, la Russie, la Chine et plusieurs autres membres sont des régimes autoritaires qui contestent les règles faites par l’Occident en 1945.
Les pays du BRICS n’ont aucune alliance militaire entre eux et seulement quelques liens économiques conjoncturels, incluant ceux de l’Inde et de la Chine qui boivent littéralement à prix cassés 90 % de la production de pétrole russe visée par des sanctions.
La véritable victoire diplomatique de l’événement était d’avoir rapproché les dirigeants indiens et chinois, Narendra Modi et Xi Jinping, actuellement en guerre ouverte dans l’Himalaya, à la frontière des deux pays, depuis l’affrontement en 2020 entre leurs armées.
Attention aux autocrates !
Le président russe Vladimir Poutine s’est aussi fait remettre sur le nez par le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, que l’invasion russe de l’Ukraine était une violation du droit international. « Nous avons besoin de la paix en Ukraine. Une paix juste, conforme à la Charte des Nations unies, au droit international et aux résolutions de l’Assemblée générale de l’ONU », y a-t-il affirmé soulignant que la liberté de navigation en mer Noire était d’une importance capitale pour la sécurité alimentaire et énergétique mondiale.
Narendra Modi a aussi publiquement déclaré au dirigeant russe qu’il voulait la paix en Ukraine.
Il est sain que les pays émergents s’organisent pour augmenter la qualité de vie de leurs citoyens, mais les discours contre la force occidentale sont essentiellement faits par des autocrates qui refusent l’universalisme. Le BRICS+ n’est pas le club des pays émancipateurs du « Sud global ».
Les autocrates qui en sont membres désirent qu’on ne les empêche pas de massacrer leur population et visent à revenir à des zones d’influence issue de la force brute comme dans l’ordre de Yalta. Cela représente les désirs des dirigeants autoritaires et non de leurs citoyens qui doivent les souffrir.
Les BRICS+ sont donc devenus un objet politique ambigu dans lequel des autocrates cherchent à continuer à commettre impunément leurs crimes.
Ils veulent faire de la realpolitik comme les Occidentaux, dont les discours vertueux ne correspondent pas aux actions. Ceux-ci dénoncent que l’Occident n’est pas au rendez-vous de l’éthique qu’il demande au reste du monde.
Les démocraties auraient tout intérêt à trouver, face à cette situation, l’énergie nécessaire pour restaurer leur unité face aux régimes autoritaires, défendre la liberté politique, se réformer et s’associer aux nouvelles puissances du Sud, qui visent une gouvernance ouverte de leur société. Les désirs d’égalité, de justice et d’humanisme ne sont pas des lubies occidentales. Ils sont les moteurs de la modernité et ont quelque chose d’irrésistible, transcendant les siècles et les peuples.
Les populations préféreront toujours se battre pour ne pas être soumises. Pourquoi faire naitre dans le sang le nouvel ordre mondial alors qu’il pourrait être négocié en épargnant la vie de millions d’innocents?
Michel Gourd